Par Patrick Communal
Le 28 juillet à 4 h 30 du matin, Masomah Ali Zada, petite reine de Kaboul, était sur la rampe de lancement de l’épreuve du contre la montre de cyclisme féminin des Jeux Olympiques de Tokyo. Ce fut un moment particulier d’émotion pour sa famille qui réside à Orléans et tous ceux et celles qui l’avaient soutenue depuis son arrivée en France. Masomah, membre de l’équipe olympique des réfugiés était la première cycliste afghane et la première réfugiée en France à participer aux Jeux avec pour objectif principal d’adresser un message au monde en proclamant le droit des femmes à vivre et choisir pleinement leur destinée, qui comportait pour elle, celui de pratiquer le sport.
Mon fils présent aux Jeux comme coach officiel de Masomah a tenu un journal de bord dont j’avais prévu de m’inspirer pour partager avec les lecteurs de Magcentre quelques épisodes de ces journées si riches depuis la cérémonie d’ouverture jusqu’à la compétition. Les circonstances ont bouleversé ce projet, la chute de Kaboul passée en quelques jours sous le contrôle des Talibans, la nuit qui va s’abattre sur le pays, les images qui nous parviennent des rues de la capitale afghane, le chaos régnant à l’aéroport, justifient qu’on ouvre l’espace d’un moment, une parenthèse sur la seule question du sport féminin.
Masomah (à droite) lors d’une Vélorution orléanaise avec sa sœur et Patrick Communal (cl GP)
Si ma famille a entretenu avec celle des petites reines de Kaboul un rapport fusionnel – Masomah et Zahra sont présentes à nos cérémonies de mariage comme à celles de deuil, elles sont devenues des nôtres en somme – j’ai depuis quelques années accompagné avec bonheur un certain nombre de réfugiés, hommes et femmes afghanes dans leur demande d’asile. Parmi eux, il y eut Zahra, sociologue menant des travaux de recherche avec des équipes internationales, qui animait des émissions de radio sur des thèmes de société, organisait, dans sa province, des réunions sur les droits des femmes, ce qui lui avait valu un courrier de condamnation à mort d’un gouverneur Taliban, Mohammad journaliste d’investigation et chroniqueur des droits de l’homme, Sofia, animatrice de télévision, également menacée comme femme engagée et exposée aux regards publics. Quelques autres encore, de petits paysans accusés souvent à tort d’avoir dénoncé des exactions de partisans des insurgés aux autorités. Des gens qui avaient fui la guerre, les bombardements, dont la ferme et les récoltes avaient été détruites.
Je voudrais dire que nous n’avons aucune raison d’avoir peur de ces damnés de la guerre, ils nous ressemblent, savent rire ou pleurer comme nous, et s’ils prient parfois un dieu différent, les mères chérissent comme nous leurs enfants. Ils sont nos semblables.
J’ai lu ces derniers jours beaucoup de déclarations publiques, exprimant la légitime émotion face à la situation qui prévaut aujourd’hui à Kaboul, l’inquiétude quant au traitement qui sera infligé aux femmes, aux militants des droits de l’homme, aux esprits ouverts à la modernité, aux étudiants, aux artistes, aux musiciens, aux sportives.
Nous vivons dans la Métropole d’Orléans, la cité de Jeanne – noblesse oblige – ce serait l’honneur de notre communauté ligérienne que soient mis en œuvre des dispositifs d’accueil et d’hébergement permettant de recevoir dignement les hommes, les femmes et les enfants qui fuient la tragédie afghane et frappent à notre porte. Ce n’est pas une dépense qui bouleversera les équilibres budgétaires, pour autant elle n’aura pas de prix au regard du respect que nous pouvons avoir de nous-même. A certains moments, il est bon que ceux qui nous dirigent puissent faire preuve de courage et de générosité et cessent de nous voir comme un peuple frileux, recroquevillé sur lui-même et effrayé par l’altérité.