Paul Verhoeven, “le Hollandais violent” comme on l’a surnommé, retourne dans le passé plein de mysticisme et de peste pour nous raconter l’histoire d’une jeune fille à l’amour brûlant. Si le propos ne brasse que des questions déjà abordées par le cinéma et les polémiques passées, les acteurs et le travail formel sauvent la mise.
Les nonnes et leurs couvents se sont inscrits dans la cinéphilie mondiale en un courant particulier qui de temps à autres ajoute une pierre à son édifice. Entre autres, parmi les plus connus, La Religieuse, celle Rivette en 1966 comme celle de Nicloux en 2013, adaptent le texte de Diderot. Mais aussi Les diables, de Ken Russel, sorti en 1971, qui mélange religion, sorcellerie, érotisme et pouvoir. Benedetta, de Paul Verhoeven qui sort actuellement et fait partie de la sélection de Cannes, s’inscrit dans cette catégorie.
Paul Verhoeven est parti des minutes d’un procès du XVIIe retrouvées et publiées par Judith Brown, celui d’une nonne accusée de saphisme. A cette alliance de la religion et de la sexualité, Verhoeven ajoute ses thèmes favoris, le pouvoir, l’hypocrisie de la bienséance et la violence institutionnelle. Film presque en huis clos, dans un couvent de l’Italie de cette époque, Verhoeven concentre ses questionnements et leur donne une acuité particulière. Provocateur (Turkish Delices, son premier grand succès international en 1973, ou La chair et le sang, en 1985, décrivant un Moyen Age barbare et violent), il l’a été tout au long de sa vie. Il frise ici le blasphème, sujet particulièrement actuel. Un godemiché taillé dans une petite sculpture de la vierge est tout de même une belle provocation. Les rapprochements très intimes de Benedetta et du Christ, pourtant en croix, ne le sont pas moins. Même si au fond notre époque est moins sensible à de telles images qu’en 71, à la sortie des Diables de Ken Russel, par exemple, qui avaient provoqué un réel scandale.
Pour ce qui est physique, Verhoeven appelle un chat un chat. Mais du côté de la spiritualité, de la croyance en Dieu, les chats sont moins évidents. Tout au long du film, on ne sait pas si Benedetta croit, joue, simule, manipule. A-t-elle vraiment des pouvoirs ? L’abbesse et le nonce n’arrivent pas à trancher réellement. Le pouvoir a toujours nié l’ambiguïté, et se retranche derrière sa force, donc réprime. Ce que Verhoeven dénonce. Lui au contraire questionne, il ne tranche pas, n’indique rien de clair sur ce qui se passe chez cette jeune femme très belle et très croyante. Il donne des jalons de son parcours (enfant mystique, adulte tournée vers son prochain, innocence de sa foi, profond plaisir de ses pratiques sexuelles). Mais croit-elle vraiment en ses pouvoirs ou est-elle psychiquement dérangée ? Le réalisateur laisse heureusement planer le doute, s’en servant comme d’un moteur pour faire avancer l’histoire, tel le suspens dans un polar.
Porté par des acteurs formidables, ce film très classique dans sa facture, avec une magnifique photo, a des atouts. Virginie Efira en est le premier. D’une beauté sans fard, comme à son habitude, elle réussit les scènes osées sans se dévoyer. Et arrive à souffler le chaud et le froid, le complexe et l’immédiat avec une force efficace. Son visage transmet, avec très peu d’effets, les tensions intérieures qui traversent son personnage. Souhaitons que Cannes y soit sensible… Charlotte Rampling comme Lambert Wilson sont, on le sait, de grands acteurs et participent à la réussite du film.
Qui montre par son décalage que les questions religieuses ont depuis plusieurs décennies pris une couleur bien différente, beaucoup plus identitaire. Benedetta appartient encore aux questionnements du XXe siècle, qui cherchaient à comprendre les mécanismes de la foi. Aucune des nouvelles données concernant les religions de nos jours ne sont présentes. La question de la foi, de sa nature et de tout ce qui en découle, est aujourd’hui totalement dépassée. La provocation de Verhoeven semble plus un jeu qu’une polémique. Ce qui n’enlève rien au plaisir du cinéma.
Bernard Cassat
Benedetta
Réalisateur : Paul Verhoeven
Scénario : Paul Verhoeven et David Birke, d’après l’oeuvre de Judith Brown
Interprètes : Virginie Efira, Daphne Patakia, Charlotte Rampling, Lambert Wilson, Clotilde Couraud, Louise Chevillotte, Olivier Rabourdin
Direction photo : Jeanne Lapoirie