Le cinéaste Bruno Dumont se penche sur le petit écran

France, le film de Bruno Dumont, décortique la « malinfo » que nous assène la télévision en permanence. Il aborde ce monde et ce système par le regard et la personnalité de son personnage de journaliste-présentatrice, France. Il nous fait entrer dans sa vie, au risque de perdre le fil de son sujet. Pourtant, sa mise en place du mensonge télévisuel était passionnante.

Dans ses deux derniers films, Bruno Dumont adaptait une pièce de Péguy, Jeanne D’Arc. On sait son attachement à l’auteur orléanais, cet homme complexe, anticlérical puis fervent catholique, et surtout effrayé par la perte de valeur profonde du monde moderne. C’est dans cette optique que le cinéaste aborde la question de l’information, des chaînes de télé qui diffusent toute la journée des reportages bidonnés.

Bidonnage au tournage, bidonnage au montage

France De Meurs sur le terrain avec son cameraman. Photo cran

France De Meurs, au nom symbolique, est une scintillante journaliste de télévision jouée par Léa Seydoux, plus belle que jamais. France part, dans une première séquence, quelque part dans le désert pour interviewer un chef de tribu rebelle. Mais au lieu de rencontrer cet homme, elle construit une sorte de sketch, dirigeant autant son cameraman que les rebelles eux mêmes. Elle pose en deux mots une pauvre question à laquelle son interlocuteur, tourné en ridicule, ne répond pas vraiment. De toute façon, elle n’écoute pas la réponse. Et Dumont ne s’arrête pas à dénoncer le bidonnage au moment du tournage. La séquence continue à Paris, au moment de la présentation à l’antenne. Les images qu’on a vues filmer dans la « réalité » deviennent un reportage comme on peut en voir des centaines sur le petit écran. Qui ne dit rien sur la réalité, justement, mais qui met en valeur la journaliste elle même. Ce que ne cesse de lui répéter son assistante coach, jouée par Blanche Gardin, aussi insupportable que son rôle !

Et lorsqu’elle présente ses repôrtages. Photo cran

Le star système des présentateurs

Et les scènes de prises de vue sur le terrain vont se répéter, pour bien montrer les différentes manières de faire vivre la peur et l’horreur de la guerre au spectateur en lui faisant croire que l’on a filmé au cœur de l’action. Ce qui n’est pas tout à fait faux. France prend des risques. Mais en même temps, elle ne rapporte rien, elle ne montre rien, sinon qu’elle a pris des risques. Et sa popularité, l’estime du public, sa cote sont proportionnels au danger. C’est le nerf de cette clique de l’information. Coach Blanche le répète à longueur de répliques « elle est géniale, cette fille », « tu vas faire un malheur ! » Relations humaines dérisoires d’un monde qui ment au lieu d’informer.

Il s’agit bien d’un système. Le dîner de gala auquel se rend France en est un sommet. Un magnifique représentant du monde de l’entreprise (vue par ses dirigeants) se lance dans un discours sidérant analysant le capitalisme comme un véritable don de soi. France en reste sans voix tant le propos sonne comme un déni de réalité. Qui la touche au point de lui faire quitter cette assemblée.

Mais tout devient trop

Car France n’est pas totalement dupe. Un incident, en fait un léger accident de voiture, va la faire tomber dans un burn-out. Le film bascule de la description d’un système à l’évolution d’un personnage. On suit parfaitement ce glissement, intéressant parce que le personnage de France est attachant et terriblement bien joué par Léa. Elle se met à pleurer, à pleurer un peu trop, comme Jeanne chez Péguy. Et tout devient trop. Sa vie de famille, son mari écrivain joué par un Biolay toujours acteur aussi nul, son séjour dans les Alpes pour se soigner, le piège dans lequel elle tombe, monté par un « collègue » sans scrupules… C’est long et on n’y croit plus vraiment. Et puis la dernière partie, la destruction de sa famille, est vraiment en trop, n’ayant quasi aucun rapport avec le début. Peut être Bruno Dumont voulait nous emmener dans ses propres développements sur la rédemption. Lorsque France, pour se « racheter » à ses propres yeux, essaye de militer chez les bénévoles qui distribuent la soupe populaire, elle est à ce point rejetée par tout le monde que c’en devient insupportable. Elle ne sera jamais Jeanne D’Arc, et ne pourra que reprendre ses manipulations télévisuelles.

La force de la première moitié du film était intéressante. Dommage que la dernière partie ne soit pas à la hauteur.

Bernard Cassat

France
Scénario, dialogues, réalisation: Bruno Dumont

Avec : Léa Seydoux : France de Meurs, Blanche Gardin : Lou, Benjamin Biolay : Fred de Meurs, Emanuele Arioli : Charles Castro

Musique originale : Christophe

2h10

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