L’électricité nucléaire aura-t-elle encore une place dans le mix énergétique de demain ? C’est une question qui divise aujourd’hui la société française, entre ceux qui mettent en avant cette énergie décarbonée et les emplois qu’elle génère et ceux qui alertent sur les déchets et un risque d’accident nucléaire majeur. D’où la nécessité d’un examen approfondi des avantages et des inconvénients de l’atome, d’autant que notre région compte 4 centrales nucléaires.
Dampierre-en-Burly (Loiret) fait partie des centrales nucléaires dont la durée de vie devrait être prolongée ©Magcentre
Le débat sur l’atome est une vieille passion française et plus encore depuis les accidents majeurs de Tchernobyl (1986) et Fukushima (2011). Toutefois, comme le révèle un sondage Odoxa, réalisé pour le magazine Challenges en 2018, l’opinion s’est retournée puisque 53% Français sont désormais contre le nucléaire alors que 67% d’entre eux y étaient encore favorables en 2013. Un sondage qui révèle toutefois que les Français ne sont pas pressés de sortir du nucléaire et qu’ils préfèrent attendre la fin de vie des centrales. Enfin et c’est plus étonnant, 57% estiment que le coût de l’énergie nucléaire est deux fois moins important que le développement des énergies renouvelables.
Avec une capacité installée de près de 61,4 GW, le parc nucléaire français est le deuxième plus important parc au monde en puissance, derrière celui des États-Unis grâce à ses 18 centrales nucléaires regroupant 56 réacteurs en activité.
La région Centre Val de Loire compte elle 4 centrales nucléaires (Belleville, Chinon, Dampierre-en-Burly et Saint-Laurent-des-Eaux) soit 12 réacteurs en activité qui produisent à eux seuls 96% de l’électricité de notre région (chiffre 2017).
Cinq réacteurs graphite gaz sont à l’arrêt sur deux sites ( 3 à Chinon et 2 à Saint Laurent des Eaux), un centre national d’équipement de production d’électricité est basé à Tours et enfin une agence de maintenance thermique (AMT) est installée à Montargis.
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En fait, on peut dire que la question du nucléaire tourne en France autour de huit grandes thématiques : l’indépendance énergétique, une énergie décarbonée, l’emploi, la sécurité, les déchets nucléaires, les centrales du futur, le nucléaire et le climat, le futur mix énergétique.
Une indépendance énergétique qui n’existe plus depuis 20 ans
Le choix du « tout nucléaire » en France s’est imposé après-guerre pour deux raisons : le manque de pétrole, charbon et gaz naturel dans notre sous-sol, et les chocs pétroliers des années 70 qui ont vu le prix du baril de l’or noir s’envoler.
L’objectif était alors de garantir à la France une indépendance pour sa fourniture d’électricité. Mais ce n’est plus le cas depuis 2001 avec la fermeture de la dernière mine française d’uranium. Depuis, notre pays doit importer la totalité de l’uranium utilisé dans les 58 réacteurs français. Un minerai qui provient principalement d’Australie, du Canada, du Kazakhstan et du Niger, d’où la création en 2001 de la multinationale Areva (rebaptisée depuis Orano). La répartition exacte des importations françaises n’est toutefois pas communiquée par EDF et Areva, qui fournissent des documents assez globaux sur leur origine. On repassera pour la transparence.
Les centrales nucléaires permettent aussi une production constante de l’électricité. C’est essentiel car c’est une source d’énergie non-stockable, contrairement au gaz naturel. Elle permet de palier l’intermittence des énergies renouvelables, plus propres mais moins constantes. Un faux problème toutefois selon Amory Lovins, spécialiste américain des énergies et partisan des économies d’énergie. En effet, il explique dans un article de la revue trimestrielle We demain de février 2021, intitulé Poursuivre le nucléaire est une folie que « le réseau électrique est construit pour gérer cette intermittence (…)et que même les centrales nucléaires sont fermées 10 à 12% du temps, les centrales en état de marche remplaçant les centrales arrêtées. »
Une énergie décarbonée mais non propre et… de plus en plus chère
L’électricité nucléaire est une énergie à part, puisqu’elle n’est ni renouvelable, ni fossile. Elle n’est pas renouvelable car elle dépend d’un combustible fissible, l’uranium, dont le minerai est extrait du sous-sol de la terre. C’est donc une ressource finie. Pour rappel, cette électricité est produite grâce à la chaleur dégagée par la fission d’atomes d’uranium au sein des réacteurs d’une centrale nucléaire. Ce n’est pas non plus une énergie fossile car elle ne nécessite pour sa production ni charbon, ni pétrole et ni gaz naturel. C’est une énergie dite décarbonée qui ne rejette pas de CO2 dans l’atmosphère, contrairement aux très polluantes centrales thermiques au charbon. Même si notre Région ne compte pas de centrales à charbon, il en reste 4 en France qui en principe doivent être fermées en 2022. Elles se situent à Cordemais (Loire-Atlantique), au Havre (Seine-Maritime), à Gardanne (Bouches-du-Rhône) et à Saint-Avold (Moselle).
Par ailleurs, depuis les années 90, 21 des 58 réacteurs nucléaires français (dont ceux de Dampierre-en-Burly, Saint-Laurent-des-Eaux et Chinon) utilisent 30% de MOx. Un combustible composé de 7% de plutonium issu du retraitement des combustibles irradiés et de 93% d’uranium appauvri, prévu au départ pour alimenter le réacteur Superphénix arrêté définitivement en 1997. Le plutonium qui est fabriqué par l’homme est toutefois hautement toxique. Comme l’expliquait en 2011 au magazine Le Point Bernard Laponche, ancien ingénieur au CEA (Commissariat à l’Énergie Atomique) « un combustible MOx avant utilisation est un million de fois plus radioactif qu’un combustible à l’uranium ». Et puis n’oublions pas que le plutonium peut aussi servir à fabriquer la bombe atomique.
Les sécheresses quasi annuelles de la Loire sont un problème pour les centrales nucléaires et les poissons qui y vivent ©Magcentre
Le nucléaire a aussi un impact sur une autre ressource, l’eau avec les réserves de sécurité pour refroidir les réacteurs en cas de surchauffe ou tout simplement quand un réacteur doit être mis à l’arrêt pour assurer sa maintenance. Avec pour conséquence que l’eau prélevée dans les cours d’eau est plus chaude une fois rejetée mais elle ne doit pas dépasser 25°C. Toutefois, comme l’explique l’hebdomadaire 1 du 31 mars 2021 consacré au climat : « Dans un contexte de sécheresse et d’étiage estival, cette pratique menace les peuplements de poissons migrateurs (truites ou saumons) fragilisés au delà de 20°C ». La vallée de la Loire est ainsi très exposée à la surchauffe avec ses 20 réacteurs.
Le prix est aussi un élément important à prendre en compte. Ainsi le tarif de l’électricité a flambé en dix ans en France selon une étude de l’Insee de 2017. Et le confinement du printemps 2020 a eu aussi un impact puisque comme le rapportait le journal Les Échos du 19 février 2021 : « Le confinement du printemps a en effet entraîné un décalage du programme de maintenance des centrales nucléaires françaises et réduit largement leur disponibilité pour produire au moment où la consommation est la plus forte, c’est-à-dire en hiver. » Il est en outre inexact d’affirmer que l’électricité nucléaire est moins chère que celle produite par les énergies renouvelables. Ainsi, comme le rapporte le trimestriel We demain de février 2021 « l’électricité solaire au Portugal coûte entre 1 et 2 centimes le KWH contre 13 à 14 centimes pour le nouveau nucléaire français. »
Une énergie décarbonée certes mais ni verte ni propre puisqu’elle pose également les épineuses questions des déchets nucléaires et d’un possible accident majeur.
Les déchets nucléaires
Les centrales nucléaires produisent des déchets très radioactifs, qui resteront dangereux pendant des dizaines de milliers d’années. Ainsi, le plutonium (voir plus haut) ne perd l’essentiel de sa radioactivité (99 %) qu’au bout de 117 000 ans ! Selon Orano groupe (ex-Areva), la France recycle 96% de ses déchets nucléaires, les 4 % de déchets ultimes non recyclables et très toxiques, soit 120m3, sont stockés dans l’usine de la Hague (avec un coût d’un milliard d’euros par an). Le projet Cigéo à Bure devrait permettre d’ici 2100 d’enfouir profondément sous terre ces déchets ultimes. Un projet évalué à 25 milliards mais ce serait beaucoup plus à terme selon ses détracteurs. Par ailleurs, selon Greenpeace, le volume des déchets radioactifs serait sous-évalué en France.
Dans un rapport publié fin 2019 À quel prix ? Les coûts cachés des déchets nucléaires, l’ONG évalue « à 360.000 tonnes le volume de rebuts qui, fin 2017, échappaient aux plans de gestion des déchets nucléaires. Leur traitement entraînerait un surcoût de 18 milliards d’euros dont 15 milliards devraient être supportés par EDF, déjà en grande difficulté financière. » Sans oublier que l’usine de la Hague arrivera à saturation en 2030, autant dire demain, d’où le projet de Bure mais pas seulement.
Ainsi EDF voulait installer une piscine pouvant accueillir des déchets nucléaires dans la centrale de Belleville (Cher). Un projet toutefois annulé en 2020 après l’annonce officielle le 30 juin de François Bonneau, président socialiste de notre Région. Le collectif Piscine Nucléaire Stop rassemblant 15 associations avait saisi en février 2020 la Ministre de la Transition Écologique et le président de l’ASN contre ce projet situé en zone inondable et jugé « contestable, inopportun économiquement et dangereux pour la population ». Un projet qui devrait être toutefois relocalisé près de la Hague.
La sécurité
La centrale de Saint-Laurent-des-Eaux (Loir-et-Cher), l’une des plus anciennes de notre parc nucléaire ©Magcentre
Un accident nucléaire majeur est possible, même en France ! Le 18 janvier 2017, Pierre-Franck Chevet, président de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) annonçait même : « Concernant les installations nucléaires, il y a un an, le contexte était préoccupant à moyen terme. Si je devais résumer ma pensée aujourd’hui, je dirais que le contexte est préoccupant. J’enlève ‘à moyen terme’. » L’ASN réfléchit à la question depuis 2005 (donc avant Fukushima) avec la création d’un site post-accident-nucleaire.fr sur lequel on trouve depuis 2020 un guide pratique pour les habitants d’un territoire contaminé par un accident nucléaire (sic). Fini donc le temps on l’on minimisait la possibilité d’un accident majeur nucléaire en France.
Aujourd’hui, il faut y ajouter le risque terroriste comme le reconnaissait en 2018 le rapport d’une Commission parlementaire : « Les installations nucléaires françaises semblent souffrir d’une faille originelle à laquelle il sera difficile de remédier : elles n’ont pas été conçues pour résister à une agression de type terroriste. »
Greenpeace en a plusieurs fois fourni la preuve en s’introduisant facilement dans des centrales ou en les faisant survoler par un drone comme ce fut le cas en 2014 à Dampierre-en-Burly et à Saint-Laurent-des-Eaux.
Des mises en garde sérieuse qui n’empêchent nullement les pouvoirs publics d’envisager le prolongement de dix ans de la durée de vie de 32 réacteurs de 10 centrales avec le feu vert de l’ASN (Autorité de sureté nucléaire). Dans notre région, la prolongation des réacteurs concerne 3 centrales sur 4 : Chinon, Dampierre-en-Burly et Saint-Laurent-des-Eaux.
Ce programme dit de « Grand carénage » a été établi en 2016 avec une facture salée de 100 milliards d’euros de mise en sécurité des réacteurs avec un agenda serré de travaux jusqu’en 2024, à raison de la mise aux normes de 4 à 5 réacteurs par an.
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12 000 emplois liés au nucléaire dans notre région
Selon une étude de PWC pour Areva datant de mai 2011, le secteur du nucléaire en France représente 125 000 emplois directs, c’est à dire autant que l’aéronautique, et 410 000 emplois en tout, soit 2% de l’emploi total en France.
Dans notre région, le secteur du nucléaire emploie 12 000 personnes : 6200 emplois directs et 2300 emplois indirects chez les fournisseurs et les sous-traitants. Sans oublier les 3300 emplois supplémentaires générés par la consommation des salariés et de leurs familles occupant les emplois directs et indirects. Quelques fournisseurs du secteur industriel concentrent l’essentiel des emplois indirects et dépendent fortement des commandes d’EDF. On les trouve principalement en Indre-et-Loire, à proximité de la centrale de Chinon et dans la métropole de Tours, et dans le Loiret près de la centrale de Dampierre-en-Burly et dans la métropole d’Orléans.
En 2011, Henri Proglio, alors PDG d’EDF affirmait, alarmiste, qu’une sortie du nucléaire « pourrait supprimer un million d’emplois en France, dont 400 000 emplois directs. ».
C’est oublier un peu vite que les énergies renouvelables sont elles aussi créatrices d’emploi. Ainsi, il est intéressant de constater que We demain donne le même chiffre, puisque la revue titrait et annonçait en novembre 2020 : 1 million d’emplois verts créés par la transition écologique. Selon les calculs l’OFCE ( Observatoire français des conjonctures économiques) la transition écologique créera 340 000 en 2035 et 900 000 en 2050. C’est aussi l’année retenue comme une possible sortie du nucléaire.
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Le mix énergétique de demain
Le choix du tout nucléaire des années 70 a pour conséquence que l’atome occupe une part écrasante dans la production française d’électricité (70,6 % en 2019). Même si cette part doit baisser à 50% d’ici 2035, (2025 à l’origine mais repoussée à 2035 en 2018 par le Premier ministre Édouard Philippe), elle sera encore la première source de production d’électricité française. Cependant, le réseau RTE et l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE) estiment que la France pourrait se passer techniquement de l’électricité nucléaire en 2050 au profit des énergies renouvelables mais au prix de chantiers techniques longs et coûteux.
Ce n’est pas l’avis de Greenpeace France. Dans son scénario pour la Transition énergétique publié en 2013, l’ONG montre que la transition énergétique vers une France libérée de sa dépendance aux énergies fossiles et fissiles, est non seulement techniquement possible, mais plus rentable économiquement, comparée à la trajectoire actuelle. Un document qui préconise la sortie du nucléaire dès 2031.
Il ne faut toutefois pas confondre électricité et énergie. En effet, Le mix électrique est différent du mix énergétique puisque ce deuxième est la répartition des différentes sources d’énergies primaires : énergies fossiles, énergies renouvelables ou énergie nucléaire qui sont utilisées afin de répondre aux besoins énergétiques d’une zone géographique.
Nucléaire et climat
Henri Proglio, ex-patron d’EDF, avait aussi affirmé en 2011 aux médias qu’une réduction de la part du nucléaire dans la production de l’électricité entraînerait une hausse de 25% des émissions de gaz à effet de serre en France. Lui emboîtant le pas, Ségolène Royal alors ministre de l’environnement estimait en 2015 dans sa loi de transition écologique qu’il fallait construire de nouvelles centrales.
Par ailleurs, le très sérieux rapport annuel du GIEC estimait en 2018 que « dans la plupart des scénarios permettant de maintenir le réchauffement à moins de 1,5°C, la part du nucléaire augmente. »
Mais selon l’édition 2019 du World Nuclear Industry Status Report (WNISR), « le nucléaire est trop cher et trop lent pour sauver le climat », comme l’a expliqué à l’OBS en décembre 2019 Mycle Schneider, le coordinateur de cet épais rapport annuel.
Les nouvelles générations de réacteurs.
Trop lent, trop long, trop cher c’est le principal reproche fait au projet ITER qui utiliserait non plus la fission mais la fusion nucléaire. Un réacteur expérimental est en cours de construction au centre d’études de Cadarache (Bouches-du-Rhône) mais il ne sera pas terminé pas avant 2030. Il faudra ensuite le tester dans un autre réacteur industriel à fusion test baptisé « Demo ». Mais pas avant 2040 ! Ce qui fait dire à François Lévêque, professeur au centre d’économie industrielle de Mines ParisTech dans Les Échos en 2019 que « le nucléaire est UNE solution, mais pas LA solution ».
Autre technologie plus avancée : l’EPR, réacteur pressurisé européen dit réacteur de 3ème génération conçu et développé dans les années 90 avec l’objectif d’améliorer la sûreté de fonctionnement et la rentabilité économique des centrales nucléaires. Actuellement deux EPR sont en service en Chine et quatre autres sont en construction : un en Finlande à Olkiluoto, un en France à Flamanville et deux au Royaume-Uni (Hinkley Point).
Mais le chantier français démarré en 2006 n’est toujours pas terminé à cause d’une série de problèmes qui lui a fait prendre du retard mais surtout fait flamber la facture ! Celle-ci est en effet passée de 3 milliards au départ à 12,4 millards en 2019 ! Autant d’argent en moins pour le développement des énergies renouvelables. Toutefois EDF veut encore y croire puisque l’électricien français a présenté début février 2021 son projet de construction de 6 EPR nouvelle génération, dits EPR 2. En revanche, le gouvernement a précisé qu’il ne donnera pas son feu vert avant la mise en service de l’EPR de Flamanville, soit dans deux ans, si tout va bien.
Comme on le voit ce débat est loin d’être tranché. Reste à savoir maintenant les décisions politiques qui seront prises dans les années à venir et si les Français auront leur mot à dire.
Sophie Deschamps