[Chronique]
Dans les pays ou la culture occidentale domine, la coutume de faire croire au Père Noël, ou à un de ses homologues, demeure. Pour certains parents, il s’agit d’une anodine et merveilleuse croyance de la petite enfance, pour d’autres une mauvaise farce, une coupable entourloupe. Cette tradition ne serait-elle pas aussi une pratique initiatique déterminante ?
Le Père Noël, la grande imposture. Photo Pixabay
Une révélation parfois violente
Les parents, qui font croire à l’existence du Père Noël, n’ignorent pas que leur mensonge sera un jour démasqué. L’enfant saura fatalement qu’il n’existe pas. Il découvrira à coup sûr qu’il a été trompé pendant plusieurs années. Alors qu’on le sermonne pour qu’il ne mente jamais, le clan familial se sera ligué pour l’abuser en lui imposant un personnage excentrique, insolite et fictif. À la vexation d’avoir été berné, à la désillusion, s’ajoutera la déception de voir disparaître une figure réjouissante, amicale, bienveillante et généreuse. L’enfant devra en faire le deuil, tout en apprenant que ceux dont il dépend, qui sont sensés le protéger et lui montrer l’exemple, peuvent lui mentir.
Désormais, les paroles des parents ne seront plus nécessairement synonymes de sincérité et de véracité. La vérité n’appartiendra plus à ceux qui prétendaient la détenir et en qui, il croyait : grands-parents, parents, sœurs et frères aînés, tous complices dans la farce du Père Noël. Pour certains gamins, cette révélation, souvent amorcée par les propos de petits camarades déjà informés de la supercherie, peut être amère, éprouvante, parfois violente.
Un moment fondateur
Beaucoup de parents se déculpabilisent en demandant à leur progéniture ce qu’elle a ressenti et ce qu’elle a retenu, après l’annonce de la tromperie. Ils n’imaginent pas une seconde, que si leur loupiot a bien compris la leçon, la réponse risque de ne pas être authentique, ni franche. Freud avance que l’expérience initiale fait trace, et que la trace détermine la répétition. « Il est naturel que les enfants mentent lorsque, ce faisant, ils imitent les mensonges des adultes », nous prévient-il. L’enfant, indulgent, méfiant ou souhaitant ne pas faire évoluer ses rapports avec ses parents, peut répondre ce qu’il croit qu’ils veulent entendre. Il peut faire semblant de regretter le rituel et demander à perpétuer partiellement cette comédie enfantine.
La magie de Noël, le mensonge (ra)conté aux enfants… Photo Pixabay
En entretenant la légende du Père Noël, lorsque le mythe s’effondre, les parents donnent inévitablement aux enfants la possibilité de douter d’eux et de tous ceux qui ont participé à l’imposture. La fable du Père Noël est un rite d’initiation d’un droit à douter des adultes et qui entame leur toute-puissance. L’enfant est ainsi initié au mensonge et au doute. Il connaît pour la première fois l’angoisse qu’ils induisent. La découverte de la vérité sur le Père Noël devient un moment fondateur dans la construction psychologique d’un être en devenir.
Se libérer des angoisses
Une fois que la lumière sur le Père Noël est faite, la confrontation aux mensonges parentaux est habituellement positive. Elle désacralise les parents, premiers « dieux » de notre existence. Dans la majorité des cas, c’est vers 7 ans, « l’âge de raison », que la réalité du Père Noël est mise en doute par l’enfant. Après une période de déni, il admettra l’irréalité du vieillard à barbe blanche et à l’habit andrinople et intégrera qu’on lui a menti. Une fois la mystification dévoilée, l’enfant sait que les adultes cachent des choses et qu’il va aussi pouvoir le faire. C’est également vers 7 ans qu’il perçoit la différence entre bien et mal et qu’il va expérimenter le mensonge.
En réussissant ses premières dissimulations et affabulations, l’enfant constate que les parents ne peuvent pas connaître ce qu’il imagine, ni deviner ce qui se passe dans sa tête. Le mensonge devient un écran protecteur. C’est un apprentissage décisif de l’autonomie mentale. Mais, comme le doute, elle fait peur. Adolescents ou adultes, ceux qui ne pourront pas gérer cette appréhension deviendront des proies faciles pour tous les maîtres à penser et les gourous, pour toutes les croyances et les sectes. Grâce aux certitudes imposées par d’autres, auxquelles ils se soumettront sans remise en cause pour en faire leurs convictions, ils se libéreront des embarras de leurs doutes et des angoisses liées à l’autonomie déconcertante de la pensée.
Un mensonge bénéfique sur le chemin de la vérité
L’initiation au mensonge ne doit pas nous inciter à faire le deuil de la vérité. Bien au contraire. Le doute nous oblige à la rechercher et à investiguer afin de ne pas être à la merci d’escrocs charismatiques, de pseudo-experts médiatiques ou de sachants auto-proclamés qui souhaitent prendre le contrôle de nos jugements. « La vérité n’appartient pas à ceux qui prétendent la détenir mais à ceux qui la cherche », nous a enseigné Condorcet. Une science nous y invite : la zététique. Mieux connu, cet art du doute, empêcherait que les fausses nouvelles, les informations fallacieuses ou mensongères et autres fake news ou bullshit, se répandent et manipulent si facilement les naïfs et les crédules.
La contestable et parfois nocive légende du Père Noël, cet abuseur de la candeur des enfants, est peut-être un mensonge bénéfique sur le chemin de la vérité…
« Je crois que si le mensonge peut servir un moment, il est nécessairement nuisible à la longue », rappelle néanmoins Diderot dans Le neveu de Rameau.
Jean-Paul Briand