Premier “Apéro Mortel” à Orléans

Cet apéro-là ne tue heureusement personne. Il permet de venir parler de la mort autour d’un verre de façon très libre et sans se juger les uns les autres. Le premier Apéro Mortel s’est ainsi tenu le 14 octobre 2021 au Bar le Saint-Vincent.

Par Sophie Deschamps

Parler de la mort, c’est évoquer bien sûr ses défunts mais pas seulement. Cimetière Saint-Marc à Orléans. Photo Sophie Deschamps

Pour apprivoiser la mort, le mieux c’est d’en parler. C’est en tout cas la conviction de Nathalie Grenon, fondatrice de l’association Pour une alternative funéraire et d’Hélène Chaudeau, conseillère funéraire et membre de l’association creusoise Par la racine. Ce sont elles qui ont l’idée de ce premier Apéro mortel orléanais qui a réuni pendant une heure trente une trentaine de personnes au café Le Saint-Vincent sur le thème La peur de la mort. 

Comme l’a rappelé Nathalie Grenon en préambule : « C’est un sujet qui nous concerne toutes et tous mais avec lequel on n’est pas super à l’aise. Néanmoins nous nous interrogeons beaucoup sur ces questions, soit parce que nous avons été touchés par un deuil mais aussi parce que la mort fait partie de la vie. Donc, on est là pour partager autour de ces questions qui nous traversent, qui parfois peuvent nous faire peur mais est-ce-que l’on a peur de la mort ou est-ce-que l’on a peur de mourir ? Il y a aussi une vraie volonté de beaucoup d’entre nous de réinterroger ce qu’est la mort dans notre société, aujourd’hui. »

« Nous avons toutes et tous des expériences de mort »

Afin de libérer la parole Hélène Chaudeau a ajouté : « Je ne suis pas là pour vous faire une conférence, je suis aussi venue pour vous écouter et échanger avec vous. Car nous avons toutes et tous des expériences de mort dans nos vies, et nous sommes toutes et tous expert.e.s de ça. C’est d’ailleurs le sens de ces Apéros Mortels : retrouver un savoir commun et briser le silence et le tabou qui se sont instaurés ces dernières années. » 

Les prises de parole ont ensuite commencé, d’abord timidement puis les langues ont fini par se délier. Mais il n’est pas question ici bien sûr de reproduire intégralement les paroles prononcées durant cette heure et demie de discussion et encore moins de citer des personnes, hormis les deux animatrices.

En revanche, il est intéressant de noter la pluralité et la richesse des sujets abordés. Les témoignages de deuil aussi qui peu à peu ont pu émerger grâce à l’écoute bienveillante du groupe. Parfois, des éclats de rire notamment à l’évocation des croque-morts. Voici donc pêle-mêle quelques propos :

Avant la mort

« L’avantage de la mort, c’est que c’est une certitude. Ce qui pose problème, c’est ce qui se passe juste avant. Il y a en ce moment  le film de François Ozon “Tout s’est bien passé” qui aborde le délicat sujet du choix ou non de sa mort. » (Visible au cinéma les Carmes d’Orléans le 2 novembre à 11h55)

« Il y a aussi la possibilité à Orléans de pouvoir accueillir chez soi une personne mourante et faire une veillée jusqu’au lendemain avec un bon accueil des professionnels. »

« Chacun a un avis personnel sur la mort et fait son chemin. Il faut se préparer en profitant des petits bonheurs quotidiens. Moi, pour l’instant, je m’en fiche un peu. C’est le “passage” qui importe mais je peux changer d’avis demain. »

À la question, faut-il en parler en famille, les avis divergent : « On n’en parle pas tous les jours mais je sais ce que mes enfants veulent et vice-versa. »

« C’est un sujet difficile à aborder dans certaines familles. Le premier contact avec la mort passe parfois par celle d’un animal, poisson rouge, chat…»

« La mort est déconnectée de la vie. On meurt de moins en moins chez soi. On a tendance à écarter les enfants lors d’un décès mais on ne les protège pas en fait. Nos grands-parents mourraient chez eux et les enfants jouaient autour du corps. »

« C’est plutôt nous qui projetons notre appréhension sur les enfants. Les enfants ont souvent une approche très juste de la mort. On a mis Mamie en terre. Quand est-ce qu’elle va repousser ? demande un petit garçon. »

« On vit différemment la mort d’un enfant, d’un parent, d’un conjoint ou d’un aïeul. »

Le deuil

« La mort, c’est surtout le problème de ceux qui restent. C’est souvent un vide impossible à combler. »

« Les personnes qui perdent une personne de façon anormale comme un enfant sont très entourées. »

« C’est important d’échanger et de ne pas garder ses émotions pour soi. »

« Tant que l’on n’a pas vécu la situation de la personne endeuillée, on ne peut pas comprendre ce qu’elle ressent mais on peut l’accompagner. L’important c’est de briser sa solitude. »

« Autrefois, on avait des rites. Quand une personne mourrait, il y avait du noir autour de la porte et les voisins passaient. Aujourd’hui, il y a de moins en moins de veillées. »

L’inhumation et les cimetières

A chacun sa croix, celle des fondateurs de l’association “Pour une alternative funéraire” est de créer La Coopérative funéraire de l’Orléanais. Photo Elodie Cerqueira

« Pourquoi assiste-t-on aujourd’hui à cette inflation d’enveloppes autour du corps avec le cercueil et le caveau alors qu’il pourrait s’agir d’un simple retour à la terre comme on le pratiquait il n’y a pas si longtemps ? » Aujourd’hui, la question du compostage du corps des défunts se pose. C’est même déjà une réalité dans l’État de Washington depuis 2019.

« Il y aussi la question de la manière dont les cimetières sont accueillants ou répulsifs parce qu’il existe toute une variété d’ambiances de cimetière qui pour certains sont presque des lieux de promenade et d’autres des lieux que l’on contourne. »

« La question du cimetière comme lieu de promenade ou de pensées, c’est vrai sujet pour nous,  précise alors Nathalie Grenon (Pour une alternative funéraire). Au printempson va aller voir deux cimetières, un naturel à Niort et une forêt funéraire ailleurs.  »

Comme l’a relevé Hélène Chaudeau dans plusieurs Apéros Mortels, « les gens se préoccupent beaucoup de ce qui se passe après la mort. Certain.e.s s’inquiètent aussi d’avoir eu une bonne vie pour avoir une bonne mort. La grande peur c’est aussi de se réveiller dans le caveau. La place du défunt dans ce caveau est aussi primordiale pour les vivant.e.s. Le cimetière est aussi un lieu très particulier parce que c’est à la fois un lieu public où l’ont peut déambuler et un lieu privé où l’on vient se recueillir sur la tombe de nos défunts.  ».

La législation

Le débat a aussi tourné autour de la question du lieu d’inhumation qui doit être celui de la ville où l’on habite et où l’on paie ses impôts, ce que beaucoup vivent comme étant injuste. 

Par ailleurs, les communes vont devoir anticiper puisque l’emploi des pesticides dans les cimetières sera interdit dès juillet 2022. Certaines villes l’on déjà appliquée comme Olivet depuis 2016. Rappelons également que 22 communes de la Métropole, dont Orléans, ont signé en 2012 une charte zéro pesticides pour l’entretien de leurs espaces publics.

Au terme de la rencontre, plusieurs personnes sont restées pour continuer à échanger de façon informelle. Pour Nathalie Grenon et Hélène Chaudeau ce premier Apéro Mortel a été une bonne expérience. Il y en aura donc un nouveau à Orléans, dans un autre café.

L’Apéro Mortel est né en Suisse en 2004 sur une idée du sociologue et anthropologue Bernard Crettaz de renouer avec la tradition païenne des repas de funérailles, afin de permettre aux les vivant.e.s de resserrer leurs liens tout en lâchant ce qu’ils et elles avaient sur le cœur : « Dans cette communauté provisoire, on peut tout ou ne rien dire. On n’est obligé à rien et c’est pour cela que l’on peut beaucoup se permettre y compris d’immenses éclats de rire comme dans les repas d’enterrement ou les fêtes mortuaires. »

Il existe aussi les Café deuil proposés par Jalmalv 45. Les prochains auront lieu le 4 décembre 2021 à Orléans de 9h30 à 11h30 à la maison des associations et le 11 décembre à Châteauneuf-sur-Loire de 10h à midi au Café la Baleine. 

Commentaires

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  1. Merci d’avoir écrit un article détaillé à propos de cette initiative très intéressante. A quand le prochain Café Mortel?

  2. 2 réflexions :
    -Le quartier de l’Argonne n’a pas de cimetière!
    Le cimetière pris en photo rue du Pressoir Neuf
    est le cimetière Saint Marc qui date du temps où Saint Marc était village…
    -le cimetière, lieu de promenade ou de pensées?
    Je regrette le temps où c’était un lieu de vie, avec un gardien qui habitait sur place:la petite maison est tristement vide…

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