“Notre philosophie est d’aller au-devant des publics”

Rendre les sciences accessibles au plus grand nombre : c’est l’objectif ambitieux que se fixe chaque année la Fête de la Science. Pour son 30e anniversaire, le thème choisi est « l’Émotion de la découverte ». L’événement court du 2 au 11 octobre 2021 et son ambassadeur régional est André Brack. Nous l’avons rencontré.

Propos recueillis par Sophie Deschamps
André Brack, ambassadeur 2021 de la fête de la Science en Région Centre Val-de-Loire, photo Sophie Deschamps

Cet Alsacien, chimiste de formation est arrivé au CNRS d’Orléans en 1967. Il s’est fait connaître pour ses travaux de recherche sur la vie extraterrestre débutées dans les années quatre-vingt, au CNRS d’Orléans. A 83 ans, ce passionné de transmission du savoir scientifique, et qui n’a aucune envie de raccrocher les gants, va donc être le porte-parole de la science du 2 au 11 octobre 2021, dans toute la Région Centre-Val de Loire. 

Comment vous emparez-vous de ce rôle d’ambassadeur de la fête de la Science dans notre région ?

André Brack : À vrai dire, je ne fais que continuer une action que je mène depuis trente ans, puisque j’ai créé Centre sciences en 1991, qui pilote l’évènement. Et plutôt que de faire un centre d’accueil du public, on a préféré aller au-devant des publics. C’était notre philosophie qui est devenue la philosophie nationale, donc on était déjà précurseurs à l’époque. Centre sciences encourage les scientifiques à rencontrer les publics scolaires. Ainsi, nous soutenons l’opération « collèges la main à la pâte » qui envoie des scientifiques dans les classes en tant que parrains pour encourager et encadrer des opérations scientifiques montées par les établissements. J’ai ainsi parrainé un projet au collège Bégon de Blois et je viens de démarrer un parrainage avec le collège Montesquieu à Orléans-la-Source sur un projet autour de Mars. Mais pour la fête de la Science, je tiens à dire que mon rôle d’ambassadeur est plus honorifique que pragmatique.

Durant les dix jours de la manifestation, vous irez à la rencontre des publics…

A.B. : Bien sûr ! Le 2 octobre au matin je serai présent au village des sciences de Vierzon et le dimanche 3 octobre, je serai au Mobe [le nouveau Muséum d’Orléans, NDLR] entre 10h et 13h pour présenter la vitrine sur le thème de la terre primitive et l’origine de la vie, ayant apporté des conseils à sa conception. Par ailleurs, le mardi 5 octobre, je donnerai une conférence à Tours sur l’origine de la vie et la recherche de la vie extraterrestre, un de mes sujets de prédilection. J’ai d’ailleurs coutume de dire qu’il n’y a pas de petits bonshommes verts sur Mars, ni dans le système solaire, mais qu’ailleurs on ne sait pas !

Le thème de cette année est “L’Emotion de la découverte”. Face à la rationalité de la science, quelle place prend l’émotion ?

A.B. : Pour répondre je cite, comme souvent, mon ami, le prix Nobel de Médecine Christian de Duve, qui a écrit : « J’ai connu la joie d’apprendre, le plaisir presque voluptueux de comprendre, le rare éclair d’illumination, l’austère satisfaction d’observer les règles du jeu scientifique, fondées sur la rigueur et l’intégrité intellectuelles. Ces émotions et ces impératifs, je les ai partagées avec d’autres scientifiques. Et j’ai aussi vibré dans d’autres registres, en résonance avec des poètes, des écrivains, des artistes et des musiciens qui m’ont ému par leurs œuvres et leurs interprétations ». (À l’écoute du Vivant, Odile Jacob, 2002). La vulgarisation des sciences, outre le partage du plaisir de comprendre, a aussi pour mission de donner à chaque citoyen un bagage minimum pour qu’il construise avec rigueur sa propre opinion afin de sortir des complots et des fausses nouvelles, surtout aujourd’hui.

Justement, il y a eu “l’affaire Raoult” au début de la pandémie avec l’annonce d’un médicament miraculeux, l’hydroxychloroquine. Estimez-vous que Didier Raoult a manqué de rigueur ?

A.B. : Tout à fait. Il est sorti de la démarche scientifique en manquant de rigueur et c’est grave. Il a succombé à la recherche d’un impact médiatique et d’une notoriété, cela a d’ailleurs très bien marché. Je ne suis pas sociologue mais il semblerait que ce genre d’attitude révèle une tendance de la société : les gens n’arrivent plus à exister par eux-mêmes, mais à travers l’image qu’ils se construisent via le regard de l’autre et les médias.

Cela vous inquiète, d’un point de vue scientifique ?

A.B. : Oui cela m’inquiète parce que la chloroquine a soigné quelques cas bénins mais ça n’a pas empêché les gens de mourir. Donc on en revient toujours à la limite entre la rigueur scientifique et la croyance. Et quand on passe de l’une à l’autre, cela devient très préjudiciable pour la société. Il est donc très important de développer son esprit critique. C’est la raison pour laquelle, lors de mes interventions en milieu scolaire, je commence toujours en expliquant que la démarche scientifique et la croyance sont comme deux droites parallèles, donc qui ne se rencontrent jamais. Il faut que chacun se respecte en faisant bien la différence entre croyance et démarche scientifique.

Avec toutefois cette limitation qui se traduit par l’expression « dans l’état des connaissances actuelles ». C’est un marqueur important parce que la science n’est jamais figée ?

A.B. : La croyance n’exige aucune preuve et peut donc durer contrairement à une théorie scientifique qui peut être battue en brèche demain. Comme le dit Pirandello dans sa pièce Six personnages en quête d’auteur  : « Les faits sont comme des sacs, lorsqu’ils sont vides, ils ne tiennent pas debout. »

Pour finir, quelles sont les principales qualités d’un bon scientifique, selon vous ?

A.B. : La rigueur et la créativité, car il ne faut pas oublier que le scientifique est aussi un peu artiste puisqu’il fait œuvre de création. C’est pourquoi je trouve qu’il est important de jeter des passerelles entre la science et les arts.»

À Lire aussi : « La fête de la science, c’est cultiver la curiosité, l’interrogation, l’émerveillement »

 

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