Pedro Almodovar lumineux

A soixante dix ans passés, Pedro Almodovar n’a pas pris une ride dans son cinéma. Avec Madres paralelas, il nous propose une histoire complexe comme à son habitude, qui tente de dénouer les événements cachés, les filiations bancales, le poids du passé. Servi par un casting de rêve, son film est totalement convaincant. Une pierre de plus au somptueux édifice cinématographique du réalisateur espagnol.

Par Bernard Cassat

Ana (Milena Smit) et Janis (Penélope Cruz) sur le point d’accoucher.

Pedro Almodovar a toujours raconté des histoires familiales compliquées, avec des rapports mère-fille très souvent conflictuels. Dans Madres paralelas, il reprend son sujet de prédilection avec une sérénité nouvelle. Même si les deux futures mères accouchent dans la douleur. Scènes très fortes que ces deux accouchements simultanés, où la femme mûre partage avec la jeune ce paroxysme du féminin, son ADN. Et d’ADN, il en sera question tout au long du film. Almodovar tisse une histoire totalement romanesque. Comme souvent chez lui, les événements sont à la limite du vraisemblable. Mais le roman fonctionne parfaitement.

La famille de Janis, la femme mûre, est marquée par l’exécution, au début de la guerre civile, de son arrière grand-père par les franquistes. Et par la mort par overdose de sa mère à 27 ans, comme les idoles des années 70, dont Janis Joplin, qui lui donnera son prénom. Parce que le passé, les morts, laissent des traces. La famille d’Ana, la jeune accouchée, est plus instable encore. Père irresponsable et de droite, mère peu présente et actrice, séparés depuis très longtemps. Ana ne sait pas qui est le père de son enfant parmi les trois ou quatre violeurs d’une soirée déjantée et alcoolisée.

Janis est photographe. Evidemment. L’image et l’art ont trop d’importance dans la vie d’Almodovar pour qu’elle soit autre chose. Ce métier justifie de magnifiques photos dans le film, genre publicitaire comme le réalisateur en raffole. Mais aussi des séquences touchantes, comme cette séance de photos qu’elle fait avec son bébé. Ou l’on voit bien qu’elle est, puisque c’est une fille, très sud-américaine. Ce que ne sont pas ses deux parents. Le doute va venir du père. Mais Janis, tout attachée à son bébé qu’elle est, va douter elle aussi, jusqu’à faire les tests ADN.

Tout le village vient en procession voir la fosse du charnier ouverte.

Les deux histoires, les deux familles vont ainsi s’emméler, les deux femmes se rapprocher. Avec virtuosité, le scénario se déroule en précisant, une fois de plus, ce lien au départ biologique de la filiation, mais qui va bien au delà. Et comme souvent chez Pedro Almodovar, ce sont les accidents, les déviations qui créent des histoires, qui font des vies, qui amènent la réflexion, qui font de l’art. Et qui n’ont rien à voir avec l’ADN, même si ce dernier reste primordial. Surtout dans ces moments historiques où un pays fait face à son histoire. La procession des femmes du villages venant se recueillir devant la fosse ouverte et fouillée, en tenant devant elles les photos des parents assassinés, est un grand moment de ce film magnifique. Il devance le parcours mémoriel de l’Espagne : une loi vient en effet (début juillet) d’être votée, chargeant l’administration des exhumations et l’État du financement de ces fouilles mémorielles. Il était temps. Trois ou quatre générations ont vécu en laissant ces questionnements souterrains.

Pour une fois, l’accident, l’erreur dans l’histoire, est réparé. Les enfants vont pouvoir aborder l’avenir sans mystère originel. Ce n’était pas toujours le cas chez Almodovar. Madres paralelas, au-delà des difficultés et des traumatismes des deux femmes, s’ouvre sur un ciel dégagé plein de sérénité. Pedro Almodovar vieillit bien : en ouvrant les histoires de ses personnages féminins sur l’histoire de son pays, il rehausse encore d’un cran la puissance de son cinéma. Et l’esthétique, la force des images reste entière, splendide.

Madres paraleles

Scénario, réalisation : Pedro Almodovar

Interprètes : Penélope Cruz, Milena Smit, Israel Elejade, Aitana Sanchez-Gijon

Son : Alberto Iglesias

Directeur photo : José Luis Alcaines

Crédits photos : El Deseo Studiocanal 2021

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