[Chronique] Par Jean-Paul Briand*
Le Président a parlé des jeunes qui « vivent un sacrifice terrible ». Le Premier ministre a renchéri en assurant que les jeunes sont les « premières victimes ». Un sondage IFOP a conclu que les jeunes générations étaient sacrifiées au profit des Français les plus âgés. Des tribunes paraissent régulièrement afin de dénoncer l’actuel sacrifice de la jeunesse au seul profit des vieux. Peut-on parler de sacrifice ? Quelle jeunesse est sacrifiée ? Pourquoi une telle dénonciation démagogique, outrancière et irresponsable ?
Photo Pixabay
Un de mes grands-pères est parti pour son service militaire à l’âge de 20 ans. En 1914, quelques mois avant la fin de ses 2 ans obligatoires sous les drapeaux, la « Grande guerre » débutait. Il participera à ce conflit durant lequel 1 400 000 soldats français sont morts, soit 27 % des 18-27 ans. Survivant, il ne devait revenir dans son village d’Auvergne qu’à 26 ans, terriblement abîmé dans son corps et son esprit. Sa jeunesse n’avait-elle pas été sacrifiée ?
Après l’invasion de la Pologne par l’Allemagne, en septembre 1939, mon père fut mobilisé. Peu de temps avant l’été 1940, comme près de 2 millions de soldats français, l’armée allemande le fit prisonnier pour le « confiner » dans un stalag en Prusse orientale. À Königsberg, il fut libéré en 1945 par l’armée russe mais ne put regagner la France que beaucoup plus tard. Parti à 26 ans, pour revenir à 32 ans, sa jeunesse ne fut-t-elle pas sacrifiée ?
À 20 ans, il est objectivement détestable et insipide d’avoir des contacts sociaux amoindris, des vies culturelles et festives interdites, une scolarité perturbée à cause d’un virus essentiellement mortifère pour les plus anciens. Qualifier ces difficultés de sacrifices de la jeunesse, c’est ignorer et offenser la mémoire de ces générations précédentes, victimes par millions.
Les baby-boomers se sont exclusivement goinfrés
Avec la mondialisation, la France subit depuis plusieurs années une délétère crise économique. Elle est aggravée par la pandémie. Les attentats de fanatiques, la menace climatique, les graves tensions sociales, accompagnées de débordements de violence, font parfois craindre que le pays est au bord de la guerre civile. Dans toutes les crises, certains cherchent un coupable pour lui faire « porter le chapeau ». Le voici tout désigné : les baby-boomers.
Ces vieux d’aujourd’hui, nés entre 1943 et 1960 sont donc responsables de la crise. Comme si ces générations n’avaient pas travaillé durement pour relever l’économie du pays ruinée par la guerre ? N’ont-ils pas milité afin de construire une protection sociale unique au monde ? C’est pourtant elle qui aujourd’hui amortit en grande partie les difficultés sanitaires, sociales et humaines dues à la pandémie. Que nenni, les baby-boomers se sont exclusivement goinfrés, sans retenue, sur le dos des générations futures. Circonstances aggravantes, ils sont la principale cause de la destruction de la planète. Il manque seulement la préméditation à leurs abominations !
Remplacer la lutte des classes par un conflit des générations
Une question m’interpelle. Quelle est la frontière entre ces jeunes sur lesquels on doit s’apitoyer et ceux, sans doute trop avancés en âge, qui ne sont plus dignes d’intérêt ? À quel âge n’est-on plus un « jeune sacrifié » ? Dans son ouvrage Questions de sociologie (Edition de Minuit) Pierre Bourdieu affirme que « l’âge est une donnée biologique socialement manipulée et manipulable et que le fait de parler des jeunes comme d’une unité sociale, d’un groupe constitué, doté d’intérêts communs, et de rapporter ces intérêts à un âge défini biologiquement, constitue déjà une manipulation évidente ». Quel est donc l’objectif de cette manipulation qui s’ingénie à remplacer la lutte des classes par un conflit des générations ? En accusant les baby-boomers n’est-on pas en présence d’une parfaite illustration de la théorie, défendue par le philosophe René Girard, du bouc émissaire ? Cet innocent sur lequel l’on va s’acharner afin de masquer ses erreurs, ses fautes ou son échec. Pire encore, ce discours de lynchage va pouvoir être récupéré insidieusement. Il permettra de justifier la destruction à venir de la protection sociale et de s’attaquer aux statuts des retraités.
Les vieux, il faudrait les tuer dès la naissance
Voici l’ennemi, le fautif de toutes les difficultés de la jeunesse : le retraité actuel. Un nanti, aux privilèges exorbitants, aux patrimoines immérités, à l’espérance de vie trop longue et à la vieillesse outrageusement coûteuse. Le mieux ne serait-il pas de saisir l’occasion de la pandémie, pour en éliminer un maximum ? En 1982, Jacques Attali constatait dans son livre L’Avenir de la vie : « Dès qu’il dépasse 60/65 ans, l’homme vit plus longtemps qu’il ne produit et il coûte cher à la société. Je crois que dans la logique même de la société industrielle, l’objectif ne va plus être d’allonger l’espérance de vie, mais de faire en sorte qu’à l’intérieur même d’une vie déterminée, l’homme vive le mieux possible mais de telle sorte que les dépenses de santé soient les plus réduites possible, en termes de coût pour la collectivité. Il est bien préférable que la machine humaine s’arrête brutalement plutôt qu’elle se détériore progressivement. L’euthanasie sera un instrument essentiel de nos sociétés futures ». Le génial Boris Vian conseille une voie à suivre : « Les vieux, il faudrait les tuer dès la naissance »…
Photo Pixabay
La SOLIDARITÉ est l’unique et irremplaçable solution
Les “pousse-au-crime”, qui dénoncent ce prétendu sacrifice de la jeunesse, ne veulent pas admettre que dans toutes les crises, sanitaires, climatiques ou économiques, ce sont toujours les plus fragiles qui sont frappés le plus violemment. Que ce soit l’âge avancé, la maladie préexistante, la vulnérabilité psychologique, la situation financière chancelante, l’isolement humain, le statut social précaire, tout ce qui affaiblit une personne, déjà en difficulté, empire sa condition. Ce n’est pas un discours discriminatoire et accusateur qui va améliorer la situation des plus touchés par les conséquences de la pandémie Covid.
Toutes générations réunies et soudées, la SOLIDARITÉ, est l’unique et irremplaçable solution !
*Jean-Paul Briand a exercé comme médecin généraliste pendant près de 40 ans dans le quartier de l’Argonne. Il fut l’un des responsables de la formation post universitaire des médecins généralistes de la région Centre Val de Loire et représentant de sa profession au sein de l’ARS et de l’URPS.