[Sexisme ordinaire] Trois témoignages sur les agissements sexistes en faculté de médecine

Depuis de nombreuses années des internes alertent les autorités afin de dénoncer le harcèlement sexuel et le sexisme dans les études médicales et notamment dans les stages hospitaliers. Nous avons questionné, sur ce pitoyable phénomène, un garçon et deux jeunes filles en sixième année à la faculté de médecine de Tours. Par souci de protection de nos sources, leurs prénoms ont été modifiés.

Propos recueillis par Jean-Paul Briand

Le CHU de Tours. Photothèque CHU

En 2017, l’Intersyndicale nationale des internes (ISNI) a publié une enquête révélant que près de 9 % des répondants avaient vécu une situation de harcèlement sexuel et 68 % se déclaraient victimes de sexisme au quotidien. Cette étude vient d’être tristement confirmée par celle de l’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf) le 18 mars dernier. Qu’en pensez-vous ?

Maud : Ces chiffres sont le reflet de discussions quotidiennes. Je suis peinée et fâchée d’avoir à lire ces taux, mais reconnaissante du travail actuel de ces instances pour libérer la parole autour de tous ces actes inadmissibles.

Aline : Le chiffre de 68% est très important mais n’a rien d’étonnant. Je pense qu’il n’est pas spécifique du monde médical. Il est le reflet d’une hiérarchie abusive, d’un manque de considération et de confiance dans le travail et la compétence des femmes par certains hommes mais aussi par certaines femmes. 

Pierre : Je ne suis pas surpris par ces chiffres relatifs à ce type d’agressions, même si je n’en ai pas été témoin directement. Beaucoup de témoignages me sont parvenus sur des attitudes sexistes, en particulier verbales. Ce sont souvent des propos sinueux, ambigus ou insidieux, qui ne sont pas directement préjudiciables. Malgré le profond malaise qu’ils occasionnent, la personne agressée se dit que ce n’est pas la peine de les signaler auprès d’une quelconque administration. Lorsque les paroles sexistes sont sans équivoque, pour s’y opposer frontalement elles nécessitent un rapport conflictuel avec sa hiérarchie tellement déséquilibré que souvent les victimes n’osent pas réagir. Tous ces mécanismes font qu’il est très difficile de combattre ce phénomène et explique les pourcentages si élevés dans l’enquête de l’ISNI.

Dans votre faculté, des enseignants, des chefs de service, sont-ils particulièrement redoutés pour avoir des attitudes sexistes, voire pires ? 

Pierre : Je suis toujours passé dans des services où les encadrants étaient particulièrement bienveillants. Je n’ai jamais été directement témoin d’attitudes sexistes en stage et encore moins pendant les enseignements à la faculté. Etant un homme et compte tenu de mes choix d’orientation, je suis moins à risque d’être victime. Par ailleurs, j’ai toujours évité les blocs opératoires qui sembleraient être propices à ce type d’agissements. Il existe malheureusement des services et des praticiens connus pour avoir des comportements déplacés. On se transmet les infos entre nous…

Maud : J’ai subi de nombreuses paroles sexistes notamment au bloc opératoire, des invitations à connotations sexuelles très directes, des mains sur les cuisses… Il m’est arrivé une fois de ne pas me sentir en sécurité et d’avoir peur en apprenant que je devais accompagner un certain chef de service durant sa matinée de consultations. Ce n’est pas acceptable mais je n’ai jamais su comment réagir. Je n’ai jamais eu le courage de recadrer un médecin sénior me manquant de respect. C’est arrivé principalement au début de mon externat. Je n’avais pas alors l’acquis nécessaire pour comprendre qu’il fallait en parler. Mettre ces agissements sur le compte de la rigolade n’enlève pas le fait qu’ils soient particulièrement malsains.

Aline : Des médecins sont connus pour être particulièrement familiers ou « tactiles » avec les femmes de sorte qu’elles se préviennent entre elles avant chaque stage. Dans certains services, il est parfois conseillé de ne pas porter de robe ou de jupe pour ne pas « chercher » les chefs. Certains médecins font des commentaires sur le physique, la façon de s’habiller ou posent des questions choquantes telles que « t’as un mec ? » ou « t’as baisé hier soir ? ». Ces comportements vont jusqu’à des gestes déplacés comme une main sur la cuisse. Le rapport d’autorité nourrit la peur des représailles. Beaucoup n’osent pas répondre. Si une réplique incisive est faite, les chefs ironiseront alors que l’on « ne sait pas rigoler », qu’on est « susceptibles ou coincées ».

Pensez-vous que ces comportements puissent influencer le choix d’une carrière ? 

Pierre : Oui, sans aucun doute. L’appréciation d’une spécialité et donc son choix de carrière dépend énormément de l’expérience vécue en stage. Vivre des expériences sexistes peut être douloureux et décourager au point que la victime ne puisse plus poursuivre une spécialité médicale qui lui correspond pourtant parfaitement. 

Aline : Indirectement ces comportements ont une influence sur le choix de la spécialité. Il y a le cas particulier de la grossesse et du congé maternité. Pendant l’internat cela peut retarder la formation. Certaines spécialités, comme la chirurgie, privilégient souvent les hommes qui eux ne risquent pas de faire de « pause grossesse» pendant leur cursus. Cet avantage leur facilite l’accès à des postes plus importants.

Maud : Notre choix professionnel est guidé par la vision que l’on se fait de notre futur mais aussi de ce que l’on peut et veut accepter. Il me semble impensable d’exercer dans un service où l’ambiance est malsaine et où le machisme règne en maître. Je ne pourrais m’y épanouir. Malheureusement, il existe des services de spécialités dites “reines” où les attitudes sexistes prédominent. Même de retour chez soi, la qualité de vie continue d’être impactée par ces comportements affligeants subis au travail.

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