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Date initiale de publication 2 mai 2021
En cette période de montée des populismes, il n’est pas inutile de revisiter certains événements précurseurs de l’arrivée des catastrophes. Certes, nous ne connaissons pas l’extrême violence politique de l’Allemagne des années 30, mais la vigilance reste primordiale, et ce livre nous rappelle l’impérieuse exigence du respect du droit républicain face à des activistes qui prétendent toujours à l’impunité. Et si la tentative de l’avocat Hans Litten fut un échec qui lui coûta la vie, il nous donne l’exemple d’un courage individuel que nous ne pouvons que saluer.
Contre Hitler. Le destin de Hans Litten.
Journaliste à France Bleu Orléans, François Guéroult. déploie depuis 2014 sa passion pour l’histoire contemporaine à laquelle il a consacré plusieurs publications éditées par les Editions Infimes. Ses ouvrages ont porté sur les tragédies du XXe siècle, singulièrement sur les crimes du régime nazi, avec un angle le plus souvent judiciaire, mais aussi avec un livre consacré au sida.(« Sida : la peine et le sursis »)
Après Oradour, le roman d’un procès et L’autre Goering, François Guéroult vient de nous livrer avec « Contre Hitler. Le destin de Hans Litten » le 3e volume de sa trilogie implicite, en remontant à l’origine du mal : le moment où la montée du petit caporal autrichien était encore « résistible » selon la formule du dramaturge Berthold Brecht.
À nouveau, le roman historique rejoint la chronique judiciaire, exhumant de l’oubli le courage de l’avocat Hans Litten, protestant, considéré comme juif par le régime nazi (à l’instar de Jean Zay par la propagande antisémite collaborationniste), proche des communistes allemands, défenseur des opposants au nazisme et victime de la vindicte du Führer, jusqu’à son suicide au camp de Dachau le 5 février 1938.
Depuis l’ouvrage pionnier de Fabrice d’Almeida et d’Anthony Rowley (Et si on refaisait l’Histoire ? Odile Jacob, 2009), l’uchronie ou « histoire contrefactuelle », goûtée de longue date des anglo-saxons, a obtenu droit de cité en France, avant la vogue des dystopies popularisée par La Servante écarlate. L’interrogation initiale de l’auteur rejoint cet « et si l’histoire avait tourné autrement ? », en l’occurrence une audience qui aurait pu changer le cours de l’Histoire en mettant Hitler face à ses contradictions, l’acculant à un choix politique douloureux : désavouer les appels à la violence d’un ouvrage berlinois de Goebbels et ainsi se couper de sa base militante, ou bien admettre son double discours et rendre impossible toute perspective parlementaire et coalition gouvernementale avec les modérés de Brüning. Mais la lâcheté complice du juge sort Hitler de ce mauvais pas judiciaire, et condamne de fait l’avocat Litten: après son accession à la chancellerie, Hitler ne pardonnera jamais cette humiliation publique subie lors des audiences du procès de quatre SA accusés d’avoir poignardé des opposants. Là encore, comment ne pas penser à la haine tenace, jusqu’à l’assassinat, de Pétain à l’égard de Jean Zay à la suite d’un incident protocolaire en 1933 à Orléans, et de Georges Mandel à Bordeaux en 1940 ?
Habilement, François Guéroult use d’un artifice littéraire qui lui offre l’opportunité d’assouvir son admiration du style de Drieu la Rochelle, l’auteur de Gilles, tout en n’omettant rien de la dérive fasciste et antisémite de l’ancien combattant de La tragédie de Charleroi, perdu comme certains de Ceux de 14 dans l’ornière dangereuse du pacifisme intégral, jusqu’aux connivences assumées avec l’intrigant Otto Abetz, futur ambassadeur d’Allemagne à Paris durant l’occupation. Un jeune proche d’Emmanuel Berl, journaliste de gauche, vient visiter l’écrivain proche du populiste Jacques Doriot, pour tenter de le convaincre de participer à la mobilisation internationale en faveur de la libération de l’avocat allemand. Le destin tragique de Hans Litten incarne celui du peuple allemand tout entier, et de cette République de Weimar par ailleurs fascinante par sa créativité artistique et intellectuelle.
L’ouvrage de François Guéroult redonne vie, avec talent et sobriété, à un héros antinazi méconnu. Il participe à l’interrogation ouverte par Marc Bloch dès L’Etrange défaite sur les défaillances collectives des nations et des institutions face à la montée du péril nazi. Plus que jamais, une forte et utile leçon d’histoire sur la lutte contre les éternels contempteurs de la démocratie, du boucher d’Alep aux suprémacistes du Capitole, de l’empoisonneur corrompu de Navalny à l’assassin barbare de Jamal Khashoggi.
Pierre Allorant
Contre Hitler. Le destin de Hans Litten,
François Guéroult,
Préface d’Arno Klarsfeld,
Orléans, Éditions Infimes, 169 p., mars 2021, 14 euros.
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