Hausse du télétravail, évolution du management, digitalisation, hausse des salaires…, la conférence de lancement de la 8e édition de l’Economie aux Rendez-Vous de l’Histoire de Blois a abordé ces thèmes au cœur d’une brûlante actualité économique.
Par Jean-Luc Vezon
Avec Aix-en-Provence et Lyon, Blois est devenu l’un des principaux théâtres des débats économiques nationaux. Tout ce que notre pays compte d’économistes, de chercheurs, de syndicalistes et d’intellectuels de renom se donne rendez-vous sur les bords de Loire. Cette année encore le « plateau est exceptionnel » comme l’a déclaré dans son mot d’accueil Yvan Saumet, président de la Chambre de Commerce et de l’Industrie (CCI) 41 avec notamment la présence de Jean Tirole, prix Nobel d’économie.
Décoré par Marc Gricourt de la médaille de la ville de Blois, Yvan Saumet, qui ne se représente pas aux prochaines élections consulaires, a aussi été salué pour « son engagement, son ouverture d’esprit et sa pensée qui sort des sentiers battus ». « Nous allons organiser des états généraux de l’entreprise », dira aussi Marc Gricourt avec sa casquette de premier vice-président de la région Centre-Val de Loire.
Aujourd’hui, demain, travailler, le thème de la première des 35 conférences ou débats de l’Economie aux RDVH a en tout cas inspiré Christophe Degruelle, président de l’agglomération blésoise qui a parfaitement posé le débat entre « la fin du travail », référence au best-seller de Jérémy Rifkin publié en 1995, l’uberisation de l’économie ou l’aspiration à plus de bien-être au travail. « Sommes-nous en train de travailler ? Chacun répondra à cette question. Pour ma part, je participe ce soir à un loisir studieux, fécond et désintéressé pour lutter contre la marchandisation du monde », a avancé l’élu avec sa verve habituelle.
Le boum du télétravail
Très riche, le débat entre les trois invités (Muriel Pénicaud, ancienne ministre du travail entre 2017 et 2020*, Isabelle Plaid, DRH du BRGM à Orléans et l’économiste de Natixis, Patrick Artus, a permis de mesurer et comprendre les profondes évolutions actuelles du travail qui sont largement liées à la crise sanitaire mais aussi aux transitions digitales et écologique de notre appareil de production.
La première d’entre-elle est la montée du télétravail qui est passé de 4% en 2019 à 37% avant le troisième confinement (source Dares). Sa mise en place dans les entreprises et les administrations a aussi eu un impact sur la productivité en particulier des salariés les plus créatifs (+ 23%) tandis qu’aucune amélioration n’a été constatée pour ceux exerçant des métiers répétitifs. Côté immobilier, les entreprises adoptent de plus en plus le flexoffice ce qui se traduit déjà par une vacance des surfaces de bureaux.
Le management a du s’adapter à cette situation comme l’a signalé Isabelle Plaid : « Nos managers ont été accompagnés. Ils sont passés du contrôle au coaching pour laisser aux salariés plus d’autonomie et d’agilité. Au-delà, je crois plus à un mix entre télétravail et présentiel ». Pour Muriel Pénicaud qui l’a introduit dans la loi, le télétravail est même devenu un sujet anthropologique : « 70% des salariés veulent continuer. C’est devenu irréversible. Les entreprises qui le refusent s’exposent à une pénurie de compétences. »
L’impact de la crise a aussi été abordé. « Nous avons mis un airbag sur l’économie avec toute une série de mesures dont l’activité partielle pour protéger le capital humain. En 10 jours, 10 millions d’entreprises et 8 millions de salariés ont bénéficié de cette protection unique au monde », a révélé Muriel Pénicaud, aujourd’hui ambassadrice de la France à l’OCDE.
Accélération de la digitalisation
L’arrivée du numérique dans tous les secteurs génère une bipolarisation du marché du travail. C’est la thèse de Patrick Artus, qui constate la disparition des emplois intermédiaires (techniciens, employés …) au profit d’emplois très qualifiés et d’exécution à l’autre bout de la chaîne. En Allemagne par exemple, une étude a démontré que l’arrivée d’un robot supprimait trois emplois de techniciens mais créé cinq emplois de service.
Les intervenants s’accordent à dire qu’il s’agit aujourd’hui « d’une vague sans précédent » voire « d’une révolution du travail » qui va impacter tous les secteurs et métiers avec le risque d’un accroissement des inégalités. Avec l’intelligence artificielle, ce sont même les professions intellectuelles comme les avocats qui vont devoir s’adapter. Au total, 50 % des emplois d’aujourd’hui ne seront plus les mêmes dans 10 ans.
Dans ce contexte, la question des compétences se pose avec acuité avec la nécessité de former les salariés à cette révolution. De nombreux outils existent comme le CPF ou le projet de transition professionnelle (PTP). Il y aurait ainsi actuellement un million de personnes qui anticipent leur reconversion. Pour Isabelle Plaid, « les entreprises devront aussi être apprenantes et mobiliser tous les outils et financements de la formation continue. C’est leur responsabilité mais les salariés devront aussi être acteurs ».
Des métiers qui ont du sens
Autre révolution, la transition écologique a aussi été abordée. « Nous aurons besoin d’investir 2 à 3 points de PIB pendant 30 ans pour la réussir », a averti Patrick Artus. En clair, comment transformer un mécanicien industriel de la vallée de l’Arve en technicien éolienne intervenant sur de l’offshore ? Il est donc urgent de mettre les bouchées doubles d’autant plus qu’il est possible de créer des centaines de milliers d’emplois qui ont du sens comme ceux liés à l’économie circulaire.
Et les salaires dans tout ça ? « Les branches doivent négocier des hausses mais aussi améliorer la promotion et les perspectives de carrière. La France a besoin de remettre en route l’ascenseur social », a insisté Muriel Pénicaud. S’agissant des métiers de « la seconde ligne », ces hausses sont d’autant plus nécessaires, une grande conférence salariale a ainsi été évoquée.
La soirée s’est achevée sur des échanges autour de la nécessité d’une régulation européenne notamment pour encadrer les plateformes car « si la COVID-19 a rendu jeune tout le monde », elle menace surtout l’équilibre de nos sociétés et accentue la précarisation de nombreux travailleurs.
*Au début du débat, celle-ci a été vivement conspuée par des militants de la CGT qui ont scandé « à bas, à bas la réforme du chômage ». Ils ont été manu militari évacués.