Adrienne Bolland, libre sur terre comme dans les airs

Il y a 100 ans, le 1er avril 1921, l’aviatrice Adrienne Bolland, qui repose depuis 1975 au cimetière de Donnery dans le Loiret, devenait la première femme pilote au monde à traverser, avec succès, la Cordillère des Andes. Un véritable exploit pour l’époque qui l’a rendue célèbre. Mais c’était avant tout une femme libre, qui s’est engagée dans de multiples causes.

Adrienne Bolland et son “Caudron G3 ” à bord duquel elle a traversé la Cordillère des Andes © SD (détail couverture fascicule Pierre Lhermitte)

Dès sa naissance, le destin fait un clin d’oeil à Adrienne puisqu’un agent de l’Etat-Civil, étourdi, écrit son nom de famille “Boland” avec deux L (ailes) au lieu d’un. Cadette de 7 enfants, née en 1895 à Arcueil, le goût de l’aventure et de la liberté lui est transmis par les hommes de la famille. Délurée et hyperactive (on employait alors la vilaine expression de “garçon manqué”) elle est la préférée de son père, Henri Boland. Ce dernier journaliste-reporter pour les guides de tourisme Johanne, l’emmène parfois dans ses voyages en train à travers la France. Son frère Benoît, de 10 ans son aîné, marin, fera partie de la deuxième expédition scientifique au Pôle Sud du commandant JB Charcot. Les filles, elles, sont pensionnaire des demoiselles Carreau à Neuville-aux-Bois non loin de Donnery où son père a offert en cadeau de mariage à sa femme Allonie, la propriété des Charmettes. Mais en 1909, son père meurt brusquement, alors qu’elle n’a que 14 ans. Son frère, Benoît devient le chef de famille.

Nicole Sicot-Boland, nièce de l’aviatrice et son mari Jacques devant la propriété familiale “Les Charmettes” © SD

Une vocation choisie en un instant 

Après la guerre de 14-18, la frêle mais dynamique jeune femme de 19 ans s’ennuie ferme en province. Elle rejoint donc ses sœurs à Paris. Comme le rapporte sa nièce Nicole Sicot-Boland qui veille avec son mari Jacques sur la mémoire de sa tante : « Elle mène alors la grande vie, l’argent lui brûle les doigts, elle joue aux courses et perd. » Mais le plus étonnant est que sa vocation d’aviatrice va se jouer sur un coup de tête comme elle le raconte elle-même dans un petit fascicule édité en 1977 par le Maître-Imprimeur orléanais Pierre Lhermitte, Adrienne Bolland, l’intrépide aviatrice. Lors d’un dîner parisien, après quelques coupes de champagne, « je déclarai tout de go dans un intervalle lucide cette fois :  “C’est bien fini, je n’irai plus aux courses, je ferai de l’aviation ! “ » En quelques secondes, son destin bascule, elle sera aviatrice, d’autant que la première femme pilote diplômée au monde, la Baronne de la Roche vient de se tuer lors d’un vol d’entrainement. Il y a en quelque sorte une place à prendre : « Elle a toujours agit par coups de cœur et bravades », précise Nicole Sicot-Boland. La légende familiale dit aussi que pour payer l’école de pilotage René Caudron, elle s’est séparée des bijoux de sa grand-mère. Douée, elle commence à voler de ses propres ailes au bout de trois semaines à bord d’un G-3 de la guerre de 1914, un avion rudimentaire en toile et bois, malheureusement responsable de nombreux crashs. Mais bravant sa peur et le danger, elle obtient son diplôme de pilote dix semaines seulement après avoir commencé ses cours, un record. 

Adrienne Bolland à Buenos Aires le 19 mars 1921 quelques jours avant son improbable traversée de la Cordillère des Andes © Wikipédia

Elle ne savait pas que c’était impossible alors elle l’a fait*

Ce qu’Adrienne Bolland ignore encore c’est qu’elle va enchaîner les exploits. Elle est ainsi la première femme à traverser la Manche le 25 août 1920. Puis moins d’un an après, le 1er avril 1921, à 25 ans, elle est le premier pilote à traverser la Cordillère des Andes toujours à bord d’un G-3. Un pari fou et périlleux puisque cet avion ne peut voler au-delà de 4000 mètres.  Pourtant, partie de Mendoza, en Argentine, elle franchit un col de 4200 mètres et vole durant 3 heures 15 par -15 degrés à découvert, sans carte ni boussole, avant d’atterrir à Santiago du Chili où une énorme foule l’attend, sauf l’ambassadeur de France qui a cause de la date a cru à un canular ! Nicole Sicot-Boland précise « qu’elle s’extrait de l’avion, hirsute et le visage en sang à cause de l’altitude mais que ses premières paroles sont de demander un miroir, car elle était tout de même très coquette ! »

Adrienne Bolland (au milieu en pantalons !) militera pour les droits des femmes avec Louise Weiss( à droite) @ fond Bolland

Libre comme un oiseau jusqu’au bout

Adrienne Bolland qui a su à force de persuasion et de talent se faire une place de choix dans un monde d’hommes ne pouvait qu’être féministe et dénoncer l’aberration du non droit de vote des femmes. De fait, elle sera une suffragette très engagée dans les années 30 aux côtés des pilotes Maryse Bastié et Hélène Boucher et de la journaliste féministe Louise Weiss  mais ces dames devront attendre 1945 pour pouvoir enfin glisser un bulletin dans une urne.

A lire aussi : Adrienne Bolland, aviatrice et féministe

De plus, en 1936, elle s’engage aux côtés des républicains espagnols. Puis en 1940 elle entre en résistance et rejoint le C.N.D Castille du Loiret, réseau de renseignements rallié à la France libre dirigé par son mari Ernest Vinchon, un pilote évidemment qu’elle a épousé en 1930. Lorsque ce dernier est fait prisonnier, c’est elle qui prend sa suite. En 1947, elle recevra le grade d’officier de la Légion d’Honneur.

Le Chili et l’Argentine vont rester fidèle à celle qu’ils appellent “La déesse des Andes” avec de nombreuses invitations sur place pour commémorer cet exploit au fils des ans.

En 1971, pour le cinquantaine de sa prouesse, elle déclare à Denise Gault, journaliste de La vie Catholique : « Ce que m’a apporté l’aviation, au fond, c’est une autre vision du monde et (…) un plus grand amour pour les autres”.

A la fin de sa vie depuis son appartement parisien de la rue des Eaux, elle achète chaque matin un pain au lait pour nourrir depuis son balcon, les moineaux qui lui rappellent le monde d’en haut. 

La tombe d’Adrienne Bolland et de son mari au cimetière de Donnery © SD

Deux hommages pour un exploit

Un siècle après, ses prouesses ne sont pas oubliées en Amérique du Sud comme en France avec un double hommage à Donnery. Le 1er avril dernier tout d’abord avec un dépôt de gerbe de l’association française des Pilotes de Montagne sur sa tombe et ce samedi 17 avril avec un hommage de la mairie au cimetière où celle que son mari appelait tendrement « Petit-Bout» repose à ses côtés depuis 1975.  La charmante propriété Les Charmettes, qui longe le canal d’Orléans, mériterait quand à elle d’être intégrée au parcours touristique des demeures des célébrités du Loiret. D’autant que cette demeure a également appartenu à Pierre-Alexis de Ponson du Terrail, créateur du célèbre Rocambole.

A noter enfin que l’historien orléanais Georges Joumas va publier en 2022 un livre sur Adrienne Bolland, consacré à ses activités de résistante.

Sophie Deschamps

*reprise de la célèbre maxime de Mark Twain : « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait.»

 

 

 

 

 

 

Commentaires

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  1. merci pour ce bel article très personnel, fruit d’une sympathique rencontre grâce à G.Joumas
    bien à vous. nicole Sicot Boland

  2. Le conseil départemental pourrait saisir l’occasion pour dénommer le nouveau collège de Dadonville “Adrienne Bolland”.
    N’oublions pas non plus Jeanne Chauvin (1862-1926) née à Jargeau. Militante féministe, première femme à présenter un doctorat en droit en 1892 “Etude historique des professions accessibles aux femmes”, première femme avocate à plaider en 1901.

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