Grâce au succès de la série Lupin, la Normandie a été mise en lumière, celle du célèbre héros de Maurice Leblanc, le Pays de Caux. Plateau verdoyant entre la vallée de la Seine et la Manche où les bourgs et les manoirs abritent leurs secrets derrière de grandes hêtraies, c’est en effet dans cette région singulière que l’auteur rouennais situe les aventures de son gentleman-cambrioleur au grand cœur, véritable guide pour découvrir cette Normandie d’en haut.
Par André Degon
“Alors, par menus gestes insensibles, à plat ventre, se glissant, rampant, il s’avança sur une des pointes du promontoire…En face de lui, presque au niveau de la falaise, en pleine mer, se dressait un roc énorme, haut de plus de quatre-vingts mètres, obélisque colossal, d’aplomb sur sa large base de granit que l’on apercevait au raz de l’eau et qui s’effilait ensuite jusqu’au sommet, ainsi que la dent gigantesque d’un monstre marin.” (L’aiguille creuse, Maurice Leblanc). Isidore Beautrelet a le choc de sa vie. Le jeune lycéen, allongé dans l’herbe au-dessus de la Falaise d’Aval à Etretat, vient de comprendre l’énigme qu’Arsène Lupin s’évertue à lui cacher.
Véritables guides touristiques, les romans de Maurice Leblanc se situent pour la plupart dans le Pays de Caux, une région que l’écrivain rouennais affectionne plus que tout, délimitée par trois villes, Dieppe, Rouen et Le Havre. Grâce à son camarade de classe André Delamare-Deboutteville, le romancier découvre le vélocipède, une vraie passion. A bicyclette, il sillonne la région. “Je fis Rouen-La Bouille en trente chutes. Puis Rouen-Jumièges (30 kilomètres) en deux heures. C’était un triomphe. J’étais le seul à Rouen à pouvoir me déplacer à une pareille vitesse” déclare-t-il à son ami René Trintzius. C’est à bicyclette que Raoul d’Andresy, le futur Arsène Lupin au début de La comtesse de Cagliostro, arrive à Bénouville près d’Etretat pour retrouver Clarisse d’Etigues. Aujourd’hui, autour de la petite cité, nombre de sentiers ont été ouverts pour les adeptes de la petite reine.
La mode des bains de mer
En 1820, la duchesse de Berry lance la vogue des bains de mer à Dieppe. D’abord curatifs, ils deviennent rapidement une mode. Dix ans après, Alphonse Karr, le directeur du Figaro crée la station d’Etretat. On vient du Havre en voiture, de Paris en train. La plage de galet voit défiler toutes sortes de célébrités : Hugo, Dumas, Maupassant. Les peintres tels Delacroix, Courbet, Boudin, Corot, Monet viennent immortaliser les falaises et le rivage. Car si Paris à sa Tour Eiffel, Etretat possède sa Falaise d’Aval, composée de l’arche et de l’aiguille, célèbre dans le monde entier. Pas facile d’appréhender cette charmante station au charme désuet. Il ne suffit pas, après avoir cherché avec difficulté une place de parking, d’admirer l’aiguille, de manger une crêpe et de repartir. Etretat mérite mieux. Il faut quitter la terrasse Claude-Monet, le boulevard René-Coty, la place du maréchal Foch et se perdre dans les petites rues pour découvrir les demeures à colombages construites au début du siècle. A l’office de tourisme, on vous expliquera qu’à la place du restaurant les Roches blanches se trouvait la villa du premier ministre de Napoléon III, non loin de celle de M. Beaugrand, le joaillier de l’empereur.
Curieusement, Etretat regorgeait de souterrains qui furent développés sous le Second empire on ne sait pour quelle raison. On raconte que ces passages secrets furent creusés au moment de la Révolution pour abriter les réfractaires au nouveau régime venus attendre un bateau pour l’Angleterre, préférant Etretat au Havre sous haute surveillance policière. Ce sont sans doute ses mystérieux souterrains qui donnèrent l’idée de l’aiguille creuse à Maurice Leblanc. Amoureux du lieu, le père d’Arsène Lupin achète en 1918 la villa Le sphinx, à l’angle de la rue du Bec-Castel et de la route de Criquetot, qu’il rebaptise Clos Lupin. Hanté par son héros, “ce brigand a pris possession de ma vie”, il y passe les mois d’été jusqu’en 1939, écrivant dans un bureau en forme de rotonde. Vendue à la mort de l’écrivain, la maison a pu être rachetée par sa petite fille Florence Boespflug Leblanc en 1998. Elle y a retrouvé les rosiers American pillars plantés par son grand-père et a transformé le Clos Lupin en un musée. En fait c’est plus que ça. Disons qu’en sept pièces dans la maison, il vous est proposé de partager l’intimité de l’auteur et de son personnage et de partir à la découverte de l’énigme de l’Aiguille creuse. Mais chut ! Ne dévoilons rien.
Autour de la vallée de la Seine
Que ce soit dans Les dents du tigre, La barre-y-va ou La comtesse de Cagliostro, Maurice Leblanc célèbre la vallée de la Seine entre Rouen et Caudebec-en-Caux. Son lieu de prédilection demeure le village de Jumièges où il passait ses vacances étant enfant. Des sept abbayes normandes, celle de Jumièges, fondée en 654 par Saint-Philibert, est certainement la plus impressionnante par ses dimensions. De ce monument exceptionnel avec ses deux tours octogonales de 43 mètres de haut et sa nef de 27 mètres soutenue par des pilastres de style bénédictin, il ne reste que de grandioses ruines qui témoignent de sa puissance et de son rayonnement, notamment au XIe siècle, au lendemain de la conquête de l’Angleterre. C’est à quelques lieues de l’abbaye, près du manoir d’Agnès Sorel, maîtresse de Charles VII, que Maurice Leblanc situe le dernier acte de La comtesse de Cagliostro.
A la recherche du trésor des moines normands, Raoul d’Andrésy, alias Arsène Lupin découvre qu’en reliant d’un trait les sept abbayes (Fécamp, Valmont, Gruchet-Le-Valasse,Montivilliers, Saint-Wandrille, Jumièges et Saint-Georges-de-Boscherville), il reproduit la configuration de la Grande Ourse. Jumièges correspond à Mizar, étoile proche d’un astre Alcor dont le nom est composé des lettres que l’on retrouve dans l’énigme Ad Lapidem Currebat Olim Regina (à la pierre courait autrefois la reine). En calquant les traits de la Grande Ourse sur une carte, Alcor se superpose à Mesnil-sous-Jumièges. Et le trésor est là, sous un dolmen. “Elémentaire, mon cher Lupin” aurait pu lui dire un personnage d’outre-Manche pour lequel notre héros ne vouait pas une estime particulière alors qu’il exprimait une certaine tendresse pour Isidore Beautrelet, élève de rhétorique au lycée Janson-de-Sailly. “Tout frissonnant de joie, Raoul faussa compagnie au brave curé. Il était pourvu de renseignements minutieux qui lui furent d’autant utiles qu’il put (…) s’engager dans les lacis de chemins sinueux…”(La comtesse de Cagliostro). Ces routes existent toujours, à vous de les découvrir en compagnie du gentleman-cambrioleur.
Pour en savoir plus
– Office de tourisme d’Etretat, place Maurice-Guillard, BP 3, 7690 Etretat. Tel. : 02 35 27 05 21.
– Comité départemental du tourisme de Seine maritime (Seine maritime attractivité) https://www.seine-maritime-tourisme.com/
Ne pas manquer
– A Etretat – Le clos Lupin, 15, rue Guy de Maupassant. Tel : 02 35 10 59 53. Transformée en musée, la maison de Maurice Leblanc est consacrée à son héros.
– En Vallée de la Seine – Entre Rouen et Le Havre : les villages au bord du fleuve : Saint-Martin-de-Boscherville et l’abbaye romane de Saint-Georges (belle restauration des jardins monastiques du XVIIe siècle) ;Duclair où la Cagliostro a l’habitude d’ancrer sa péniche La Nonchalante ;Caudebec et sa belle église Notre-Dame ; l’abbaye de Saint-Wandrille ; Villequier et le musée Victor Hugo ; Lillebonne et ses vestiges gallo-romains.
Où Séjourner
A Rouen – Hôtel de Dieppe, près de la gare, tenu par la famille Guéret. La maison est célèbre pour son restaurant qui propose un fabuleux “canard à la rouennaise”. A découvrir. 5, place Bernard-Tissot. Tel. : 02 35 71 96 00. https://hotel-dieppe.fr/
A Etretat – Parmi les quelques hôtels et chambres d’hôtes dont on trouvera la liste à l’office de tourisme, deux établissements pour la vue imprenable et le charme :
- Le Donjon, Domaine Saint-Clair. Dans cet établissement raffiné, vous pourrez louer la chambre d’Arsène Lupin. A noter la mise en scène de nouvelles chambres autour d’une nouvelle littéraire qui intègre treize personnages dans l’histoire d’Etretat. Etonnant et unique concept. Restaurant gastronomique * Michelin. Chef : Gabin Bouquet. Belle salle à manger décorée par Jean-Charles de Castelbajac. Chemin de Saint-Clair. Tel. : 02 35 27 08. https://www.hoteletretat.com/fr/
Se restaurer
A Caudebec – Restaurant G.a. (traduire « J’ai grand appétit »… Réponse de Voltaire sous forme de rébus à l’invitation de Frédéric II Prusse). Dans le Manoir de Rétival (vue exceptionnelle sur la Seine). 2, rue Saint-Clair . Tel : 06 50 23 43 63. https://restaurant-ga.fr/ . Un étoilé Michelin original tenu par un merveilleux chef allemand talentueux. Repas dans la cuisine au milieux des pianos à l’ancienne.
A Jumièges : Auberge des ruines. Dans une maison à colombages, face l’abbaye, un excellent « gastro » : une cuisine de saison privilégiant les produits locaux. Fermé l’hiver, réouverture en avril. 17, place de la mairie. Tel. : 02 35 37 24 05. https://www.auberge-des-ruines.fr/
A Duclair – Le Réfectoire. Dans l’ancien office de tourisme, un bel établissement près du bac, avec vue sur la Seine. Sans prétention, produits du terroir et de la mer. Le mardi, soirée fruits de mer . 227, route du président Coty. 02 32 93 51 19. https://lerefectoire.eatbu.com/?lang=fr
Maurice Leblanc
Né à Rouen en 1864 Maurice Leblanc, épris de littérature, part à Paris sur les traces de Flaubert et Maupassant. Il fréquente les auteurs et les artistes les plus célèbres, Zola, Goncourt, Debussy, Satie… Il veut devenir écrivain : “Métier sublime ! L’écrivain triture l’esprit, sème les idées fécondes et plaît aux femmes.” Mais sa renommée ne viendra pas de ses romans naturalistes. En 1905, son ami, l’éditeur Pierre Lafitte, le convainc d’écrire, pour son mensuel Je sais tout, une nouvelle policière à l’image de celles d’Arthur Conan-Doyle et de son héros Sherlock Homes. En juillet de la même année, L’arrestation d’Arsène Lupin est publiée. Le gentleman cambrioleur était né. Le succès est au rendez-vous. Il l’accompagnera jusqu’à sa mort à Perpignan en 1941.