À l’occasion de la venue de Florence Parly au vaccinodrome d’Olivet (45), lundi 12 avril, l’exécutif s’est livré à un sympathique tri sélectif des médias, imposant un « pool » de quelques journalistes censés transmettre la bonne parole à leurs consœurs et confrères privés de cette couverture. Un virage préjudiciable qui pose la question du pluralisme de l’information.
Florence Parly visitant le vaccinodrome d’Olivet (Loiret) le 12 avril 2021. @Mourad Guichard
Il est assez fréquent que durant une visite ministérielle ou présidentielle, un « pool » soit organisé afin de respecter, par exemple, la quiétude des résidents d’un EHPAD. Le ministère concerné et la préfecture désignent alors une chaîne de télévision et une radio pour couvrir une partie de la visite et partager, par la suite, leurs captures avec les confrères qui n’ont pas pu pénétrer dans le bâtiment. Même si c’est discutable, c’est assez courant. Mais vendredi 9 avril, en annonçant la visite de Florence Parly, ministre des Armées, au vaccinodrome d’Olivet (Loiret), l’État a donné naissance à un nouveau concept : le journalisme par procuration. En plus d’un photographe d’agence (SIPA), d’un micro (France Bleu Orléans) et d’une caméra (France 3 Centre-Val de Loire), il n’y avait, en tout et pour tout, qu’un rédacteur, en l’occurrence celui de La République du Centre. Et il était aimablement demandé aux autres rédacteurs de se tourner vers lui pour « récupérer des éléments ».
La Croix ou Valeurs Actuelles ?
En d’autres termes, de fournir une information aux lecteurs (la visite du centre de vaccination) au travers du filtre d’un confrère, d’une consœur, d’un média à la ligne éditoriale forcément différente. Sur un plan déontologique, on flirte avec le conceptuel. Un peu comme si La Croix comptait sur Valeurs Actuelles pour assurer la couverture d’un congrès de Chrétiens de gauche ou que L’Huma envoyait un journaliste du Figaro couvrir un meeting de Nathalie Arthaud. Contacté par Magcentre, Benoît Bruère, le président de la Société des journalistes (SDJ) de France 3 Centre-Val de Loire, confirme le côté déplacé de la méthode. « Je trouve cela regrettable, c’est une forme de déni de démocratie », pointe-t-il. « Nos convictions professionnelles nous obligent à regretter et déplorer cet état de fait, car la contradiction fait partie de nos métiers, y compris face au gouvernement ». L’antenne régionale assure qu’elle n’était pas au courant de cette décision ministérielle de restreindre, à ce point, l’accès aux journalistes. « C’est après avoir fait la demande d’accréditation que j’ai reçu, comme vous, la liste du pool », indique Jean Forneris, son rédacteur en chef. « Tous les journalistes qui souhaiteraient se faire accréditer devraient pouvoir accéder à la visite ». Même surprise amère du côté de nos confrères de La République du Centre. « On ne savait pas qu’il y aurait un pool quand on a demandé les accréditations », assure Philippe Cros, chef de rédaction à La Rép. « Nous ne sommes évidemment pas à l’aise avec ce genre de situation subie, surtout qu’elle est rare à Orléans. Même si cela est contestable, c’est une pratique « validée » par la profession et c’était difficile pour nous de décliner à chaud avec les implications que cela peut avoir ». Cette dégradation récente du rapport de l’exécutif vis-à-vis des médias, Benoît Bruère l’a vu naître aux débuts des années Sarkozy. Au moment où le pouvoir fournissait y compris les images de meetings présidentiels.
Et la distanciation sanitaire ?
« De brider la communication politique, à l’arrivée, ça ne donne pas l’image qu’ils souhaiteraient », souligne-t-il. Contacté sur cette mesure restrictive, le ministère des Armées a dégainé « la crise sanitaire » comme seule explication. Seulement voilà et comme en attestent les images captées sur place, Florence Parly était entourée d’une trentaine d’huiles essentielles qui déambulaient dans le gymnase au coude-à-coude entre militaires et patients âgés venus se faire vacciner. Pas certains que cette mise en scène ait respecté les règles sanitaires de base. Enfin, et ça n’est pas le moindre des travers, cette visite ministérielle fortement coûteuse (on estime chaque déplacement à environ 50.000 euros) vient s’ajouter à 25 autres déjà effectuées par l’exécutif depuis le début de l’année 2021, la région Centre-Val de Loire étant l’un des terrains de jeu favoris des ministres, proximité avec Paris oblige.
À quelques mois du début de la campagne présidentielle, toutes ces pratiques du « Nouveau Monde » rappellent furieusement celles d’un passé pas si lointain.
Mourad Guichard
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