[Sexisme ordinaire] Le sexisme dans les études médicales a-t-il tué ?

Malgré la féminisation du corps médical, la domination masculine perdure. Les spécificités physiques, psychologiques et sociétales de la femme sont quasiment toujours ignorées dans l’apprentissage médical. Les femmes et les hommes ne sont pas égaux devant la maladie, l’ignorer peut avoir des conséquences délétères. 

Par Jean-Paul Briand

La médecine se féminise mais dans les recherches médicales, le corps masculin reste la norme. Photo Pixabay

Générations après générations, les médecins sont façonnés par des enseignants majoritairement masculins. Or la démographie médicale se féminise de plus en plus. Parmi les médecins généralistes de moins de 40 ans, les femmes représentent 65%, elles sont 62% chez les spécialistes médicaux et 48% chez les spécialistes chirurgicaux. La domination masculine se perpétue néanmoins dans les Centres hospitalo-universitaires (CHU) où sont formés les toubibs. A la faculté de médecine de Tours, pour une centaine au total de professeurs des universités, le nombre de femmes n’atteint pas la vingtaine. Malgré les réformes, le mandarinat mâle règne toujours sur l’enseignement des professionnels de santé.

Le corps masculin constitue la norme

Les manuels de médecine, même ceux qui décrivent les maladies liées à la féminité, aux organes génitaux féminins et à la grossesse, sont depuis trop longtemps rédigés, dans leur grande majorité, par des hommes. Lorsque les carabins apprennent la sémiologie (catalogue des signes pathologiques), ce sont les symptômes de malades mâles. L’étude des maladies est genrée. Le corps masculin constitue la norme. On ne pourrait que simplement déplorer cette manifestation de la domination masculine sur le monde médical, si ce n’est que les maladies peuvent avoir des expressions très différentes chez la femme. Or les médecins soignent aussi bien des hommes que des femmes. Un diagnostic, tout comme un traitement, a des spécificités selon le sexe (également en fonction de l’âge, de l’ethnie, de la culture). L’écoute, la symptomatologie, l’examen, la prise en charge d’une femme ne peut être superposable et identique à celle d’un homme. Ne pas l’enseigner et l’ignorer peuvent avoir des conséquences gravissimes. 

Ce sont les femmes qui sont les premières victimes des maladies cardio-vasculaires

Les maladies qui atteignent le cœur et les vaisseaux sanguins, telles que les infarctus du myocarde, les accidents cérébraux, sont communément reconnues pour être des maladies qui atteignent principalement les hommes. Ce préjugé est faux ! Des différences existent entre hommes et femmes dans le repérage du risque cardio-neurovasculaire, l’accès aux soins, les caractéristiques de la maladie et des traitements. Ce risque, anormalement sous-évalué chez les femmes, entraîne une prise en charge dommageable avec une surmortalité anormale.

En France, l’infarctus du myocarde est devenu la première cause de mortalité chez la femme et les accidents vasculaires cérébraux; la deuxième cause. Une femme sur trois mourra d’un accident cardio-vasculaire qui tue aujourd’hui sept fois plus que le cancer du sein. Ainsi, ce sont les femmes qui sont les premières victimes des maladies cardiaques et artérielles, chez qui elles progressent, alors qu’elles régressent chez les hommes. Ces causes de mortalités féminines restent pourtant encore peu documentées en recherche médicale. Cette méconnaissance basée sur un a priori phallocentrique a sans doute coûté la vie à de nombreuses femmes…

Une inégalité des soins pénalise les femmes

Sur le site de l’Hôpital américain de Paris on peut lire : « Pendant de nombreuses années, la mauvaise perception du risque cardiovasculaire chez les femmes, dont les symptômes peuvent être différents de ceux ressentis par les hommes, a conduit à une prise en charge plus difficile tant du point de vue du diagnostic que du traitement et du suivi médical. » En clair, le leadership masculin de la recherche et des études médicales ont eu pour conséquences que des générations de médecins sont probablement passés à côté de diagnostics cardio-vasculaires particulièrement délétères chez de nombreuses femmes. Parce que les médecins, essentiellement enseignés par des hommes, n’ont pas appris à repérer les signes d’alerte cardiaque féminins, de nombreuses femmes ont subi des pertes de chances. Une étude réalisée en 2017 sur 60 000 malades montre que les femmes hospitalisées pour infarctus du myocarde ont une mortalité, à un an, supérieure de 89% à celle des hommes, parce qu’elles ne bénéficient pas de soins et prescriptions au même niveau que les hommes. Une inégalité scandaleuse des soins pénalise les femmes.

Une politique de santé genrée discriminatoire

Les papillomavirus humains (HPV) entraînent les cancers du col de l’utérus. Les HPV portés par les hommes infectent leurs partenaires sexuelles. Les institutions sanitaires françaises ont pourtant choisi initialement une politique préventive anti-HPV ciblée uniquement sur les femmes avec une recommandation de vaccination seulement pour les jeunes filles entre 11 et 14 ans. Ce n’est qu’en 2020, 13 ans après la première mise sur le marché du vaccin, que le calendrier vaccinal recommande également la vaccination contre les HPV pour tous les garçons de 11 à 14 ans. La vaccination anti HPV est un bel exemple d’une politique de santé genrée discriminatoire.

Une prise de conscience salutaire émerge 

En médecine, les différences dues au sexe sont encore trop souvent méconnues. Heureusement une prise de conscience salutaire émerge. Lors de la remise du rapport au Ministre de la santé, le 15 décembre 2020, « prendre en compte le sexe et le genre pour mieux soigner : un enjeu de santé publique », la rapporteuse, Madame Catherine Vida a dénoncé les représentations stéréotypées des maladies. On reconnaît aujourd’hui que la femme et l’homme ont des caractéristiques distinctes et doivent être soignés différemment. La féminisation lente mais progressive du monde médical va assurément remettre en question l’utilisation de l’homme blanc, d’âge moyen, comme standard de la recherche et des études médicales… 

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