C’est le récit imaginé par l’écrivain-historien loirétain Frédéric Cuillerier-Desroches dans La Victoire de la Commune publié à l’occasion du 150e anniversaire de cet évènement historique français tragique mais mal connu.
Frédéric Cuillerier-Desroches, auteur de l’uchronie “La Victoire de la Commune” © SD
Parmi les nombreux documents édités pour les 150 ans de la Commune, le livre de Frédéric Cuillerier-Desroches, La Victoire de la commune 18 mars 1971-28 mai 1971 se détache du lot et vaut le détour car il s’agit d’une uchronie. En effet l’auteur a imaginé ce qui se serait passé si la Commune avait eu raison du gouvernement d’Adolphe Thiers (élu après la lourde défaite de la France contre la Prusse de Bismarck) au lieu d’être anéantie durant la terrible semaine sanglante du 21 au 28 mai 1871 (24 000 morts). Une répression impitoyable qui mit fin à l’expérience de République sociale des Communards.
Avec une plume alerte, précise et juste, le maire de Saint-Ay, très attaché à l’idée de “commune” nous fait vivre au fil des pages cette aspiration du peuple à plus de justice sociale mais également à plus de démocratie. L’auteur a aussi tenu à réhabiliter les héros, anonymes ou célèbres (Flourens, Ferré, Ranvier, le colonel Rossel, sans oublier Louise Michel) de cette période de 72 jours qui a changé la France, mais encore trop souvent salie et déformée. En effet, il a fallu attendre le 29 novembre 2016 pour que l’Assemblée Nationale réhabilite les Communards !
Fac-similé d’une affiche de la Commune du 29 mars 1871 © DR
Bien sûr, une rencontre s’imposait avec Frédéric Cuillerier-Desroches.
Vous aviez déjà écrit sur la Commune de Paris dans votre précédent roman Roch et Carolina. Pourquoi avez-vous eu envie d’y revenir et sous la forme d’une uchronie ?
Frédéric Cuillerier-Desroches : Effectivement, en écrivant ce roman j’avais constaté que les acteurs dont je parlais avaient commis un certain nombre d’erreurs stratégiques qui ont empêché la victoire de la Commune. Donc, j’ai voulu en quelque sorte « corriger » ces erreurs et donner un autre destin aux insurgés, plus heureux, victorieux et qui leur permette de s’exprimer pleinement, au-delà de la semaine sanglante. Certains sont mes aïeux et quatre d’entre eux ont été fusillés par les Versaillais le 24 mai 1871.
Ces 72 jours de la Commune ont marqué l’Histoire mais on a l’impression encore aujourd’hui que la France n’assume pas encore tout à fait cette période, même si les Communards ont été réhabilités en 2016. Pourquoi selon vous ?
F.C-D : Il y a une honte absolue parce qu’il y a eu une chape de plomb qui s’est abattue sur la Commune pratiquement jusqu’à la Première Guerre Mondiale. Cela reste un moment, tragique, extrêmement douloureux parce que ce sont des Français qui ont tiré sur des Français, Adolphe Thiers ayant ordonné aux généraux d’être sans pitié et ils ont été effectivement impitoyables. C’est vraiment une période honteuse de l’Histoire de France. Et même les lois d’amnistie de 1879-1880 parce que ce sont les criminels que l’on amnistie. Or, les Communards ne sont pas des criminels mais des victimes.
C’est une amorce de révolution sociale qui est stoppée dans le sang, sur fond de lutte des classes ?
F.C-D : Oui, c’est une opposition entre la bourgeoisie, l’aristocratie et le peuple qui se soulève en disant : nous aussi, nous avons des droits, nous vivons avec nos enfants dans la misère et nous voulons vivre de façon normale avec toute une vocation sociale, solidaire et égalitaire.
fac-similé d’une affiche de la commune © DR
Vous employez le mot “insurgés” et c’est vrai que l’on a encore l’image d’anarchistes et de jusque-boutistes prêts à tout vandaliser sur leur passage. Au contraire, vous nous donnez à voir des personnes qui avaient un programme social très précis.
F.C-D : Oui avant l’intervention des Versaillais pour reprendre Paris, ils n’ont rien vandalisé. C’est l’image qui est restée mais ils ne l’ont pas fait. Le moment où ils ont effectivement commencé à brûler les bâtiments publics, c’est en réponse à l’attaque de Thiers au cours de la semaine sanglante. C’était le seul moyen qu’ils avaient face aux troupes versaillaises qui étaient sans pitié et fusillaient à tour de bras. 24000 morts, fusillés en une semaine, c’est énorme.
D’autant que les Communards portaient en eux toutes les grandes réformes qui vont être mises en place dans la première partie de la IIIe République, entre 1880 et la Première Guerre Mondiale : la liberté de la presse (1881), la liberté syndicale (1884), la liberté d’associations et de réunions, l’instruction laïque, publique, gratuite et obligatoire jusqu’à 13 ans pour éviter que les enfants aillent à l’usine à 8 huit ans. Ensuite, la loi de 1901 sur les associations, puis celle de la séparation de l’Église et de l’Etat en 1905. Toutes ces grandes réformes ont mis entre 35 ans et 40 ans pour être votées alors que les Communards en rêvaient déjà !
La Proclamation de la Commune de la Paris, Le Monde Illustré du 8 avril 1871 © FCD
Vous parliez des erreurs stratégiques de la Commune qui selon vous l’a empêchée d’être victorieuse. Quelles sont-elles ?
F.C-D : La première erreur des Communards est d’avoir exécuté les deux généraux capturés le 18 mars 1871 lorsque Thiers envoie 4000 soldats à Montmartre récupérer les canons achetés par le peuple pour lutter contre les Prussiens et mis à l’abri sur la butte. Mais les soldats, crosse en l’air, refusent de tirer sur le peuple avec lequel ils fraternisent. Georges Clémenceau, alors jeune maire de Montmartre refuse l’exécution sommaire et sans jugement des deux généraux, qui auraient pu servir de monnaie d’échange pour libérer Auguste Blanqui (révolutionnaire socialiste français, père de l’anarchisme, NDLR) mais malheureusement, il arrive trop tard pour les sauver. Dans mon livre j’imagine que Clémenceau et un jeune capitaine, dont je vous laisse découvrir le nom, arrivent à temps pour sauver les généraux et les échanger contre Auguste Blanqui, qui a déjà passé 36 ans en prison et qui devient le guide la Commune.
La seconde erreur est de ne pas avoir marché tout de suite sur Versailles où Thiers s’était replié avec son gouvernement le 18 mars. Les Communards disposent alors d’une Garde Nationale de 200 000 hommes mais ils sont mal armés, mal organisés et manquent de discipline. Leur hésitation va permettre alors à Thiers de réorganiser ses troupes en faisant libérer des prisonniers et d’entrer dans Paris fin mai 1871.
Enfin, la troisième erreur est que les Communards ont eu des scrupules à s’emparer de la Banque de France qui comptait dans ses caisses un trésor de 3 millIiards de franc-or. Les Communards n’étaient pas des financiers et ils n’ont pas pris conscience de l’importance qu’il y avait à contrôler cette banque. Pour leur malheur.
Propos recueillis par Sophie Deschamps
Frédéric Cuillerier-Desroches La Victoire de la Commune 18mars-28 mai 1871, Sdi Éditions. Un ouvrage disponible à Orléans dans les librairies Aux Temps Modernes et Chantelivre.