Benoit Jacquot a (enfin) tourné Suzanna Andler, une pièce de théâtre écrite par Marguerite Duras avant 1968, et qu’elle lui avait donnée. Il en a fait un film habité qui respecte l’écrivaine et en même temps construit une œuvre nouvelle. Elle nous entraine dans le monde de Marguerite tout en témoignant de l’art du cinéaste. Envoûtant.
Niels Schneider et Charlotte Gainsbourg dans la villa sur la mer. Capture écran
Marguerite Duras, c’est d’abord une voix, des mots, des mots simples, souvent répétés, des mots qui s’alignent sur un rythme bien particulier pour faire entendre une petite chanson reconnaissable entre toutes. Ces mots tournent sur d’axes récurrents dans son œuvre, l’amour, la passion, la perte, le désir et la mort. Et pour tenter de décrire les rapports humains, ils analysent, décrivent le faux ou disent le vrai.
D’elle, Benoit Jacquot a retenu évidemment le texte. Lui qui la connaissait si bien, il a installé ces dialogues écrits pour le théâtre dans un écrin à l’image de l’écrivaine, et cet écrin, c’est le cinéma. Avec toutes ses possibilités. Un lieu d’abord, thème durassien s’il en est, une magnifique villa sur la côte d’azur, une pièce qui s’ouvre sur une immense terrasse avec un parapet en pierre et derrière, ou devant, la mer. L’intérieur, l’extérieur, le proche et le lointain, mais tout en un. Ce lieu, c’est aussi les éléments du décor, les quelques objets, le canapé, les tableaux, l’espace entre les choses qui va amener l’espace entre les gens.
Capture écran
Des interprètes, ensuite. Charlotte Gainsbourg s’inscrit d’emblée dans la lignée des actrices durassiennes, Delphine Seyrig, Bulle Ogier, ces actrices qui savent montrer leur profondeur sans jouer, dire le complexe par la simplicité. Niels Schneider, son partenaire masculin, porte également son personnage à un très haut niveau.
Et ensuite une incroyable technique cinématographique, les mouvements qui enveloppent les personnages, les gros plans qui traquent les visages, des rapprochements progressifs et répétitifs, des retours de mêmes cadrages, des flous dans la lumière ou dans l’ombre, des zooms qui vont jusqu’à tuer ! Chaque image est construite, chaque plan calculé. A la rigueur du décor s’ajoute la rigueur du cadrage pour construire la mélodie de cette chanson qui n’est pas celle de Duras mais de Benoit Jacquot lisant, jouant, vivant Duras. Grande émotion !
Bernard Cassat
Suzanna Andler
Réalisation Benoit Jacquot
Scénario Benoit Jacquot d’après Marguerite Duras
Interprété par Charlotte Gainsbourg, Niels Schneider, Nathan Willcocks et Julia Roy
Directeur photo Christophe Beaucarne
Ciné rencontre avec Benoit Jacquot
Benoit Jacquot parle de son film
Pour cette reprise du cinéma en salle, Michel Ferry et l’équipe des Carmes ne ménagent pas leurs efforts pour attirer le public. Ils avaient invité samedi après midi Benoit Jacquot pour qu’il présente son film.
Il a été l’assistant de Duras pour la majorité de ses films et donc est devenu très proche. « Peu de temps avant qu’elle meure, elle m’a carrément fait promettre de faire un jour ce film, et puis, j’ai complètement oublié… Jusqu’à il y a assez peu de temps. Et je me suis senti obligé, par rapport à elle, dans l’au-delà, en quelque sorte. Et ça a été accéléré par ma proximité avec Charlotte Gainsbourg. Je me suis dit que l’interprète absolue de Suzanna, c’était elle. »
Après, tout s’est déroulé rapidement. Il a cherché la villa, et la petite équipe du film est venue l’investir. « C’est ainsi que faisait Marguerite pour ses films, souvent tournés chez elle. Tous les techniciens et acteurs vivaient dans le lieu du tournage. » Une quinzaine de jours a suffit pour Suzanna Andler, la moitié en répétition et mise en place des scènes, l’autre moitié pour le tournage lui-même. Tout de la pièce a été conservé, même si la partie sur le frère, qui arrive un peu sans explication, lui semble totalement obscure.
Le ton de Benoit Jacquot, son humour et sa disponibilité ont séduit le public.