Le regroupement, opéré par François Hollande, des 22 anciennes régions en 12 grands ensembles « de dimension européenne » plus la collectivité territoriale corse, a fait du scrutin régional un tour de chauffe de la présidentielle, avec, comme dans le théâtre de Pirandello, des personnages politiques en quête de… hauteur. La dispersion des forces des deux camps traditionnels menace de faire un seul vainqueur, non par véritable poussée, mais par défaut : le Rassemblement National, ce réceptacle de tous les maux, de toutes les frustrations et les peurs.
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D’un scrutin, l’autre : juin 2021, primaire informelle de la présidentielle
Alors que les compétences étendues des régions sur les enjeux d’avenir – lycées, formations sociales et paramédicales, transports ferroviaires, aménagement du territoire… – auraient été particulièrement propices à des débats éclairants sur les possibilités de choix politiques, la « drôle de campagne » post-confinement a vite été captée par deux questions stérilisantes : quels regroupements pour conjurer la menace de conquête de régions par l’extrême-droite (en commençant par la catastrophique pagnolade provençale) ? Quel tremplin pour les présidentiables, de Wauquiez à Bertrand en passant par Pécresse ?
Entre pari sur une prime au sortant renforcée par la gestion de la crise sanitaire et tétanisation face aux surenchères sécuritaires, la pauvreté des échanges et des projets – ce nivellement par le bas du débat au profit de polémiques adaptées au débit douteux des médias de Bolloré – ne peut profiter qu’à l’offre politique la plus sommaire, au message le plus frustre. La dernière salve de sondages par région montre bien que l’électorat le plus déterminé à aller voter et le plus sûr de son choix est celui du camp du refus, mais pas le dégagisme insoumis, ce pari perdu de captation de la colère populaire par Jean-Luc Mélenchon, de plus en plus isolé à mesure de ses sorties erratiques.
L’adieu au front républicain
Et pourtant, les rapports de force que dessinent les sondages donnent un tableau assez proche de celui du dernier scrutin régional de décembre 2015. Dans de nombreuses régions, comme en Centre-Val de Loire, le lepénisme dédiabolisé n’enregistre pas de nouvelle poussée, mais consolide son haut niveau, et se nationalise en répandant sa nappe sur des territoires auparavant préservés tels la Bretagne et la Nouvelle-Aquitaine. Beaucoup d’acteurs et d’observateurs y voient l’échec du « front républicain » qui avait conduit les forces de gauche à se saborder au second tour au profit de la droite, des Hauts-de-France à PACA. Le sacrifice a été d’autant plus amer qu’aujourd’hui ces anciens bastions sont très loin d’offrir des espoirs de reconquête, en dépit de l’union réalisée autour des Verts à Lille. Toutefois, l’entre-deux-tours sera brûlant partout où la menace de conquête d’une région sera ressentie à onze mois des présidentielles. Et cette fois, le dilemme risque bien de fracturer aussi l’autre camp, tant la droite LR apparaît écartelée entre les fidèles à la ligne Juppé-Chirac « no pasaran », et les « bourgeois de Calais » prêts à tendre les clés de la Cité à l’extrême-droite, en un « mano en la mano » fort peu gaullien entre marinistes et marianistes.
Le Centre-Val de Loire à un tournant : entre traditions modérées et centrifugeuse
Dans ce contexte, avec des élections départementales totalement occultées et à faible enjeu excepté dans le Cher, comment se présente le scrutin dans notre région, aux contours préservés ? Comme aux municipales de mars et juin derniers, les vieux partis, solidement ancrés à travers leurs réseaux d’élus locaux, reprennent le dessus sur les courants dominants aux Européennes de mai 2019 : macronistes et Verts. Toutefois, le seul espoir de conquête de la majorité gouvernementale se situe bien à Orléans grâce à la tradition centriste incarnée par Marc Fesneau, héritier du courant démocrate-chrétien, longue lignée ligérienne, de Pierre Sudreau à Jacqueline Gourault en passant par Maurice Doucet. Mais le défi est de taille pour le ministre Modem des Relations avec le Parlement. Il lui faudra être le 20 juin en 2e position derrière le RN, place capitale pour symboliser le rempart républicain.
Or, la présence d’une autre liste de droite républicaine, celle menée par l’Indrien Nicolas Forissier, complique ce combat. Leur coude-à-coude pourrait profiter au président sortant, François Bonneau, doté à la fois d’une image personnelle positive et d’un bilan majoritairement salué par les électeurs. En outre, du côté gauche, la fusion au lendemain du 20 juin semble moins aléatoire, du fait de l’usage habituel et surtout du rapport de force déséquilibré au détriment de la liste des Verts et des Insoumis. Tout dépendra donc de l’ordre d’arrivée des trois listes aujourd’hui situées dans un mouchoir de poche (PS/PC, Modem/LRem et LR), et également du score final de Charles Fournier. Si François Bonneau tournait en tête des partis démocratiques et avec un net écart sur la liste écologiste, a fortiori si cette dernière ne franchissait pas la barre des 10%, il pourrait se présenter en meilleur défenseur d’une région à tradition humaniste et tolérante. C’est la même place et le même positionnement que vise Marc Fesneau, pour être en mesure de tordre le bras à LR et à l’UDI en les forçant soit à la fusion, soit au retrait.
Mais en toute hypothèse, quadrangulaire ou triangulaire, le « Bardella eurélien », Aleksandar Nikolic, demeure un sérieux vainqueur potentiel. Preuve s’il en est que l’absence de projet sérieux pour le territoire et ses habitants, pour leur accès à la santé, aux transports, à la formation ou à l’emploi, n’est pas forcément un obstacle aux espoirs de victoire électorale. À ce niveau extrême d’incertitude (des écarts de 1% très inférieurs à la marge d’erreur), l’élection dépendra avant tout de la mobilisation citoyenne, de préférence sans attendre le second tour. Comme la guerre, « chose trop grave pour la confier à des militaires » selon Clemenceau, régions et départements sont trop essentiels à notre vie quotidienne, à notre solidarité et à notre avenir pour être laissés aux mains d’apprentis sorciers.
Se souvenir ensemble de ce qui fait société
Juin est un mois de commémoration. Le 17 juin 1940, le préfet d’Eure-et-Loir, Jean Moulin, se tranchait la gorge plutôt que de signer une infamie sous la dictée des troupes d’occupation, avant d’incarner, jusqu’à la mort, l’unification de la Résistance en tant que délégué du général de Gaulle. Quatre années plus tard, le 20 juin 1944, après le débarquement, la milice de Vichy assassinait sur ordre Jean Zay, « résistant de la veille », anti-munichois, victime de la haine antisémite comme le patriote et démocrate de droite Georges Mandel. Commémorer sans tirer les leçons du passé serait vain. La tragédie du Capitole a pourtant confirmé au monde entier que le populisme ne rendait jamais pacifiquement les clés du pouvoir après l’avoir conquis.
Pierre Allorant
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