Sortie ce mercredi 8 décembre 2021 du film Une femme du monde de Cécile Ducrocq. Un long-métrage sensible et fort qui aborde la toujours délicate question de la prostitution féminine. Un thème clivant peu évoqué au cinéma comme sujet principal. D’où l’intérêt de ce film qui donne à voir mais sans jamais juger.
Laure Calamy crève l’écran dans son rôle de mère prostituée qui remue ciel et terre pour assurer un avenir à son fils, qu’elle élève seule. Son but est de chercher par tous les moyens à rassembler 9000 euros pour lui payer une grande école de cuisine à Strasbourg où elle vit. Un personnage à multiples facettes comme la prostitution qui suscite toujours beaucoup de débats en France comme ailleurs entre les pour et les contre. C’est d’ailleurs la deuxième fois que Cécile Ducrocq aborde ce sujet avec un court-métrage La Contre-allée sorti en 2014 dans lequel Laure Calamy jouait déjà le rôle d’une personne prostituée.
Pas de parti pris de la part de Cécile Ducrocq
Ce qui est plaisant dans ce film, c’est que Cécile Ducrocq ne cherche pas à convaincre le public du bien-fondé ou non de la prostitution. Ainsi, Marie est montrée comme une personne prostituée indépendante sans proxénète, qui choisit librement ses clients mais dont la vie est loin d’être rose.
En effet, chaque fois que l’histoire va dans un sens et semble formuler une opinion, la scène suivante apporte le point de vue contraire. On voit par exemple Marie défiler contre la loi de 2016 de pénalisation du client, en expliquant que cette loi rend leur “travail” plus difficile. Ainsi en avril 2021, dans le bilan réalisé par la délégation sénatoriale aux droits des femmes on peut lire : « On voit de plus en plus de négociations venant du client sur le port du préservatif car ils estiment qu’avec la pénalisation du client, c’est maintenant eux qui prennent les risques et qu’ils sont en position de décider. » Mais quand Marie se tourne vers son client régulier, un pharmacien qu’elle reçoit chez elle une fois par semaine depuis quatre ans, ce dernier refuse de l’aider financièrement et la traite brutalement, sans aucune empathie.
Idem quand Marie critique les “filles” africaines qui font les passes dans des caravanes et qu’elle accuse de lui voler “ses” clients. Ce sont elles qui viennent lui filer un coup de main et la défendent lorsque son client-pharmacien commence à la frapper.
On pourrait aussi penser que Marie a “librement” choisi de se prostituer, mais on apprend vite qu’elle n’a ni diplôme, ni soutien familial ou amical et qu’elle ne sait rien faire d’autre. Ainsi à la fin du film quand son fils trouve l’amour et sa voie auprès d’un petit restaurateur sympa, elle reste seule et n’a pas d’autre choix que de retourner faire le trottoir.
L’hypocrisie de la société
Par ailleurs, Marie n’a pas de relations sociales en dehors des autres prostituées qu’elle côtoie, excepté un avocat transgenre qui leur donne de précieux conseils juridiques. L’hypocrisie de la société est montrée avec deux scènes. La première chez son banquier, jeune, qui lui refuse un prêt après qu’elle a déclaré se prostituer et ne pas avoir de garant. Le seconde lorsqu’elle se présente avec son fils à l’accueil de la grande école de cuisine et où elle explique alors être coiffeuse à domicile.
L’exemple allemand
Cécile Ducrocq a également choisi de montrer le modèle allemand. En effet, habitant à Strasbourg, Marie décide de passer la frontière tous les jours pour travailler dans une maison close afin de s’assurer des revenus réguliers puisque dans ce pays la prostitution est légale (voir encadré). Là encore, Cécile Ducrocq ne juge pas et nous montre les bons comme les mauvais côtés de ce système. Il y a les prostituées solidaires qui filent un coup de main et puis celles qui lui refilent les clients violents. Marie est au chaud et n’a plus besoin de racoler dans la rue mais elle doit faire cinq à six passes par jour afin de ramener suffisamment d’argent car ce n’est plus elle qui fixe les prix et elle doit participer aux frais de la maison close. Et même si le patron est l’une de ses connaissances, il peut la virer à tout moment, selon son bon vouloir.
Reste une histoire bien ficelée qui nous tient en haleine et un débat non tranché qui mérite que l’on s’y intéresse au-delà de la sortie du cinéma.
Il existe aujourd’hui trois choix possibles de législations vis-à-vis de la prostitution :
La légalisation : le pays qui l’adopte considère que la prostitution est une activité comme une autre à condition qu’elle soit pratiquée individuellement. C’est le cas pour le Brésil, l’Espagne ou l’Inde. En Allemagne, en Colombie ou en Grèce, la prostitution est une pratique rendue complètement légale, autant dans sa dimension individuelle qu’organisée.
L’abolition : c’est le choix de la France avec la loi du 13 avril 2016 de lutte contre le système prostitutionnel, de ne pas légaliser mais de combattre l’exploitation sexuelle en protégeant les personnes prostituées et en pénalisant les exploiteurs. C’est un compromis où il s’agit de ne pas rendre illégale la prostitution tout en réprimant le client d’une personne se prostituant afin de décourager cette pratique. C’est aussi le modèle choisi par la Suède et le Canada.
L’interdiction : la prostitution sous toutes ses formes est totalement illégale et tous les acteurs et actrices de cette activité sont pénalisé(e)s. Un principe fondé sur l’indisponibilité du corps humain. C’est le cas en Chine, en Lituanie et aux États-Unis.