L’actualité récente est revenue sur les rapports entre les religions et l’état de droit en France, et si les dernières déclarations du Président de la République utilisant le terme de “séparatisme” furent beaucoup commentées, les propos sur cette question cruciale du vivre ensemble en France furent souvent brouillés par des approximations sur le sujet. Magcentre propose à ses lecteurs d’apporter un éclairage tout à la fois documenté et concret par plusieurs articles sur un principe républicain qui devrait être apprécié positivement par tous.
Dans ce premier article, notre collaborateur Jean Paul Briand fait un état des lieux socio-juridiques de la question posant le cadre du principe de la laïcité en France dans une synthèse d’un ensemble textes publiés par le « Laboratoire Loiret de la Laïcité ».
La laïcité pour quoi faire ?
La laïcité est en France un principe, c’est-à-dire ce qui est premier, le socle sur lequel est bâtie notre construction institutionnelle. C’est la raison pour laquelle elle figure dans le premier article de la Constitution de la République : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances… ».
La laïcité a pour objectif d’assurer la liberté de conscience. Ainsi, en France, chacun peut penser ce qu’il veut. La République française permet à chacun d’acquérir et de développer librement ses propres convictions, délivré de l’emprise des préjugés et des dogmes qui pourraient lui être imposées par autrui.
C’est ce qu’exprime le premier article de la Loi du 9 décembre 1905 , qui a consacré la séparation des Eglises et de l’Etat : « La République assure la liberté de conscience ».
Et pour les croyants, la République laïque, garantit aussi le libre exercice de leurs cultes. Cette liberté est soumise à une réserve majeure : ne pas troubler l’ordre public.
La laïcité n’autorise pas les religions à dicter « leurs lois » à la société civile. « L’église chez elle et l’état chez lui » exigeait déjà Victor Hugo à la fin du XIXe siècle.
En contrepartie, l’Etat et tous ceux qui le servent (ses administrations et les services publics) doivent respecter une stricte neutralité philosophique, politique et religieuse, vis-à-vis des citoyens et usagers. L’Etat ne doit pas, ne peut pas, se mêler des affaires religieuses. Ainsi l’article 2 de la loi de 1905 interdit à l’Etat de financer les cultes.
Qu’est-ce que la « liberté de conscience » ?
Cela signifie que chacun a le droit de penser ce qu’il veut. Tout un chacun peut croire ou ne pas croire. Cette liberté de conscience est absolue. Rien ne peut l’entraver. Il n’en fut pas toujours ainsi en France. C’est encore le cas dans certains pays où l’athéisme (le fait de ne pas croire en un dieu) est punissable de mort.
Toutes les autres libertés, permises par la liberté de conscience, sont conditionnées ou encadrées par les lois de la République : liberté d’expression , certes, mais à condition de ne pas diffamer, de ne pas menacer, ni d’injurier une personne, de ne pas tenir des propos racistes, discriminatoires et haineux ; liberté de la presse dans le cadre de la loi de 1881 ; liberté de manifester, mais dans un cadre légal, après déclaration ; liberté de se déplacer, sauf lorsque les conditions sanitaires imposent un confinement ; liberté de la recherche scientifique, dans le cadre autorisé par les lois ; etc.
Notre République laïque n’empêche pas les croyants de penser que les règles édictées par leur Dieu sont différentes des lois de la République, mais ils doivent reconnaître que les lois républicaines font le droit de la société française et s’imposent à tous. C’est grâce à cela que nous pouvons tous vivre ensemble, malgré nos différences de convictions.
C’est donc la responsabilité des croyants de se conformer aux principes républicains sans transgresser les lois et les règlements. Les croyants ne peuvent imposer leurs règles ou idéaux religieux à toute une société… d’autant plus, qu’aujourd’hui en France, plus de 60% de la population est non croyants . On peut refuser l’IVG ou le mariage homosexuel pour soi, en fonction de ses propres convictions, mais on ne peut l’interdire aux autres, puisque la loi le permet.
Pour résumer, on peut dire qu’en France :
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L’Etat (son administration et ses services) est tenu à une exigence de neutralité.
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La société est majoritairement sécularisée, c’est-à-dire qu’elle n’adhère à aucun dogme religieux.
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Et l’exercice des cultes est garanti.
Que l’on croit ou que l’on ne croit pas, on peut ainsi être « Glücklich wie Gott in Frankreich » (Heureux comme Dieu en France) ainsi que l’écrivait, admiratif, l’auteur allemand Friedrich Sieburg .
Comment se traduit concrètement la laïcité?
Depuis la Révolution de 1789, les actes de la vie courante des citoyens ne sont plus régis par les lois d’une église. L’état civil est désormais une prérogative des autorités civiles : enregistrement des naissances, des mariages (de toutes les formes de mariages), des unions civiles, des divorces, des décès et des cérémonies funéraires, dans des cimetières ou des crématoriums accessibles à tous…
La laïcité, c’est aussi et surtout, l’accueil de tous les enfants au sein d’une école publique, laïque, obligatoire et gratuite avec la garantie d’un enseignement véritablement libre de toute emprise dogmatique. Les enseignements privés et confessionnels sont autorisés, sous réserve de respecter les programmes de l’Education nationale afin de pouvoir bénéficier des subsides de l’Etat ou des collectivités locales.
La laïcité, c’est la garantie de l’égalité des droits et des devoirs de chaque citoyen devant la Loi. Aussi les agents de l’Etat et de ses services publics doivent toujours avoir une attitude neutre. Ils ont l’obligation de traiter et de servir de la même façon tous les citoyens usagers, quelles que soient leurs opinions ou appartenances philosophiques, politiques ou religieuses.
La laïcité est la garantie d’une justice qui rend ses décisions au nom du peuple tout entier, et non dictées par un groupe, une communauté ou une religion.
Dans son discours du 30 juillet 1904 à Castres, Jaurès affirma : « Démocratie et laïcité sont deux termes identiques » , autrement dit, il ne peut y avoir d’état laïque qui ne soit pas réellement démocratique.
Dans le domaine des sciences, la laïcité est l’assurance de l’indépendance de la connaissance et de la recherche scientifique. Cette dernière étant soumise aux lois de la République qui seules peuvent permettre la maîtrise du progrès. A l’inverse, aujourd’hui de nombreux états, musulmans ou sous influence évangélique, refusent l’enseignement de la théorie de l’évolution ou de la génétique, au prétexte qu’elles mettraient en cause la « création » telle qu’elle est décrite dans les « livres sacrés ».
Dans le domaine de la médecine, la laïcité c’est le droit à l’accès aux soins pour tous, quelles que soient les convictions philosophiques ou religieuses. C’est le droit de mourir dans la dignité, la libre disposition de son corps par la femme, notamment dans le choix ou le refus de la procréation, grâce à la pratique de moyens de contraception différenciés.
Dans le domaine de la culture, la laïcité se traduit par une totale liberté d’expression artistique, sous toutes ses formes, condition nécessaire à la création et à l’émergence des formes nouvelles d’expression artistique.
Les rapports entre laïcité et égalité ?
La laïcité repose sur l’idée qu’il existe une communauté humaine universelle qui intègre toutes les pratiques compatibles avec les lois de la République. Il n’est reconnu qu’une seule communauté nationale, celle de l’ensemble des citoyens libres et égaux.
Personne ne peut être contraint d’être membre d’un collectif qu’il n’a pas librement choisi. Personne n’a à subir la loi d’un groupe auquel il n’a pas volontairement adhéré. De la même façon, l’appartenance à une collectivité doit être le résultat d’un choix qui n’est ni exclusif, ni définitif. Il est donc impossible d’accepter un communautarisme qui donnerait à certains, compte tenu de leurs origines culturelles ou ethniques, des droits ou des obligations spécifiques. Dans notre République, la Loi est la même pour tous.
En synthèse, on peut affirmer que :
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La laïcité est un universalisme. Tous les individus sont égaux en droits et en devoirs. Il n’y a aucune distinction en fonction de l’origine, de la religion, des choix philosophiques ou politiques.
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La laïcité est un principe d’émancipation et non de soumission.
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La laïcité protège l’intérêt général sans léser l’intérêt particulier.
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Ce texte est tiré d’une série d’articles consultables sur le site du Laboratoire Loiret de la Laïcité (https://labolaiciteloiret.wordpress.com/2020/11/21/laicite-et-si-nous-precisions-un-peu-les-choses/) conçus par Gilles Kounowski.