Le fondateur et la nouvelle directrice artistique de la Compagnie théâtrale des « Fous de Bassan », basée à Beaugency (Loiret), nous replongent dans ce que furent ces trente belles années au cours desquelles de nombreuses actions culturelles ont irrigué le pays beauceron du côté de Beaugency.
Propos recueillis par Bernard Thinat
Christian, quel est votre parcours dans le monde du théâtre ?
Christian Sterne : Ça remonte à loin maintenant. J’ai commencé à l’école normale d’Orléans, puis j’ai fait l’école Charles Dullin, et s’en est suivi un parcours de comédien autant à Orléans que sur la région parisienne. Mais je ne voulais pas être, dans toutes ces files d’attente de casting télé, cinémas, pub, et attendre que le téléphone sonne. J’ai donc créé « les Fous de Bassan » alors que j’habitais Beaugency. C’était en 1987. J’ai travaillé deux ans dans une grosse entreprise théâtrale, ce qui était très intéressant. J’ai joué au Lucernaire, au théâtre des Chimères à cette époque-là, Ce qui fait que la première création des « Fous de Bassan » ne date que de janvier 1991. C’est une date importante pour moi parce que le spectacle, Le petit manuel du parfait aventurier était un essai littéraire écrit par Pierre Mac Orlan. C’est un spectacle que j’ai créé au théâtre du Tourtour, qui n’existe plus, à Paris. Ce fut au moment où la guerre du Golfe a été déclarée et ce fut pour le moins chaotique.
La Compagnie a ensuite déménagé sur l’Agglo d’Orléans, avec un projet qui s’appelait Aux sources de la source, de 94 à 96, projet qui a beaucoup marqué la Compagnie. C’était un travail d’action culturelle et artistique sur le quartier de la Source à Orléans avec les habitants, les associations, un projet qui a duré sur deux saisons, mais que n’a pas encouragé le Maire de l’époque [Jean Pierre Sueur,NDLR] , je n’ai jamais compris pourquoi. Et donc retour à Beaugency !
La première création dans cette ville, c’était Au bout du comptoir, la mer, sur un texte de Serge Valletti, en solo dans les cafés, j’ai beaucoup aimé cette expérience de jouer dans les cafés. C’est pourquoi il y a quelques années, j’ai proposé à Magali d’adapter et de jouer Le Café de l’Excelsior, d’après le roman de Philippe Claudel, spectacle qui tourne encore dans les cafés aujourd’hui. Après, j’ai beaucoup aimé travailler avec les auteurs, tels que Guy Jimenes, ou Jean-Pierre Cannet que nous avions accueilli à la Source pour son premier texte de théâtre. Il écrivait à l’époque des romans, nouvelles et poésies, et je lui avais proposé d’écrire la pièce Résurgence qui allait conclure l’action culturelle à la Source, et en 1996. Il a continué à écrire du théâtre avec une vraie complicité entre nous deux. J’ai monté beaucoup de ses textes, soit avec des professionnels, soit avec des amateurs. Lors d’une résidence, il a écrit Des manteaux avec personne dedans et il a voulu que je monte la pièce qu’on a créée en 1999. C’était pour moi, un vrai cadeau de sa part.
Mais peut-on tout présenter sur un plateau de théâtre ?
C.S. : Oui, ça dépend du jeu, de la théâtralité, de la mise en scène, du projet, de l’envie qu’on a de partager avec le public. Mais outre le travail avec les auteurs, avec Guy, avec Jean-Pierre, l’étape importante, c’est le travail d’action culturelle qu’on a accompli, en particulier avec tout le Pays Loire Beauce, et qui a abouti à ce projet avec les agriculteurs qui est poursuivi aujourd’hui par Magali. Je ne vais pas faire de l’autosatisfaction mais le travail qui s’est déroulé tout au long de ces années et qui a développé les relations avec les agriculteurs, les Beaucerons, qu’on qualifie de tous les noms, j’en suis assez fier.
Comment est né ce projet d’action culturelle au milieu de la Beauce?
C.S. et Magali Berruet : Le Pays Loire Beauce, entité qu’on appelle aujourd’hui Pôle d’Equilibre Territorial et Rural, regroupe deux communautés de communes, d’Artenay à Beaugency. Le Pays vit notamment grâce à des financements européens qui transitent par la Région. Et c’est le Conseil de développement du Pays qui un jour a demandé aux « Fous de Bassan » de proposer un projet. Un des grands axes de travail de la Compagnie a été la correspondance. Le premier projet date de 1993 et s’est appelé Envolées de lettres. Ce projet a consisté à mettre en correspondance les gens. En tant que créateur, mon travail consiste à mettre en relation une population, à ce que les gens s’écrivent sans se connaître. On a lu des milliers de lettres sur scène. Au début, il y avait 5 groupes, les malades de l’hôpital, les détenus de la prison, les lecteurs de la bibliothèque de la Source, une classe de lycéens… et quelqu’un d’un groupe pouvait écrire à quelqu’un d’un autre groupe, sur des sujets totalement libres.
Puis la règle du jeu de Lettres du pays a été tout simplement de demander aux gens de tout le Pays, donc d’Artenay à Beaugency, d’écrire une lettre, soit en se mettant à la place d’un élément, soit en s’adressant à un élément. Par exemple, le plus jeune enfant a écrit à une moissonneuse-batteuse. Ce projet-là, nous avons mis trois ans pour le réussir, en faisant des réunions dans chaque commune de tout le Pays, et il y en a 45 environ ! Quand on a eu toutes les lettres, on en a choisi quelques unes à interpréter pour en faire une tournée dans tout le Pays. On a aussi choisi quelques lettres que l’on a envoyées à des artistes en leur demandant une réponse. Quarante artistes ont répondu à ces lettres : dessinateur, sculpteur, écrivain, tailleur de pierres, peintre, photographe, et même une modiste qui a fait un chapeau comme réponse à une lettre. Quarante réponses pour ce qu’on a appelé les quatre grandes fertilités, une par canton, que nous avons interprétées en public, nous professionnels. Nous avons fait une exposition avec toutes les réponses des artistes à laquelle on a invité différents agriculteurs. Ce fut l’occasion d’organiser des balades guidées dans les champs et deux agriculteurs se sont proposés pour les encadrer.
Donc, ce fut le déclencheur du travail avec eux ?
C.S. : Oui ! Je leur ai proposé d’écrire et c’est ce qui s’est passé. J’ai demandé cette fois aux agriculteurs du Pays de se mettre à la place d’un élément et d’écrire à la population. J’espérais une cinquantaine de lettres, on en a eu finalement cent huit écrites par soixante quatorze personnes. Mais ce n’est pas la quantité qui nous a étonnés mais la qualité. Ils parlaient de leur travail et ces lettres étaient toutes différentes. On a ressenti de ces agriculteurs un besoin de communiquer, de faire part de leur souffrance, de leur fierté, de leur passion pour leur travail. Ces lettres-là ont été écrites en 2016. On les a ensuite interprétées en « cabaret agriculturel », et on continue de le faire. On les a même présentées au Festival d’Avignon, mais tout ça n’a pas été facile parce qu’on n’est pas forcément beaucoup reconnus, beaucoup aidés pour continuer ce travail, parce qu’on est en Beauce…
Que voulez-vous dire ?
C.S. : Eh bien justement, parce que ce sont des Beaucerons, ça vaut le coup de dialoguer avec eux ! On a eu des réactions de la part de financeurs, voire de consommateurs qui ont réagi de manière extrêmement virulente. On peut avoir nos convictions, mais l’important est que les gens puissent dialoguer entre eux et sans violence. La difficulté vis-à-vis des financeurs est que même si l’on a envie de changer le monde, on est plutôt là pour créer, pour nourrir du lien, aider les gens à poser des questions. Mais ce n’est pas à nous de fournir les réponses.
A suivre…
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Quelle est l’origine de l’appellation « Fous de Bassan » pour la Compagnie ?
Christian Sterne : Un jour que j’étais parti en pêche par un temps magnifique, au large de l’île d’Yeu, je vois de très loin un oiseau, j’ai toujours été passionné par les oiseaux vu mon nom, et je demande à un pêcheur de quel oiseau il s’agissait. Il me répond que c’était un Fou, un Fou de Bassan. Le Fou de Bassan a la particularité de plonger à la verticale de 40 mètres jusqu’à 8 ou 10 mètres de profondeur. Et j’ai trouvé que cet instant entre un plané de toute beauté et ce piqué, était pour moi une vraie émotion théâtrale. Alors, quand j’ai cherché un nom pour baptiser la Compagnie, j’ai pensé à cet instant qui m’avait ému et aux fous au théâtre que j’aime bien et qui sont là pour interroger, déranger, distraire si besoin, à ce rapport entre les fous du roi et les fous de Bassan, à ce rapport aux oiseaux et à la nature.
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