Entre croyances et réalités, fadaises et vérités fallacieuses, seul un bonimenteur expérimenté saura vous conter fleurette sur un chemin bordé d’épines. Ainsi en est-il de Bernard Ringuet, dit C”Nabum, livreur à bons contes de deux récents opuscules jubilatoires propres à nous embarquer savamment au fil de l’histoire et de la Loire.
En toute immodestie, baragouineur et débonnaire, l’homme aime parler de la Loire, de ses amis les mariniers, et un peu de lui. C”Nabum est un individu au pas tranquille et à la plume acerbe autant qu’au parler imagé. Un curieux ligérien faisant son miel de la grande Histoire et des légendes de jadis, ne reculant devant aucune menterie, dit-il, pour “broder à sa fantaisie d’incroyables tissus de mensonges ourlés de quelques vérités qui finissent par se grimer en contes ou en fables en prenant les habits de la farce“. Sans conteste, voilà un beau programme, qu’il égraine avec compères et comparses au fil des fêtes et des festivals (1), mais aussi dans quelques ouvrages vendus en ligne, peu avares de poissons d’eau douce certainement nés un premier avril.
Le dernier en date est un recueil de contes des plus jobards, judicieusement intitulé “Val d’Orléans, le guide du roublard“, paru chez Book Editions, et nous offrant en quelques 342 pages et moults contes ou chapitres toute une épopée fantastico-humoristico-mélancolique de l’histoire de la Loire, de ses villes et de ses habitants. Au hasard des pages, dans un langage fleurant bon le parler médiéval et le patois local, on y retrouvera quelques gaulois, quelques romains constructeurs et quelques mécréants navigateurs, sans oublier, bien entendu, bourgeois et nobliaux autant qu’adorateurs d’une certaine Jehanne d’Arc, dont on ne déflorera pas ici l’histoire.
A l’unisson de ses harangues publiques, en cet ouvrage sauvage et impétueux, l’auteur “se fait, tour à tour, compagnon de Merlin, barde gaulois, ermite de la grotte Béraire, jeune mousse partant à l’aventure, marin revenant de l’enfer, historien approximatif ou tourneur de phrases alambiquées“, comme il aime à l’écrire sur son blog éponyme. Alambiquées jusqu’à l’ivresse, pourrait-on ajouter, saluant itou les hommages rendus à Maurice Genevoix et Annick Sénotier, pour ne citer qu’eux. Et notant un étrange clin d’oeil à la Bamboche, l’un des derniers grands carnavals d’Orléans, parait-il, en 1639, Louis XIV s’empressant ” d’interdire de tels évènements susceptibles de servir d’exutoire à un peuple qu’il convenait d’asservir“. C’est fou comme l’histoire peut aimer à se répéter.
Cette plume alerte et sauvageonne se retrouvera aussi dans un autre ouvrage, paru fin 2020, et co-signé avec Nadine Richardson, une brestoise installée en orléanais, aimant à baguenauder sur les rives ligériennes. Interviewée pour un précédent ouvrage par un autre bonimenteur orléanais, Jean-Louis Riguet, elle expliquait puiser son inspiration dans son imagination. “Je passe mon temps à m’inventer des histoires que je couche ensuite sur le papier“, tout en écoutant Adèle. En cet ouvrage commun, préfacé par Antoine Waechter, se déroulant en 2080, le choix de la trame romanesque n’est pas innocent, prompt à emmener le lecteur vers des horizons imaginaires pour mieux dessiner la réalité, et faire prendre conscience du devenir incertain de nos décisions immédiates. De la “politique-fiction” au message environnemental omniprésent, où la Loire est un personnage à part entière, avec ses couleurs et ses odeurs. “Bien sûr, elle eut de véritables amoureux, des passionnés sincères qui restaient dans l’ombre à la contempler. Hélas, de fieffés gredins voulurent la mettre à leur merci et à leur profit tout autant que des opportunistes exploitant la vague de sympathie. Des individus en mal d’inspiration cherchèrent en elle les idées qui leur manquaient cruellement. Avec les humains, c’est toujours ainsi, le bon grain côtoie l’ivraie et c’est souvent cette dernière qui parvient à sortir la tête de l’eau“, lit-on dans le prologue.
De quoi donner un bel aperçu de ce que vont découvrir les héros de l’aventure, sans ressemblance garantie avec des faits connus (c’est trop loin dans le temps, disent-ils). Au fil des pages et des chapitres, au rythme savamment contrôlé, on y appréciera par ailleurs quelques chansons de marins (elles sont éternelles), trouvant aussi matière à réflexion sur l’amour et la nature, et prenant ainsi conscience que même la vie est loin d’être un long fleuve tranquille, il faut tout faire pour qu’elle soit la meilleure possible, au plus près de nous.
Alors, franchement, sans les bonimenteurs et autres raconteurs d’histoire, bien terne serait l’existence, pas vrai ?
Jean-Luc Bouland
(1) : C”Nabum sera notamment présent les vendredi 25 juin, à 15 h, à l’inauguration du Festival Maurice Genevoix, aux Vernelles (Contes pour Raboliot et Rémy des Rauches); Samedi 26 juin, à 19 h, Jardin du Petit Chasseur à Orléans (Les Enchanteries : Chansons et Contes); Samedi 3 juillet, à partir de 14 h, La Loire met la roue libre à Jargeau (Contes et chansons en itinérance); Samedi 17 juillet, en soirée, veillée sur une Île à Saint Dyé sur Loire (Contes et chansons de Loire).