Leur Algérie, c’est aussi l’Auvergne

Lina Soualem n’a d’algérien que ses origines. Pour mieux les connaître, elle interroge ses grands parents, tout deux en fin de vie. Dans un documentaire familial complété par quelques éléments historiques, elle plonge dans le Thiers de la coutellerie qui, dans les années cinquante, employait beaucoup de main d’oeuvre immigrée. Et retrouve Leur Algérie, qui au fond était en eux, de ce côté ci de la Méditerranée. Puisqu’ils ont vécu toute leur vie à Thiers, et qu’ils vont y mourir.

Par Bernard Cassat

Mabrouk Soualem, grand-père de Lina. Capture écran

Lina Soualem, actrice et réalisatrice après des études d’histoire, a eu besoin de remonter dans l’histoire de sa famille d’origine algérienne. Ses grands parents, natifs d’un village près de Sétif, en Kabylie, sont venus en France dans le début des années 50. Jeunes, très jeunes mariés, il a travaillé dans les manufactures de coutellerie à Thiers. Six décennies plus tard, ils y vivent encore mais ont décidé de se séparer. C’est l’occasion pour Lina, armée de sa caméra, de venir leur demander un récit de leur parcours.

Lui, Mabrouk, un taiseux, ne lâche que quelques propos amers sur le passé. Dans ses silences, on peut entendre des choses contradictoires. Lina complète donc ces bribes de récit du grand-père par des documents historiques qui ne comblent pas tout à fait les vides de cette trajectoire personnelle, mais la replace dans des mouvements communs de l’histoire de la France et de l’Algérie. Il emploie le mot guerre sans en parler vraiment, cette guerre de libération qui a traumatisé les deux pays, et lui surtout. On aurait bien voulu savoir comment, matériellement presque, il avait vécu cette période, son rapport au FNL présent dans tous les milieux immigrés, ce qu’il pensait de ce mouvement. Mais même sa femme dit que jamais ils n’ont parlé !

Aïcha Soualem, grand-mère de Lina. Capture écran

Pourtant elle, Aïcha, parle de sa vie. Comme toujours dans ces cas là, avec de courts moments de récits. Mis bout à bout, et surtout rattachés par Lina avec des images qui racontent d’elles mêmes, cette femme pleine d’une énergie et d’un bon sens qui forcent l’admiration se réfugie souvent derrière une pudeur qui la fait rire ou pleurer. Arrivée très jeune, à quinze ans et demi, juste après son mariage, elle a fait des enfants et s’est occupée de sa famille, pendant plusieurs décennies, en attendant un retour probable en Algérie. Cette génération, en effet, n’avait pas dans l’idée de s’intégrer. Ce qu’ils ont fait pourtant, sans le dire, sans le savoir peut être, par la force ou l’inertie des choses. Car cette femme de 80 ans, totalement française, ne se distingue maintenant que par un léger accent méditerranéen.

Un personnage important, le père de Lina, sert de médiateur. Zinedine Soualem, fils ainé de Mabrouk et Aïcha, a eu un parcours hors du commun. Après avoir fait du mime à Thiers puis à Paris, il est devenu acteur. Il s’est donc détaché de ce milieu prolétaire immigré pour un autre horizon. Et sa manière de parler – peu, il préfère dire les mots des autres que les siens – de ses parents est très éclairante. Il comprend tout à fait son père et ses silences, et reste très proche de sa mère. Pour lui, la question de l’identité ne s’est jamais posée. Pourtant né en France et n’ayant été en Algérie que tard, il était algérien, sans aucune ambiguïté. Même à 18 ans, il n’a pas demandé la nationalité française. Il a attendu une dizaine d’années avant de se faire naturaliser.

Beaucoup de questions en suspend

Lina navigue dans ces bribes de récits qui éclairent sa généalogie. Elle s’est toujours vécue totalement française, mais la connaissance de ses origines kabyles, comme palestiniennes du côté de sa mère (Hyam Abbass, que l’on peut vois dans un film actuellement sur les écrans, Gaza mon amour) lui semble nécessaire pour être équilibrée. Et qu’elle ouvre l’histoire de sa famille sur l’Histoire rend bien sûr son film passionnant. Qui laisse pourtant beaucoup de questions en suspend. On aimerait plus de précisions sur les différentes chronologies, les oncles et tantes et tous les autres membres de la famille qui sont aussi venus en France. Sur le village près de Sétif où elle se rend et où elle retrouve d’autres gens de la famille. Et l’histoire de son père, certainement passionnante, aurait pu compléter quelques trous pour raconter plus complètement cette famille française qui porte dans ses gènes un bout de terre kabyle.

 

 

Leur Algérie

Scénario, photo, son : Lina Soualem

Montage : Gladys Joujou

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