Profiter du Carême pour ressusciter Triboulet, même le clown Chocolat n’y aurait pas pensé. Par sainte Nitouche et saint Pansard, quand France Culture et le magazine Elle s’intéressent à l’illustre bouffon blésois, comment ne pas lui offrir cette chronique pascale. En toute conscience que l’érection d’une statue à son effigie relèverait d’un improbable rendez-vous de l’histoire.
“A l’époque, je découvrais tout de ma nouvelle fonction : pourfendre l’esprit de sérieux, tourner en dérision les fastes du pouvoir, son ridicule, ses codes, ses rituels. Presque sans limite. Presque. Comme si la liberté totale résistait. Si proche et si lointaine. Sublime et inaccessible. Comme la Reine“. Mais cette belle mission, l’unique Triboulet, ancêtre vénéré, l’a perdue pour un mot, comme ses avantages, marotte et beaux grelots. Cruel châtiment, mes seigneurs, conté par Guillaume Meurice, qui n’émeut pas pour autant Néa, ma jumelle, revenue au bercail pour y vivre son confinement.
“Voilà qui ne pouvait qu’intéresser les filles de Elle, pressées de découvrir “Le roi n’avait pas ri“, son tout dernier ouvrage“, dit-elle en souriant . “Fallait pas toucher aux dames. Surtout avec la langue, lui avait dit le roi“, appuie l’impertinente. Certes. D’une plume fluide, il y dresse un portrait haut en couleur de l’Unique au verbe pointu et à l’esprit acéré. Un exercice habile, complémentaire à celui de Francis Perrin dans Le bouffon des rois, et autant apte à susciter la réflexion sur le rôle du bouffon. Quelques autres auteurs, en d’autres temps, l’ont aussi évoqué, tels Rabelais ou Erasme, ses contemporains, Victor Hugo, dans “Le roi s’amuse”, Verdi dans “Rigoletto, au XIXe, ou le feuilletonniste Michel Zévaco, au début du XXe. “Même que France Culture, en ce début de printemps, lui tresse des lauriers. J’ai cru à un poisson d’avril“, dit-elle, faussement outragée, se moquant de ses propres références. “Dans une série sur le rire“. Sans conteste, voilà une postérité bien méritée.
Cette mise en onde eut lieu le dernier jour de mars, de bon matin, dans le Cours de l’histoire. Un beau sujet, propre à flatter l’égo de certains. “Comment et pourquoi passe-t-on de la figure de l’idiot dont on rit malgré lui à celle du bouffon, véritable acteur feignant la sottise ? Quel est son rôle auprès du puissant ? Quels ressorts comiques emploie-t-il ? Pourquoi continue-t-il à fasciner ?” Là, Néa m’a fait un pied de nez, s’esclaffant en rejoignant sa chambrée. “Fasciner, et puis quoi encore. Faut pas rêver. Le jour ou les bouffons deviendront roi, les poissons d’avril auront des dents“.
Avouons le, les propos tenus par les spécialistes invités étaient du plus bel effet, et l’analyse majestueuse. Il manquait juste Guillaume Meurice. Celui-ci aurait aimé fustiger Jean Marot, cité dans l’émission, comme il a su l’écrire. “Quand on a appris à lire avec Villon, difficile de continuer avec Marot. Il est fascinant de voir comment, avec vingt-six lettres, on peut soulever les coeurs ou enterrer les langues. Comment ce torrent d’eau tiède pouvait-il autant faire frémir notre bonne reine ?”
Diantre, quel pertinence, quelle preuve de référence pour un bouffon reconnu ! Il est vrai que ces vingt-six lettres sont admirables pour rédiger quelques poèmes, lois et autres épitaphes. Ou provoquer l’ire de quelques communautés diverses et variées, aujourd’hui peu ouvertes à la moquerie, plébiscitant la cancel culture, évoquée récemment sur les mêmes ondes. Même à Blois, nul bouffon aujourd’hui n’oserait prendre comme poulain un descendant du clown Chocolat.
Allons, mes cousins, pas d’inquiétude. Ce n’est pas encore demain que Triboulet verra un roi, ou un simple seigneur, lui ériger une statue. Il a déjà une rue, et même pas une impasse. Une rue unique en France, tout un symbole.
Néo Triboulet