Le 14 octobre dernier, dans un café orléanais, Nathalie Grenon, fondatrice de l’association « Pour une alternative funéraire » et Hélène Chaudeau, conseillère funéraire et membre de l’association creusoise « Par la racine » organisaient un premier apéro mortel ou chacun était invité à parler de la mort. Sophie Deschamps a rendu compte de l’évènement dans Magcentre dans un article qui a suscité beaucoup de réactions. J’ai pris un peu de temps pour proposer ma propre contribution, encouragé par une initiative qui sort fort utilement des sentiers battus.
Par Patrick Communal
Photo Patrick Communal
Le christianisme est la seule religion qui a choisi pour symbole un instrument de torture. Ce choix du supplice ultime, préféré au message porté au mont des béatitudes, a du sens. J’y songeais, il y a peu, en visitant la cathédrale de Strasbourg dont le personnage principal de la grande horloge est un squelette sardonique décomptant le temps qui passe et nous rapproche de la mort. La mort est obsessionnelle dans cette religion et sa représentation omniprésente, je pense un peu spontanément à la danse macabre de la Chaise Dieu, ou à cette sculpture de l’église de Châteauneuf sur Loire. Il nous faut cultiver en permanence l’idée de la mort, moment d’un jugement redouté, pour bien nous conduire pendant notre vie. La mort, c’est l’équivalent du pass sanitaire pour la vaccination ou des radars pour la sécurité routière. Pour la sauvegarde des croyants, l’institution religieuse privilégie donc la peur du châtiment à l’édification morale et spirituelle que pourrait porter le message de paix et d’amour universel des béatitudes.
C’est sans doute pour cela que nos cimetières, à la tombée de la nuit, peuvent illustrer la couverture d’un roman de Stephen King ou que l’alignement des croix contre un mur de celui de Marcilly en Villette où reposent les lycéens parisiens assassinés par les nazis, donne à croire qu’ils font face pour l’éternité au peloton d’exécution, rien qui puisse évoquer leur jeunesse, leurs premiers émois amoureux, leurs études, leur vie en somme…
Mais cela pourrait expliquer aussi les croisades, les geôles de l’inquisition, le massacre des Albigeois, celui de la Saint Barthélémy, les procès en sorcellerie, et encore aujourd’hui l’inhumanité du gouvernement de cette Pologne catholique qui accepte de laisser mourir des enfants devant sa frontière après y avoir célébré des messes et récité le chapelet sur fond de barbelés et de discours xénophobes.
Il y a pourtant de nombreux chrétiens qui ont entendu le sermon sur la montagne et tentent d’en appliquer les principes dans les associations humanitaires ou d’assistance aux plus démunis d’entre nous, mais ils y sont rarement invités par l’institution religieuse, sinon ce pays ne détournerait pas les yeux de Calais, Grande Synthe ou de la porte de la Villette.
Même les plus mécréants finissent le plus souvent leur voyage dans une église catholique, aspergés d’eau bénite, la peur de la mort exerce encore suffisamment son emprise sur les familles pour qu’abbés, curés et évêques tirent leur dernière épingle du jeu.
La mort n’est pourtant qu’un processus biologique banal. Je me souviens de mon père ayant atteint un âge avancé, il ne voulait plus s’alimenter, on m’avait dépêché pour tenter de le raisonner, il était fatigué de la vie et son état physique reflétait ce désir de se reposer ; il m’avait dit alors que ce devait être bien d’être mort, que c’était comme si on s’était endormi. Sauf s’il est atteint d’une affection psychique particulière, personne n’est effrayé par la perte de conscience qui nous enveloppe à l’heure du sommeil et je suis intimement convaincu que lorsque le moment est venu, on n’a pas peur de la mort, même si on a le temps de la voir venir. La peur c’est avant, quand nous sommes encore sous l’emprise d’une culture religieuse assumée ou implicitement subie. Quand mon père me parlait du grand sommeil, il s’était mis à l’écoute de son corps, c’est-à-dire du processus biologique qui s’en était emparé, libéré de la peur, il n’avait plus besoin d’une béquille surnaturelle.
Si cet homme à bout de forces, peu enclin à s’exprimer, m’a aidé à comprendre la mort, il m’a aussi permis d’évoquer plus facilement la mienne, de façon plus intime, parce qu’il est difficile de se déprendre de soi quand on aborde cette lancinante question.
Je crois sincèrement au message des béatitudes, à la prévalence d’un humanisme universel d’inspiration chrétienne mais je ne veux ni messe, ni curé, ni la moindre oraison jaculatoire devant ma dépouille. J’aimerais que ma famille et mes amis se réunissent pour un repas festif, avec des plats délicieux appartenant aux différentes cultures présentes pour que chacun y prenne plaisir, au cours duquel on parlerait de ma vie, pas de ma mort, on évoquerait des anecdotes drôles, méconnues, surprenantes. Je suis comme les chats, j’ai eu plusieurs vies, il y aura de quoi alimenter les échanges. Au final, je sais que ce n’est pas admis par la réglementation mais il me plaît bien que la transgression trouve aussi sa place dans ce rituel, qu’on jette mes cendres en bord de Mer du Nord, du côté de la dune de Zuydcoote, et qu’elles s’évanouissent dans les flots, par un joli matin d’été, “quand la plage est fumante et tremble sous juillet”.
Photo Patrick Communal