La célèbre journaliste Anne Sinclair était l’invitée ce jeudi 16 décembre 2021 du Cercil-Musée Mémorial des enfants du Vel d’Hiv à Orléans. Un lieu qu’elle visitait pour la première fois avant de présenter, face à une salle comble, son récit La rafle des notables, publié en 2020.
par Sophie Deschamps
Invitée de marque ce jeudi 16 décembre 2021 au Cercil-Musée Mémorial des enfants du Vel d’Hiv. Anne Sinclair est sortie bouleversée de la visite du lieu, qu’elle découvrait, et dont elle dira devant une salle archi-comble (le Cercil a dû refuser beaucoup de monde, NDLR) au début de sa prise de parole : « Quand on voit les photos des enfants ici, on a le cœur en lambeaux. » La célèbre journaliste, elle, venait toutefois parler d’une autre rafle, moins connue que celle du Vel d’Hiv mais tout aussi terrible, celle des notables, en traduction du mot allemand “influents”. Car son grand-père paternel, Léonce Schwartz, petit commerçant en dentelles à Paris, faisait partie des 743 juifs arrêtés dans la capitale durant la nuit du 12 décembre 1941, soit presque 80 ans jour pour jour, puis envoyé le soir même à Compiègne à 70 km de Paris. Un camp sinistrement surnommé « le camp de la mort lente » d’où il échappera de peu à la déportation à Auschwitz en mars 1942.
Légendes familiales sur son grand-père
Anne Sinclair, historienne du moment présent de par son métier de journaliste a donc décidé il y a trois ans de regarder dans le rétroviseur afin de s’intéresser de près à l’histoire de son aïeul qui la hantait depuis l’enfance : « J’éprouvais de la culpabilité vis-à-vis de cette incuriosité. » Elle voulait également confirmer les légendes familiales qui circulaient autour de cet évènement, à savoir que son grand-père avait été arrêté par des gendarmes français, conduit à Drancy et libéré par sa femme Marguerite, habillée en infirmière et qui avait détourné une ambulance. Or, au cours de ses recherches Anne Sinclair découvre avec stupeur que Léonce Schwartz a été arrêté par la police allemande même si deux gendarmes français sont présents, qu’il a été conduit non pas à Drancy mais à Compiègne et enfin que sa grand-mère l’a fait sortir à pied du Val de Grâce où il était hospitalisé et non de Drancy, ce qui reste tout de même un acte héroïque. Mais elle ne connaîtra pas malheureusement ce grand-père décédé en 1945 juste après la reddition allemande et le retour de son fils Robert, le père d’Anne Sinclair.
Au final, Anne Sinclair découvre très peu de documents sur son ancêtre mais elle prend peu à peu conscience du drame terrible de cette rafle subie par son grand-père et les 742 autres juifs français, tous des hommes : « J’ai juste eu envie de faire partager son martyr et celui de ses compagnons d’infortune. »
Un récit terrible et poignant
Dès lors, Anne Sinclair se lance dans l’écriture de ce que va devenir La rafle des notables : « Je me suis nourrie des récits et des témoignages de ceux qui ont survécu mais aussi de ceux qui ont jeté sur les voies des billets depuis les trains de marchandises qui les conduisaient à la mort. Je voulais sortir cette histoire de la seule mémoire des spécialistes. »
La journaliste explique alors à l’assistance qui ne perd pas une miette de ce qu’elle raconte que la seule partie “romancée” du livre est l’arrestation de son grand-père à son domicile qui débute comme elle l’écrit « par un coup de sonnette qui fracassa le silence de la nuit au n° 46 de la cossue rue de Tocqueville à Paris ». En fait, explique-t-elle, « j’ai juste repris la trame de toutes ces arrestations qui se déroulaient toujours de la même manière : l’arrivée des policiers au petit jour qui rassurent en disant que c’est l’affaire de quelques jours et qui demandent alors à la personne arrêtée de faire une petite valise avant de l’embarquer ».
La journaliste essaie aussi de rendre compte de cette mort lente infligée aux Juifs du camp C, le plus dur, à cause surtout de la faim, du froid, du manque d’hygiène et des humiliations quotidiennes, même s’il est impossible bien. sûr de se mettre à leur place. Elle rend hommage également à la dignité de ces hommes qui durant les dix-huit premiers mois de leur détention inhumaine « ont trouvé la force chaque jour de faire une conférence d’environ une heure sur leur spécialité juridique, littéraire ou autre afin d’oublier durant une heure où ils étaient et ce qu’ils subissaient ». Beaucoup toutefois estime Anne Sinclair étaient assez lucides sur leur sort : « Ils voyaient bien qu’ils étaient affaiblis volontairement et traités comme des bêtes mais ils ne pouvaient pas imaginer la suite. Même ceux qui étaient à la porte des chambres à gaz ignoraient ce qui allait se passer puisqu’on leur parlait de douche et qu’on leur donnait du savon. »
Écrire contre le révisionnisme
La journaliste qui avait toujours refusé en son temps d’inviter Jean-Marie le Pen sur le plateau de sa fameuse émission du dimanche soir 7/7 récusait déjà dans cet ouvrage, publié en mars 2020, le propos révisionniste sur Pétain, bouclier des Juifs français sous Vichy. Un mensonge repris depuis par Éric Zemmour, dont elle évitera volontairement de prononcer le nom. Elle écrit donc que cette rafle des notables « contredit le récit traditionnel qui prétendait que les Français juifs avaient été pris pour cibles à partir de novembre 1942. (…) Surtout, elle vient infirmer la thèse élaborée par Vichy dès la Libération et reprise aujourd’hui par des polémistes révisionnistes – toutefois démentie par tous les historiens – selon laquelle le Maréchal aurait servi de bouclier aux Juifs français ! D’ailleurs, dès le mois d’août 1941, les nazis en arrêtant des Français avaient testé la faible capacité de réaction de Vichy. » Ce 16 décembre 2021, au Cercil, Anne Sinclair a enfoncé le clou en soulignant outre le mensonge « l’abjection de prétendre que Pétain avait protégé les Juifs français comme si s’en prendre aux juifs étrangers n’avait en fait aucune importance ! »
De son côté Hélène Mouchard-Zay, présidente du Cercil qui animait cet entretien a rappelé que « tous les Juifs, même ceux qui vivaient depuis longtemps en France comme mon père Jean Zay étaient considérés comme des étrangers parce que justement Juifs ». Puis elle ajoute, lucide : « L’antisémitisme prend des visages différents. Lui aussi a des variants qu’il faut savoir reconnaître. C’est pourquoi il faut être constamment en alerte, pour décoder et savoir ce qui se passe. »
Grâce à ce récit rédigé avec le coeur, Anne Sinclair a donc réussi à faire sortir de l’oubli son grand-père paternel Léonce Schwartz mais aussi les Juifs victimes de cette rafle des notables. En hommage ultime, elle a également obtenu que son nom figure enfin en toutes lettres sur la stèle de verre à l’entrée du mémorial du camp de Compiègne.
Anne Sinclair, La Rafle des notables, folio
Photo de Une : Anne Sinclair au Cercil devant une baraque du camp d’internement de Beaune-la-Rolande (que le Cercil a fait classer monument historique) et lisant le texte présentant la petite Aline qui comme les 4400 autres enfants déportés à Auschwitz n’en est jamais revenue.