Archive: “Dix-neuf ans ans après le génocide au Rwanda, le Loiret toujours divisé”

Alors que la récente publication du rapport Duclert sur le génocide rwandais tente de faire la lumière sur les responsabilités françaises dans cette tragédie, Christian Bidault, fondateur de Magcentre après avoir été de nombreuses années grand reporter à la République du Centre, avait écrit un long papier en 2013 à l’occasion du passage à Orléans d’une survivante, témoin du génocide. Christian s’était passionné pour ce pays et il y réalisa plusieurs reportages avant 1994, dans le cadre d’une coopération active entre le département du Loiret et ce pays, alors peu connu des Français, coopération qu’il nous rappelait ici.

Pauline Kayitare, lors de son passage à Orléans.

Itinéraire d’une enfant en pays de génocide : C’est ainsi qu’on aurait pu titrer ce livre bouleversant, tragique, au cœur d’événements qui marqueront l’Afrique à jamais du sceau de la barbarie. Treize ans, c’était une enfant qui mettra longtemps, très longtemps, à se libérer de ses souvenirs atroces. Elle vivait en 1994 à Kibuye au nord du Rwanda, près du lac Kivu. 

Un jour, lorsqu’elle a pu enfin enterrer une bonne partie de sa famille  décimée, qu’elle a pu « faire le deuil », Pauline a décidé de tout dire, de se libérer. Se libérer de ces images de tueries, d’insupportables sauvageries qui auront marqué la fin de son enfance.

Même s’il se termine par ce message d’espoir, son ouvrage, qu’elle a présenté le 30 avril au Cercil à Orléans, est une litanie de morts, de sang, de haine brutale. « Je n’ai pas peur, je dirai toujours, ils peuvent bien me tuer », dit Pauline qui vit maintenant à Bruxelles.  Sur sa page Facebook, elle a reçu des insultes, des menaces de mort.

Rescapée de l’enfer

Comment imaginer en voyant cette belle jeune femme, maman d’un enfant de trois ans,  qu’il s’agit de la même qui a baigné dans le sang de son peuple ? Rescapée de l’enfer. Elle sait raconter, faire passer l’émotion, tenir son public en haleine, pas seulement par la morbidité du récit. Alors maintenant, elle va dans les écoles pour que les petits sachent… Des  interventions qui sont pour elle “un devoir de mémoire”. 

 

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« (…) Des tueurs attrapent un vieil homme, ils lui coupent la main. Le sang gicle… La sauvagerie est à son comble. (…) Le plus hallucinant c’est que le massacre se déroule dans le silence des victimes. Elles ne crient pas, ce sont les tueurs qui hurlent ». Des scènes aussi atroces, indicibles, il y en a des dizaines dans son livre, « tu leur diras que tu es Hutue.… » Pauline s’en tirera en mentant pour échapper aux tueurs, avec de la chance aussi. 

Ce soir là, au Cercil  (Centre d’études et de recherches sur les camps du Loiret et la déportation juive), qui avait eu la bonne idée de l’inviter dans le cadre des Mardis du Cercil comme grand témoin, le camp d’en face n’est pas venu. Pourtant, ils sont nombreux à Orléans, dans le Loiret (lire plus loin), ceux que Pauline et ses amis appellent les « négationnistes ».

Comment le Rwanda pourra t-il un jour réconcilier les deux clans que la puissance coloniale s’est évertuée à classer en deux ethnies, Hutus, au pouvoir en 1994, et Tutsis ? Dans le Loiret, cette tragédie résonne encore plus qu’ailleurs en France. 

Un monument aux victimes à Paris?

L’an prochain en 2014, des manifestations marqueront en France et en Belgique le 20e anniversaire de la tragédie. A Bruxelles, un monument rappelle le calvaire du peuple rwandais. Faut-il écrire dessus  “Aux victimes Tutsies”, comme l’a proposé une autre réfugiée dans la salle ? Pourra-t-on écrire un jour sur un monument à Paris “aux victimes du génocide” sans distinction. Pour l’instant de toute façon, la mairie de Paris n’a pas répondu aux sollicitations rwandaises…

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Au Cercil, avec d’autres réfugiées rwandaises, Hélène Mouchard-Zay.

Lorsqu’elle décrit à la fin de son ouvrage le “paradis”, créé depuis 1994 par le pouvoir de Paul Kagamé, “on ne fait plus la distinction entre Hutus, Tutsi et Twas”, la carte d’identité ethnique ont été supprimées par la FPR dans la volonté de réunir la population rwandaise“, comment en vouloir à Pauline Kayitare de défendre bec et ongle la lecture manichéenne de la tragédie rwandaise ? Y compris avec ses simplifications sémantiques, comme  “la France complice du génocide”, fruit de la communication du nouveau pouvoir et des vengeances de l’ancien colon belge, incapable en ce domaine d’assumer ses propres responsabilités, auquel il convient d’ajouter pour être complet un goût français de l’auto-flagellation et les règlements de compte vis-à-vis de François Mitterrand.

Le recul de l’histoire

Avec conviction, Pauline, ce soir-là, a répondu à toutes ces blessures encore béantes. “Les révisionnistes” ne sont pas venus lui porter un zest de contradiction. Comme JMV Ndagijimana, ancien ambassadeur du Rwanda à Paris qui vit à Orléans. Pour lui,  comme pour Pierre Péan dans son ouvrage (Noires fureurs, blancs menteurs : Rwanda, 1990-1994, éditions Mille et une nuits), il y eu aussi du nettoyage ethnique des forces Tutsies au nord Rwanda à l’été 1994. 

Hanna Harendt, le très beau film de  Margarethe Von Trotta, nous incite à plus de nuances dans nos approches des génocides. Sans jeu de mots, pas plus au Rwanda qu’ailleurs, rien n’est jamais ni tout noir, ni tout blanc. Mais ce n’est certainement pas à Pauline Kayitare, rescapée de ce monstrueux printemps 1994, qu’il faut demander de prendre ce recul avec l’histoire.

Christian Bidault

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Repères

Le Rwanda ? Avant avril 1994, combien de Français savaient où se perchait ce minuscule état niché au cœur de l’Afrique des grands lacs, petit frère du Burundi voisin ?

Il faut le savoir : avant la tragédie, la France exerçait une coopération très développée au Rwanda, et pas exclusivement, comme on y pense immédiatement avec les réseaux de la françafrique. Plusieurs milliers de Français y ont fait de la coopération culturelle, dans l’éducation nationale, humanitaire aussi. Et un grand nombre parmi eux n’était pas au Rwanda, une des vitrines de la coopération française, pour « faire du CFA ».

Or, il se trouve que le Loiret, par des réseaux qui prennent leur source à l’hôpital d’Orléans, cultivait une relation privilégiée avec le Rwanda. Des orphelins rwandais sont adoptés, plusieurs dizaines dans le Loiret. C’est par ce biais que naîtra aussi une coopération institutionnelle, cette fois entre le Conseil général et la province de Butaré, au sud du pays. Pays très francophone faut-il le rappeler. 

En octobre 1990, une délégation de conseillers généraux du Loiret se retrouve coincée à Kigali alors que le FPR mène une attaque venue du nord, d’Ouganda. Ils seront “libérés” et rapatriés en France par le 2e REP. 

Au fil d’une coopération initiée et développée par Thierry Fandard, à l’époque directeur de cabinet du président du Conseil général Klébert Malécot, le département en vient même à construire (pour 500 000 francs de l’époque) une maison du Loiret à Butare, la province jumelée. Cinq ou six coopérants y sont abrités pour piloter la culture du haricot vert en contre-saison, dont les récoltes sont expédiées puis vendues dans le département. Aujourd’hui, une partie de la diaspora rwandaise du Loiret estime que ses cultures appauvrissaient en cultures vivrières, les populations locales.

Juvénal Habyarimana à la Maison du Loiret

Juvénal Habyarimana en décembre 1993 à la Maison du Loiret à Butare.

Juvénal Habyarimana en décembre 1993 à la Maison du Loiret à Butare.

Juvénal Habyarimana, [président du Rwanda]  inaugura la Maison du Loiret en décembre 1993, cinq mois avant l’attentat contre son avion qui déclenchera le génocide.

A son arrivée à la tête du département, Eric Doligé s’empressera de faire cesser cette coopération, considérée comme « la danseuse » de l’ancien directeur de cabinet. Exfiltrés en avril 1994 de Kigali par l’armée française, quelques dizaines d’enfants rwandais furent hébergés au château du Rondon à Olivet, propriété du département. Le Loiret fut accusé de n’avoir accueilli que les rescapés Hutus et notamment des membres de la famille d’Agathe Habyarimana, la veuve du président. Plusieurs années plus tard, un drame endeuillera cette communauté, un des adolescents du Rondon, déséquilibré,  poignarda un passager dans un tramway d’Orléans.

 Au fil du génocide (Butare était la seule province dirigée par un Tutsi) la Maison du Loiret servit de QG à la Minuar (Mission de l’ONU pour le Rwanda), avant d’être cédée, pour le franc symbolique, à la préfecture de Butare.

Depuis les relations officielles ont cessé entre le Loiret et Butare.

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Chronologie

–  En 1959, premier « génocide »,  la Toussaint rwandaise, soutenu par l’église catholique chasse des milliers de Tutsis en dehors des frontières, en Ouganda, au Zaïre, au Burundi, en Tanzanie.

– 1962, indépendance du Rwanda, dans la foulée des indépendance d’Afrique de l’ouest francophone et en 1973 coup d’état d’un militaire, le  major Juvénal Habyarimana restera à la tête de l’Etat durant vingt ans. En 1975, la France signe comme avec d’autres pays africain un accord de coopération militaire. Jusqu’à 1990, des incursions récurrentes de Tutsis venus du nord eurent lieu dans le pays et la France en vertu des accords militaire prêta main forte aux FAR (Forces armées rwandaises)

– Quant à la carte d’identité ethnique qui classait les Rwandais  en Hutus et Tutsis, elle datait de 1931,  c’est-à-dire de la colonisation belge. Selon certaines thèses, pas complètement farfelues,  il s’agissait pour les Belges dans leurs colonies, de reproduire la césure entre flamands et wallons qui divisait, et divise toujours le pays.

– Le 6 avril 1994, l’avion qui transportait le président Rwandais et son homologue burundais est abattu au dessus de Kigali. C’est le coup d’envoi du génocide qui fit 800.000 ? 1 000 000 de morts ? 

 – Qui a tiré sur l’avion ? Les extrémistes Hutus, les interahamwe, ceux qui ont ensuite massacré, comme le dit la thèse officielle de l’actuel gouvernement rwandais de Paul Kagamé ? Au contraire le FPR (Front patriotique rwandais) par un calcul machiavélique qui lui aurait  permis au final de prendre le pouvoir ? Sur ce plan la polémique continue.

 – En 1993 avaient été signés sous la pression de la communauté internationale, les accords d’Arusha (Tanzanie au pied du Kilimandjaro) qui prévoyait notamment la constitution d’une armée mixte, avec le FPR et les FAR (Forces armées rwandaises).

– Le Rwanda était un pays francophone. L’Anglais y est aujourd’hui la première langue étrangère et le pays a adhéré au Commonwealth.

Pauline Kayitare, Tu leur diras que tu es Hutu, chez André Versaille éditeur, 184 pages, 16,90€. 

 http://www.kayitare.org/fr/temoignage.php

– Une association de Rwandais dans le Loiret: IBUKA, cellule de Montargis, 32 rue Claude Debussy, 45 120 Chalette-sur-Loing.        

–   Paul Kagamle a sacrifié les Tutsis, par JMV Ndagijimana, éditions La Pagaie. 160 pages, 17€  

 

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