Laetitia Pitz et Xavier Charles avaient présenté en 2018, dans les soirées Performances, la pièce Mevlido, tirée d’un texte de Volodine. Ils sont restés dans la fiction en travaillant cette année un texte d’Alain Damasio, Les Furtifs, qu’ils devaient jouer dans la soirée de mardi. Une représentation non ouverte au public a eu lieu dans l’après midi. Un moment de théâtre musical riche, où texte et sons se mélangent avec bonheur pour avertir sur les dangers politiques et les dérives sociales.
Alain Damasio s’empare dans son texte du thème des avions furtifs, ces engins conçus pour réduire au maximum leur signature permettant de les identifier, donc de les repérer. Apparus dans la réalité de la dernière guerre, Damasio les mélange aux drones, aux avions sans pilote, et n’en garde que le thème pour nous plonger, comme il en a l’habitude, dans le futur proche, 2040 dans cette fiction.
Dans la lignée des ZAD et autres collectifs de défense et d’alerte
Pour mieux nous parler d’aujourd’hui, bien sûr. Car ce thème de la furtivité en amène d’autres, la surveillance et le contrôle de la population, les entraves à la liberté individuelle et collective, l’éternelle dichotomie entre l’implacable tendance autoritaire des institutions politiques et policières et la révolte nécessaire pour défendre la démocratie. Un couple se fait admettre dans la brigade des chasseurs de furtifs pour tenter de retrouver leur fille disparue. Ils soupçonnent les furtifs de l’avoir enlevée.
L’ensemble musical et les récitants. Photo Morgane Ahrach
Alain Damasio aime les récits construits et riches en détails. Son texte ne s’en prive pas, et aborde par des dialogues de nombreux thèmes politiques que les différentes voix font vivre avec une présence et une acuité intéressantes. Trois récitants se partagent les personnages, leurs récits, leurs réflexions et parfois leurs actes sur le moment même des opérations. Il y a une dynamique très réussie dans le dispositif de ces récitants.
Une osmose entre texte et musique
Qui sont par ailleurs intégrés à un ensemble instrumental dans lequel tout le monde ne cesse de dialoguer. Quatre soufflants, quatre cordes et une batterie. A mi-chemin entre un big band de jazz et un orchestre de musique contemporaine. La musique signée Xavier Charles laisse des moments d’impro évidents, mais son continuel dialogue avec les trois récitants lui confère un statut bien particulier, entre accompagnement et moteur du récit. Les récitants sont au milieu des musiciens, dans un dispositif scénique simplissime mais efficace que des jeux de lumières anime ! Une incroyable osmose, donc, entre cette musique écrite par un grand adepte de toutes les musiques actuelles, ses musiciens et le texte, voix dans l’orchestre. Où il est aussi question d’écoute, puisque les furtifs veulent échapper à tout signal sonore et bien sûr échouent.
Il y a dans cet ensemble une poésie profonde qui scrute « les angles morts de notre quotidien », comme dit Damasio. Cette puissance, cette énergie hautement contestatrice rendent ce travail de théâtre musical très réussi. Que le public ne verra malheureusement pas, dans l’immédiat en tout cas ! Seuls quelques lycéens étaient dans la salle, invités dans le cadre du travail continuel et assidu de la Scène nationale auprès du monde scolaire.
Bernard Cassat
Laëtitia Pitz
Capture d’écran
Les Furtifs
Partition science-fictionnelle pour voix parlées et ensemble instrumental
Texte Alain Damasio
Mise en scène Laëtitia Pitz
Compagnie Roland Furieux
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Composition Xavier Charles