C’est dans une salle Pierre-Aimé Touchard comble que Costa-Gavras a reçu dans la soirée du 10 novembre 2021 le Prix Jean Zay, au théâtre d’Orléans. Une cérémonie touchante, suivie de la projection de son dernier film Adults in the Room.
par Sophie Deschamps
Cette cérémonie restera l’un des moments forts de ce festival Récidive. L’assistance de la salle Pierre-Aimé Touchard, où la remise du prix a eu lieu, a ainsi salué debout l’arrivée sur scène du grand cinéaste franco-grec dont les quatre-vingt-huit printemps n’entament en rien la vivacité et l’enthousiasme.
Ce prix Jean Zay symbolisé par une sculpture « Empreinte » de Denis Pugnère, artiste de Saint-Jean-de-la-Ruelle a été remis par Pierre Allorant, président du Cercle Jean Zay, en l’absence de Pascal Ory, président des Amis de Jean Zay. Dans son discours, Pierre Allorant a rappelé que ce prix Jean Zay récompense depuis 50 ans « une personne ou une organisation ayant par son activité professionnelle et pratique ou par la nouveauté de ses idées en matière de pédagogie aura rendu des services signalés à l’éducation, à la culture et à l’éducation populaire ». Un prix amplement mérité donc par Costa-Gavras car poursuit Pierre Allorant : « Nous vous devons un Aveu (film du cinéaste de 1970 sur les années noires du stalinisme, NDLR) : votre cinéma, engagé et populaire, a profondément contribué à l’éducation politique, culturelle et cinématographique de plusieurs générations françaises et européennes. »
« J’ai cru au départ à une blague »
De son côté, le maire d’Orléans Serge Grouard a avoué « avoir cru à une blague lorsque l’on m’a annoncé la venue de Costa-Gavras. Je suis sincèrement impressionné et honoré de pouvoir vous saluer. Car vous êtes bien sûr un grand nom du cinéma mais au-delà et pour des raisons qui tiennent sans doute à une sincérité dans l’engagement et une puissance dans vos films qui est votre spécificité. »
Il a aussi salué la tenue de ce festival depuis 2019 : « C’était une idée formidable de créer à Orléans ce festival de Cannes 1939. C’est aujourd’hui une évidence mais vous avez eu le mérite d’y penser les premiers. »
Il a enfin rappelé que l’année 1940 a été « une année difficile aussi pour Orléans qui a subi de nombreux bombardements allemands avec des morceaux de quartiers incendiés qui ont fait de nombreux morts. Cette mémoire collective demeure. On la croit enfouie, parfois même perdue et en fait elle est là ».
Hélène Mouchard-Zay, fille de Jean Zay s’est ensuite approchée du micro : « Je suis aussi très impressionnée de le rencontrer ce soir. Catherine et moi sommes très heureuses que le prix Jean Zay rende hommage au grand cinéaste qu’est Costa-Gavras, à son œuvre et à son engagement. D’abord, parce que Jean Zay, notre père, dans son action de ministre de l’Éducation Nationale et de la Culture a passionnément cru au rôle essentiel que pouvait jouer le cinéma dans le combat pour l’émancipation du citoyen, combat qui était au cœur du projet politique du Front Populaire.
« Le cinéma doit beaucoup à Jean Zay »
Puis Hélène Mouchard-Zay prend le temps de rappeler ce que le 7ème art doit encore aujourd’hui à Jean Zay. Lui-même amoureux du cinéma qu’il anticipait comme art majeur des années à venir, alors même que celui-ci traversait déjà une crise. Le cinéma qui a du faire face à l’offensive des régimes totalitaires de l’Allemagne nazie et de l’Italie fasciste qui le cinéma pouvait être et serait désormais une arme redoutable de propagande, ainsi que le montrent deux films présentés dans ce festival ( Le juif Süss et Il Cavaliere di Kruja, NDLR). C’est ainsi que dans la continuité antifasciste qu’il a mené dès le début de son engagement politique qu’il a voulu créer un festival de la liberté à Cannes pour contrer La Biennale de Venise, alors aux mains des dictateurs qui en imposaient le palmarès.
Mais il a voulu aussi apporter un soutien décisif au cinéma en lui proposant un statut qui je le cite “entendait épauler les efforts de l’industrie cinématographique française en en respectant la liberté et en y apportant l’harmonie et l’ordre que chacun réclamait”. C’est ainsi qu’il a créé la carte professionnelle avec un dispositif qui préfigurait l’avance sur recettes. En définissant l’auteur d’un film, ce qui apparemment n’existait pas.
Un projet ambitieux qui n’aura malheureusement pas eu le temps d’être voté avant la guerre. Il crée aussi Les Grands Prix des Jurys Nationaux, premières moutures des Césars, qu’il soutient la naissance de La Cinémathèque d’Henri Langlois et qu’il introduit le cinéma à l’école. Il aurait à coup sûr aimé que le prix qui porte son nom soit décerné à un grand cinéaste pour l’intensité de son engagement dans les luttes du présent et pour la forte qualité artistique de ses films.
J’appartiens enfin à une génération qui a été fortement marquée par les films de Costa-Gavras : Z, l’Aveu, État de siège, Section spéciale, Missing, et beaucoup d’autres. Ses films ont accompagné et nourri les grandes mobilisations de ma génération. Et ses films plus récents continuent à porter les grands combats de notre temps. Le film, Adults in the room que nous allons voir ce soir en témoigne.»
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