Dépassée la pensée de l’écrivain Charles Péguy ? Dépassée quand les totalitarismes et les dictatures prospèrent aux quatre coins de la planète ? C’est oublier qu’il fut le premier à prédire que le vingtième siècle les verrait fleurir. Certains s’excusent de ne point le lire à cet exceptionnel motif « qu’il est illisible », disent-ils. C’est méconnaître la singulière modernité de son œuvre et sa poésie.
A tous ceux-là, l’ancien maire de la cité johannique, actuel sénateur socialiste du Loiret mais aussi ancien élève de l’école normale de Saint-Cloud, agrégé de lettres modernes, démontre en quelques 250 pages que l’écriture de Péguy dont elle est la vie même, est étonnante, « vertigineuse ». En linguiste, il s’attache d’abord à souligner la « symphonie » qu’est cette écriture « entrecroisement de deux axes-l ’horizontal et le vertical- …. le sens est constamment le fruit de ces deux axes », note-t-il.
Avec la passion de quelqu’un qui, à partir du moment où il est arrivé à Orléans pour y enseigner à l’université au début des années 70, s’est longuement penché sur l’œuvre, singulière, trop souvent méconnue de cet immense poète, Jean-Pierre Sueur la révèle au lecteur, la décortique, la livre dans sa réalité, dans sa simplicité, dans sa vérité. Il faut de la persévérance pour s’atteler à une telle quête et bien du talent pour rendre le fruit de ses recherches agréablement accessible à d’autres.
Jean-Pierre Sueur apporte ainsi un démenti à ceux qui persistent dans des visions simplistes des rapports de Péguy au socialisme comme à la foi. Dans son avant-propos, l’auteur écrit « socialiste, il le fut profondément et il se réclame de cette appartenance jusqu’à la fin de sa vie »…. « S’il fut à certaines périodes de sa vie croyant, Péguy prit constamment ses distances avec l’Eglise et fut constamment opposé au cléricalisme. Certes un croyant anticlérical, cela n’entre pas dans les catégories des récupérateurs de toutes sortes ».
Enfin Jean-Pierre Sueur consacre un chapitre à l’amour de Péguy pour la vallée de la Loire, pour Orléans, sa ville natale, pour ce faubourg Bourgogne où il a grandi et citant Péguy : « En moi, autour de moi, dessus moi, sans me demander mon avis, tout concourt à faire de moi un paysan non point de Danube, ce qui serait littéraire encore, mais simplement de la vallée de la Loire, un bûcheron d’une forêt qui n’est pas même l’immortelle forêt de Gastine puisque c’était la périssable forêt d’Orléans, un vigneron des côtes et des sables de Loire. »
Un livre magistral, très complet sur la vie et l’œuvre de Charles Péguy qui sont indissociables.
Françoise Cariès