La ville de Vierzon veut vendre une maison de maître dont la façade est classée aux monuments historiques. Des associations de patrimoine se sont associées pour faire bloc face à cette cession. Certains élus d’opposition trouvent que le prix de vente est trop faible… Une municipalité communiste peut-elle vendre un bâtiment symbole de l’industrialisation et de la bourgeoisie ? Vous avez deux heures…
Le vote, en conseil municipal de Vierzon, en fin de semaine dernière, en faveur de la mise en vente de la maison de Célestin Gérard, capitaine d’industrie du XIXe siècle, attise les tensions. Presque une lutte des classes où les rôles auraient été inversés. Jusqu’au bout, patronat et capitalisme sont en opposition avec communisme et prolétariat. Même dans la symbolique. Vendre un bien immobilier pour mettre du beurre dans les épinards de l’action sociale : bien ou pas bien ?
Vierzon, c’est la ville de la chanson de Brel dont on nous rebat les oreilles sans discontinuer. Mais Vierzon c’est aussi une ville qui a attribué pendant un temps, trop long selon certains, le nom de Maurice-Thorez à la place devant la mairie. Comme partout, la ville a doté ses rues et ses avenues d’appellations de personnages historiques célèbres. Des anciens, comme Molière ou Bernard Palissy, des militaires et d’autres qui ont failli l’être, du Général De Gaule au Maréchal Joffre en passant par le Colonel Fabien. Ici comme ailleurs, on a Jules-Ferry, Jean-Jaurès, mais pas comme ailleurs on avait Karl Marx et Maxime Gorki.
Célestin Gérard, ingénieur ingénieux, capitaine d’industrie et tout ça. Photo Fabrice Simoes
Cela fait quelques années déjà que l’hôtel de ville a retrouvé sa place. Ce vieux barbu de Karl est sur la plaque d’une impasse et Maxime n’est même pas un restaurant de la deuxième ville du Cher. Il est vrai que, de Georges Rousseau, élu en 1937, le premier maire de Vierzon rassemblée (jusqu’en 1936, la ville était éclatée en quatre structures distinctes : Vierzon Ville, Villages, Forges et Bourgneuf. Chacune avait sa propre municipalité …) à Nicolas Sansu, dans le fauteuil de maire depuis 2008, les maires ne se présentant pas sous l’étiquette communiste sont peu nombreux. On a bien Maurice Caron (1947-1959) membre de la SFIO « élu maire grâce aux voix des conseillers MRP et RPF » et Jean Rousseau (1990-2008) encarté au PS puis à Génération Ecologie, avant de devenir sans étiquette, mais c’est tout. De fait ces 30 années ne font pas le poids face aux 55 sous l’étiquette communiste…
Dans l’imaginaire populaire, Vierzon est donc, qu’on se le dise une fois pour toutes, et pour toujours, Vierzon la rouge. Et quand on dit que Vierzon est belle on le répète d’ailleurs deux fois. Une fois belle et une deuxième re-belle, comme le festival culturel qui devait se tenir en mai prochain.
Manque de respect envers le patrimoine…
Dès lors quand une municipalité, communiste, vend une maison bourgeoise, construite vers 1870, propriété de la collectivité depuis à peine 20 ans, l’opposition, dans son ensemble, et des associations locales du patrimoine industriel montent au créneau fustigeant une vente à un privé qui « est une ineptie doublée d’un manque de respect envers le patrimoine agricole et industrielle vierzonnais. » Le prix de vente interpelle aussi. Pour le bâtiment et les 275 m² de terrasse, le prix a été fixé à 180 000€ net vendeur par les domaines (environ 200 000€ avec les frais).
Le bâtiment est inscrit aux monuments historiques depuis le début du siècle. Photo Fabrice Simoes
Le maire de la ville Nicolas Sansu a beau jeu d’expliquer que, pour lui « la ville n’a pas vocation à devenir propriétaire des tous les bâtiments de la commune. Ce bâtiment abrite une activité privé » (…) et, inscrit aux monuments historiques, le bâtiment ne pourra pas être modifié ». Ce n’est pas faux certes mais, ses contradicteurs estiment que ce patrimoine architectural doit rester dans le domaine public et non privé. Ils arguent que les travaux de rénovation ont coûté la bagatelle de plus de 800 000€. Une somme que l’élu local estime plutôt à « 1,1 million d’euros, dont 570 000 euros portés par la ville de Vierzon » Et de souligner que, cette acquisition n’a été faite qu’à l’orée de ce nouveau siècle lorsque la société CASE, dans la lignée de la SFV (Société Française Vierzon) créée par Célestin Gérard en 1847, a fermé les portes de son usine vierzonnaise en 1995. A la clef, près de 300 salariés sur le tapis…
La municipalité d’alors avait « récupéré » la maison, la friche industrielle qui allait avec, et un gros chantier de rénovation à financer. Une partie de la friche est toujours en cours de restauration, une autre a été transformée genre gravas, une autre accueille le Centre des Congrès, des salles de cinéma et un bowling.
la maison et la terrasse sont toujours sous le regard protecteur du premier propriétaire Photo Fabrice Simoes
Quant à la maison de maître, elle a été transformée en restaurant, d’où le coût important des travaux réalisés. On peut comprendre dès lors que la mise en vente interpelle des responsables d’association, surtout si l’on se souvient qu’ils étaient eux-mêmes dans la majorité municipale du début des années 2000.
Lors du vote, la majorité municipale a fait bloc et les élus d’opposition ont voté contre, pas tous pour les mêmes raisons ! Quelques opposants estiment juste que le maire ferait un bien mauvais agent immobilier ! Ce dernier assure quant à lui que « c’est le prix du domaine (…) et il ne faut pas oublier que, dans la vente il y a des clauses comme le maintien du restaurant. Nous vendons seulement le bâtiment, la terrasse et (…) le local poubelle ! Si on additionne les loyers depuis 20 ans et la vente, l’investissement municipal sera remis à zéro. »
Désormais les acheteurs potentiels ont jusqu’au 30 avril prochain pour faire leurs offres, supérieures à 180 000 euros. Outre la proposition d’achat il faudra aussi ajouter un dossier qui va bien.
Fabrice Simoes
La pétition des associations
La maison de Célestin Gérard, face à la gare de Vierzon, est un élément incontournable du patrimoine industriel de la ville. C’est la demeure de celui qui a créé, en 1847, l’industrie du machinisme agricole et qui a permis le rayonnement de cette ville, au-delà des frontières françaises, et encore aujourd’hui grâce à la réputation des tracteurs de Vierzon, très prisés des collectionneurs. Cette maison abrite un restaurant depuis 2000. Sa façade sculptée est classée aux monuments historiques. La ville qui en est propriétaire veut la céder à un privé. Cette bâtisse doit rester dans le domaine public, elle fait partie intégrante de l’ADN historique de cette ville. La maison de Célestin Gérard doit rester aux Vierzonnais.es. Aucun argument n’est valable pour justifier sa vente. La Mémoire industrielle et agricole du pays de Vierzon, le Cercle historique du pays de Vierzon et les Amis du musée du Vierzon, trois associations de patrimoine, s’y opposent aussi fermement. Cette maison ne doit pas être vendue.
Site de la ville de Vierzon
Célestin Gérard
1847, Célestin Gérard, compagnon menuisier s’installe à Vierzon et ouvre, face à la gare qui vient d’être inaugurée, un atelier de réparation pour matériels agricoles. Inventeur de génie, il sera à l’origine de la première locomobile française, qui mettra l’entreprise sur les rails durables de la réussite. Quand il vend son usine en 1879 à la famille Arbel, ce sont 500 ouvriers qui deviennent S.F.M.A.I.* et vont fabriquer, à compter de 1934, les tracteurs deux temps au bruit si caractéristique, les “Vierzon”.
* Société Française de Matériel Agricole et Industriel
Machinisme agricole
Si Célestin Gérard est bien le précurseur du machinisme agricole vierzonnais, quatre usines vont voir le jour à Vierzon qui produiront 70% du matériel de battage entre 1920 et 1950. Merlin, Brouhot, “la Vierzonnaise” se lanceront, après “la Française”, dans l’aventure agricole au tournant du XXe siècle. Des générations d’agriculteurs français utiliseront les batteuses, presses à paille et autres monte-gerbes sortis des ateliers des trois principales usines que sont “la Française”, “Brouhot” et “Merlin”.
L’association Mémoire Industrielle et Agricole du Pays de Vierzon et la ville de Vierzon collaborent, dans le cadre du contrat de site de Romorantin, avec quatre musées spécialisés dans le domaine de la mécanique : l’Espace automobiles Matra à Romorantin (41), le musée du Patrimoine de l’Equipement à Vatan (36), le musée du Poids Lourd à Montrichard (41) et le musée de l’Automobile à Valençay (36). Grâce à Centre-Sciences, association ayant pour objectif de promouvoir la culture scientifique, un film promotionnel retraçant l’histoire de ces cinq lieux a pu être réalisé. Ce documentaire, intitulé Cinq paroles pour une voie, a été produit par la société Prospective Image de Gérard Poitou et c’est le journaliste Philippe Claire qui s’est chargé de réaliser les entretiens. Celui concernant Vierzon a été effectué avec la collaboration d’Henri Letourneau et permet de retracer l’histoire du machinisme agricole de Vierzon.
Une collection de machines agricoles est constituée par les associations « Mémoire Industrielle et Agricole du Pays de Vierzon », « Les amis du Vieux Vierzon » et la ville. Locomobiles, tracteurs ou batteuses forment ainsi un témoignage de la production de l’époque.