Le Tour de France a fait de longs arrêts sur images dans la vieille province, à Châteauroux d’abord, à Vierzon ensuite. Une habitude pour les habitants de l’Indre, quasiment une première pour ceux de la deuxième ville du Cher. D’un côté, pas de signe de lassitude, de l’autre c’était une longue attente. Les uns comme les autres ont apprécié. Les uns comme les autres en redemandent… enfin presque tous.
Une série de barrières au bout de la route. Des bénévoles parfois un peu perdus mais plein de bonne volonté. Pas de problème, on est bien sur l’emprise du Tour de France. Bien en amont, les pancartes aux noms divers, aux couleurs flashy différentes, mais pour indiquer une unique direction, étaient les premiers indices. La mouvance de la ville éphémère qu’est la Grande boucle, ses départs, ses arrivées, ses véhicules de sécurité, techniques, publicitaires, sportifs et tutti quanti, nécessite d’être précis. Derrière les barrières, un no man’s land qui se remplira au fil des heures. Plus loin, derrière les premières, de nouvelles barrières, au bord de la route cette fois, et la route, celle réservée aux coureurs. Avant d’accéder au Graal de cette ligne d’arrivée de Châteauroux, il reste un dernier filtre à franchir. C’est celui de quidams engoncés dans des uniformes, pantalon de treillis, polo noir, d’une boite de sécurité. Le talkie-walkie est accroché à la ceinture, le badge et l’écusson sont en évidence. L’air supérieur, ils sont tout juste polis. On le sent, pour ceux-là, le Tour n’est que pour la plèbe, qui plus est de province.
Le Tour des petits, des grands, des enfants, des parents et de leurs grands-parents
Partout, le long de palanquères, on joue du bob Cochonou, on porte fièrement la casquette jaune, et se pare du maillot blanc à pois rouges, même trop grand pour les marmots et les ados, même trop petits pour leurs parents, toujours à la bonne taille pour les grands-parents. La caravane passe, défile, joue du klaxon, offre des goodies, des éventails, des crayons et des porte-clefs en bois, de grands sacs aussi, pour aller faire les courses, avec un autre logo que celui du supermarché du coin.
Dans les espaces partenaires, le badge en bandoulière, on tape la discute, on rapine une musette siglée, et une gapette qui l’est toute autant. On fait le prétentieux, assis à une table, à l’ombre, un verre dans une main, un cornet de frites et de nuggets dans l’autre. Les gueux sont en face, au soleil, assis sur des glacières pour les plus prévoyants. Le Tour de France est un excellent sujet pour une étude sociologique.
Les coureurs vont arriver de là-bas, au bout de l’horizon, au bout de cette avenue de presque deux kilomètres. Les coureurs sont annoncés. Les coureurs arrivent. Les coureurs sont là. Au soleil comme à l’ombre, ça crie, ça tape sur les balustrades, ça fait un boucan d’enfer. À table ou sur la glacière, on a trépigné de concert. Le Tour de France est un excellent sujet pour une étude philosophique… Les coureurs sont passés.
Mark Cavendish a gagné à Châteauroux. C’est la troisième fois, pour trois arrivées, sur cette avenue. Il ne devait pas faire le Tour et voilà qu’on peut penser à un jumelage entre Champagne berrichonne et île de Man, là où il est né. Le Tour de France (TdF) et l’Indre c’est une longue histoire d’amour. Une histoire qui s’est amplifiée depuis le nouveau millénaire. Ici, le Tour de France est presque inscrit au calendrier annuel des manifestations du département. Rien que pour ces 20 dernières années, les coureurs de la Grande boucle ont posé leurs valises en bas-Berry à Aigurande, à Issoudun, à Vatan, et trois fois donc à Châteauroux… C’est dire si le TdF est associé aux manifestations berrichonnes.
Le prochain passage pour la 186e édition ?
Pour le Nord du Cher, à Vierzon, cela fait presque 70 ans qu’il n’est pas passé par là. Le calcul est vite fait, statistiquement, si l’écart entre deux passages du Tour de France à Vierzon reste le même pour la prochaine fois, plus de 90 % des personnes qui étaient présentes en 2021 ne pourront pas prétendre à voir, sur place, une deuxième édition. C’est que 68 ans entre deux étapes du Tour, ça commence à faire quand même ! La dernière fois que les coureurs avaient traversé la deuxième ville du Cher, c’était en 1953. Cette année-là, le département était représenté par un presque champion du monde vierzonnais, Georges Meunier (vice-champion du monde de cyclo-cross), et par un autre local, Jacques Labertonière. Le premier avait gagné la 19e étape, Briançon-Lyon. Le second n’avait pas vu Vierzon du haut de son vélo, paré de son maillot de l’équipe Nord-Est-Centre. Le grand « Labert » avait abandonné quelques jours plus tôt, lors de la 14e étape, Béziers-Nimes. Ce n’est pas qu’il était malade ou eu un problème de santé, que nenni. Fort caractère et rapide en action-réaction, il n’avait pas supporté de donner, par deux fois, sa roue à des co-équipiers mieux classés, sans que sa propre voiture de dépannage daigne lui prêter assistance. Le vélo avait alors terminé son envol au milieu d’un champ… Le carnet de bord du Tour de France est empli d’histoires comme celle-là.
Vierzon, ville-départ
Dès lors, dire que Vierzon attendait le Tour est un euphémisme. Vierzon était en manque. Elle voulait sa part de Tour, comme les autres. Juste pour montrer que ce n’est pas le trou perdu de Chevalier et Laspalès ou des Chevaliers du fiel. Simplement pour faire taire les mauvaises langues. Ouvertement pour donner à voir à tout le monde – le Tour est regardé par 190 pays tout de même- une image positive d’une petite ville du centre de la France. Et aussi pour être à égalité avec Vesoul, la jumelle de chanson, ville départ en 1972. Au bord du canal de Berry, sur les rives du Cher, c’est ambiance TdF toujours, comme la veille en Bas-Berry.
Le fléchage et le panneautage sont moindres. Juste la direction « Départ » en noir sur couleur rouge. À l’approche de la fameuse ligne, ce sont les bénévoles qui gèrent. Et plutôt bien… On retrouve une nouvelle brigade de jeunots en noir et jaune, toujours amènes. On retrouve de nouveaux treillis et polos noir, toujours directifs mais moins impérieux. On retrouve les coureurs, cette fois au ralenti. On découvre le podium, ses animations, ses coups de pubs, sa présentation des équipes. On voit les bus des teams, les vélos accrochés à des portants juste devant. On interpelle le champion du Monde, Julian Alaphilippe, qui vient de s’arrêter dire bonjour à des amis, arrivés de bonne heure spécialement pour le saint-Amandois. Un petit signe. Les yeux quasi rieurs par-dessus le masque en disent long sur la satisfaction d’être en territoire de connaissance. Un café gratuit auprès du village départ, pour tout le monde, quelques viennoiseries aussi. C’est la caravane qui redémarre, avec son ballet de véhicules et de haut-parleurs. Le défilé est plus compact. La foule aussi.
Encore quelques minutes avant que les coureurs s’élancent pour un défilé de six kilomètres dans la ville pavoisée et décorée comme un sapin de Noël. Du monde, beaucoup de monde dans les rues. Les pisse-froids détracteurs du Tour, et de ce qui a été fait ici avant, en sont pour leurs frais, la course a fait un plein populaire. Le Tour s’inclut dans une forme de culture… Tout le monde ne lit pas Goethe dans sa version originelle !
Un dernier véhicule. Le tour est passé. Il va maintenant traverser une partie du Cher. Il va arriver au Creusot et, là-bas, une série de barrières au bout de la route. Des bénévoles parfois un peu perdus mais plein de bonne volonté…
Fabrice Simoes