Deuxième film de Julia Ducournau, Titane a obtenu la palme d’or à Cannes. Très dérangeant par sa violence et sa facture brute, il suit d’abord une jeune fille totalement destroy, puis sa rencontre avec Vincent Lindon, pompier improbable mais acteur étonnant, qui reconnaît en elle son fils perdu. Aucun des thèmes abordés, violence, famille, genre, n’est approfondi. L’absence totale de signification profonde n’est pas compensée par la maîtrise cinématographique pourtant bien réelle.
Une première séquence avant générique, comme souvent dans les séries, installe l’argument. Du cinéma absolument époustouflant, cette balade en gros plans dans un moteur, du liquide qui coule, des engrenages qui pour l’instant fonctionnent, on suit le parcours jusqu’au frein, on voit la roue tourner très vite. On sait qu’il va se passer quelque chose, mais quoi ? Moment de cinéma qui utilise toutes les règles de l’art pour faire monter la pression, un très beau suspens.
Un bazar de pacotille
Et puis la catastrophe arrive. Ces cinq premières minutes éblouissantes vont disparaître dans ce qu’on craignait. On avait essayé de mettre de côté tous les a-priori sur les films de genre, les films de zombies ou de science fiction macabre. On tombe pourtant dans un bazar de pacotille vaguement branché, des filles et des voitures, des types qui regardent. Sorte d’Eros center mâtiné salon de l’auto, avec la musique qui va avec. C’est long et pas excitant du tout. C’est même très agaçant, cette fille – celle qui a sur la tempe le bout de titane, Alexia devenue adulte jouée par Agathe Rousselle – qui lèche sa Cadillac. Et ça empire. Après sa douche, elle a carrément un rapport orgastique avec sa voiture, dans une scène totalement ridicule. On est à bout. Puis il y a son premier crime, d’une violence insupportable, et les suivants, tous aussi violents. Et puis sa « transformation » pour échapper à la police, insupportable d’auto-destruction. C’est très long et sans raison aucune, sinon de jouer avec les corps très présents à l’image, de les violenter, de faire couler tous leurs fluides, de les abîmer comme aux pires moments du No Future.
Un incroyable Vincent Lindon en pompier allumé
Et puis arrive le personnage de Vincent (Lindon) qui reconnaît en cet être bizarre son fils Adrien. Et là, le film devient autre chose. Il est pompier et ramène son « fils » dans sa caserne. Une étrange histoire tout à fait improbable va se dérouler entre eux.
Ca touche au surréalisme chez les pompiers. Vincent, homme vieillissant bourré de stéroïdes, se prend pour Dieu et se shoote sans arrêts, fait semblant, perdu dans son délire, de retrouver son fils. On ne sait pas s’il y croit ou pas, s’il se rend compte qu’Alexia n’est pas Adrien. On ne sait rien. Il l’entraîne dans sa vie de pompier en continuant à se piquer, à boire, à former son fils, à jouer avec le feu. Incroyable personnage, comme l’est Vincent Lindon l’acteur, dans un rôle surprenant pour lui.
Ni raison, ni justification
C’est long. Certes, certaines scènes sont magnifiques, une boum chez les pompiers notamment, où ces hommes à moitié nus sont filmés en train de danser seuls, perdus en eux mêmes dans ce décor nul et banal, mais la lumière sauve tout. Il y a comme cela tout un travail sur l’image, les cadrages, les points de vue, les éclairages et le montage nerveux. Comme la séquence du début du film, certains moments sont visuellement éblouissants.
Mais ne sont que des moments d’un tout très irrégulier. Et surtout sans raison ni justification. Il ne faut pas chercher, ni une psychologie des personnages, ni un sens à leur relations ou à leurs actes, il faut juste regarder et rester forcément étranger à cette « histoire » sans lieux, sans dates, où les émotions sont constamment et volontairement mises à l’écart par les changements de tons, de genre. Alors pourquoi tant de violence, pourquoi tant de haine ? Ah pardon ! Il ne faut pas chercher…
On comprend l’intérêt du jury de Cannes pour cet ovni formel. De là à lui donner la palme, on n’est vraiment pas convaincu. Pire, les a-priori écartés au départ s’en trouvent sans doute renforcés à la fin.
Bernard Cassat
“Titane”
Scénario, réalisation : Julia Ducournau
Interprètes : Agathe Rousselle, Vincent Lindon
Directeur photo : Ruben Impens