Les pionnières de la Belle Époque

L’exposition Pionnières présentée au centre Charles Péguy d’Orléans jusqu’au 30 décembre 2021 est essentielle car elle sort de l’oubli des femmes importantes de la Belle Époque (1871-1914) mais ensuite effacées de l’Histoire. Visite guidée avec Sandrine Sigiscar, bibliothécaire principale du lieu.

Par Sophie Deschamps

Affiches Pionnières, exposition centre Charles Péguy. Photo Sophie Deschamps

Cette exposition temporaire Pionnières du Centre Charles Péguy d’Orléans est un évènement important parce qu’elle sort de l’ombre des femmes non pas oubliées, mais littéralement effacées de l’Histoire. Car comme l’a brillamment expliqué l’historienne Michelle Perrot le 13 octobre 2021 dans La Grande Librairie sur France 5 : « Ce n’est pas un complot des hommes contre les femmes, c’est une espèce d’évidence qui se reconfigure à chaque époque. Et c’est pire qu’un complot parce que si c’est ainsi et que c’est évident, c’est beaucoup plus difficile à changer. »

Une réalité qui explique en partie le pourquoi de cette exposition, très bien documentée et  imaginée par Sandrine Sigiscar, bibliothécaire principale du centre Charles Péguy d’Orléans et ses collègues femmes : « C’est vraiment quelque chose qui s’est imposé à nous depuis l’exposition Héroïnes de guerre en 2017. En effet, au fur et à mesure de nos recherches dans nos fonds patrimoniaux, ces femmes resurgissent et très vite on s’est dit qu’elles méritaient que l’on parle d’elles. C’est donc chose faite. Ces femmes ont existé, elles ont fait des choses extraordinaires et pourtant en France, on ne les mentionne pas ou peu. Il y a en même une qui a donné son nom à une impasse ! C’est dire la place qu’on leur accorde.»

L’image idéalisée de la femme à la Belle Époque. Photo de Sophie Deschamps extraite de l’exposition Pionnières du Centre Charles Péguy d’Orléans

Rompre avec l’image d’Épinal de la femme à la Belle Époque 

L’autre intérêt de cette exposition est aussi de déconstruire l’image de la femme véhiculée avant la première guerre mondiale : « Regardez bien le premier panneau parce que c’est le seul où l’on va trouver des femmes comme on se l’imaginait à La Belle Époque (1871-1914), à savoir douces, tout en candeur, en blancheur, en lignes fines…

Il est tout aussi important de préciser le contexte social de l’époque : « Les femmes étaient sous la domination du Code Napoléon. Elles subissaient la pression sociale, religieuse et surtout des dispositions qui leur maintenaient  la tête sous l’eau : mineures à vie, dépouillées, privées de droits pour travailler, du droit de vote, de tellement de choses qui permettent d’être libres et même privées du port du pantalon. Heureusement il y a eu Marie-Rose Astié de Valsayre qui a commencé à lutter contre.»

Et toutes les autres pionnières dans des domaines aussi divers que le travail, le sport, les sciences, la culture, l’écriture. Elles ont alors le courage inouï de faire sauter peu à peu les conventions qui les étouffent, revendiquant le droit, impensable à l’époque, d’une vie indépendante en dehors du mariage et de la maternité. Elles sont tellement nombreuses qu’il est en revanche impossible de toutes les citer. L’Histoire a en retenu une poignée seulement : Marie Curie, Louise Michel, Sarah Bernhardt, Colette, Camille Claudel, Rosa Bonheur, Alexandra David-Néel  ou bien encore Suzanne Lenglen. Mais elles valent toutes bien sûr le détour.

L’époque des premières

 Madeleine Pelletier (1874-1939) première femme médecin diplômée en psychiatrie France en 1906. En effet l’accès à l’internat de psychiatrie est alors interdit aux femmes parce qu’elles n’ont pas de droits civils et politiques (sic). Du coup, Madeleine Pelletier lance une campagne pour faire changer la loi. Elle est aidée dans son combat par la féministe Marguerite Durand qui lui ouvre les colonnes de son journal La Fronde. Créé en 1897, c’est le premier quotidien féministe du monde ! Madeleine Pelletier obtient gain de cause et la loi change.

Caroline Rémy (1855-1929) dite Séverine, féministe, première femme journaliste à vivre de sa plume, première directrice d’un journal (Le Cri du peuple) à la mort de son mari Jules Vallès. Elle est aussi l’autrice en 1903 du premier album pour enfants illustré de photographies Sac à tout, mémoires d’un petit chien, donc avant Colette et ses Dialogues de bêtes.

Ou bien encore Julie-Victoire Daubié (1824-1874) première femme à obtenir le baccalauréat en 1861 à l’âge de 37 ans. Elle sera aussi la première licenciée ès lettres en octobre 1871. Un exploit  puisqu’alors les cours de la Sorbonne ne sont pas ouverts aux femmes !

De gauche à droite, l’équipe de Sandrine Sigiscar (foulard orange) : Laure Fuhrmann, Sabine Matras et Claire Germain autour de la statue de la suffragette Hubertine Auclert, centre Charles Péguy. Photo Sophie Deschamps
Le combat pour le droit de vote

Il y a aussi bien sûr les suffragettes. C’est ainsi que l’on est accueilli dans l’exposition par la statue d’Hubertine Auclert (1848-1914). Une femme exceptionnelle. Journaliste, écrivaine et féministe, elle milite sans relâche pour le droit de vote des femmes. En 1880, elle lance même une grève des impôts avec ces mots : « Les femmes ne sont pas représentées, elles sont considérées comme des mineurs, elles n’ont pas à payer d’impôts ! » Elle sera suivie en 1904 par Caroline Kaufmann qui n’hésitera pas à faire un autodafé du Code Napoléon pour protester contre la célébration de son centenaire. 

Les Loirétaines aussi

Jeanne Chauvin (1862-1926) née à Jargeau devient ainsi la première avocate à plaider en France en 1901 dans une affaire de contrefaçon de corsets. Les hommes accueillent sa prestation par des « Robe sur robe ne vaut ».

Justement, il est difficile d’imaginer pour une femme d’aujourd’hui l’épreuve qui consistait à porter un corset. Herminie Cadolle (1842-1924) née à Beaugency va y mettre fin en inventant le premier soutien-gorge comme le raconte Sandrine Sigiscar : « Le corset existe même pour les petites filles et pour les femmes enceintes. C’est quelque chose de contraignant, qui blesse. Herminie Cadolle le sait. Elle va donc couper ce corset en deux et proposer à l’exposition Universelle de 1889 le premier soutien-gorge.»

Des stéréotypes qui ont la vie dure  

On ressort de cette exposition avec une drôle d’impression. Certes, les temps ont changé. Nous avons obtenu grâce à ces pionnières justement beaucoup de droits, notamment celui de disposer de notre corps. Mais le sexisme ordinaire demeure et pourrait sans doute stupéfier certaines de ces femmes si elles revenaient aujourd’hui. Comme l’explique Sandrine Sigiscar : « Lorsque nous avons travaillé sur cette exposition, ce qui était difficile c’était cette espèce de Larsen qui faisait écho à notre quotidien : cachez vos cheveux gris, attention madame, vous prenez du poids…» Notre pays, qui rappelons-le n’a jamais eu de Présidente de la République.

Pionnières jusqu’au 30 décembre au centre Charles Péguy d’Orléans, 11 rue du Tabour à Orléans. Entrée gratuite du mardi au samedi de 14h à 18h. Vous pourrez même repartir avec un petit livret très complet qui retrace la vie des grandes figures de femmes citées dans cette exposition. 

Vous pouvez même adresser une lettre à une pionnière de votre choix pour la remercier de son action. A déposer dans la boîte aux lettres du centre Charles Péguy avant le 30 décembre.

 

Pour aller plus loin: Les grandes oubliées, Pourquoi l’Histoire a effacé les femmes par Titiou Lecoq, préface de Michelle Perrot (L’iconoclaste)

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