Pandémies : c’est loin d’être fini !

Retour de la grippe aviaire, visons danois infectés par le SARS-CoV-2 : que faut-il redouter le plus ? Éclairage avec le Docteur Jean-Paul Briand*, chef de la rubrique Santé de Magcentre.

Pour la première fois identifiée en France dans l’Ain en 2006, le virus H5N1 pourrait revenir en France. ©Pixabay

Un arrêté du 4 novembre qualifie le niveau de risque en matière d’influenza aviaire (grippe aviaire) de « hautement pathogène » obligeant 46 départements à « confiner » leurs volailles. Pouvez-vous nous rappeler ce qu’est cette grippe aviaire ?

Jean-Paul Briand : Les virus de la grippe sont répartis en 3 types : A, B et C. Les virus A et B peuvent atteindre les humains. Seuls les virus A sont connus pour provoquer des pandémies. Les sous-types H5 et H7 sont particulièrement agressifs. La grippe aviaire est une maladie due à un virus de type A. Elle affecte presque toutes les espèces d’oiseaux et plus rarement quelques mammifères dont le porc. Les volatiles sauvages porteurs de virus hautement pathogènes peuvent le propager dans les exploitations agricoles. Les élevages de volailles sont alors décimés. Ce danger, d’un point de vue économique, ne peut pas être pris à la légère.

Y a t-il un risque de contamination de la grippe aviaire de l’animal à l’homme ?

J-P.B. : Le virus de la grippe aviaire (influenza aviaire) franchit difficilement « la barrière d’espèce » pour se transmettre à l’homme. Néanmoins, lorsque ce phénomène survient la mortalité humaine peut être très importante (Le Monde 2 mars 2012). Le passage du virus A de type H5N1et H7N1 de l’oiseau à l’homme est particulièrement redouté par les autorités sanitaires. Si une combinaison entre un virus aviaire, un virus humain associé avec un virus porcin (permettant une transmission interhumaine) se produisait, une pandémie dévastatrice serait possible. Ce n’est pas le cas. Les virus H5N1 et H7N1 n’ont pas encore le code génétique adapté. Or, la « barrière d’espèce » n’est pas absolue et les conditions existant dans les élevages intensifs peuvent favoriser cette enjambée.

C’est quoi cette « barrière d’espèce » ?

En 2019, 38 millions de personnes vivent avec le SIDA.©Pixabay

J-P.B. : On a longtemps cru qu’un agent pathogène ne pouvait se dupliquer que chez un hôte spécifique et que la transmission d’une maladie infectieuse d’une espèce à une autre était quasiment impossible. Cette notion de « barrière d’espèce » a été remise en cause avec l’apparition de nouvelles maladies infectieuses jusqu’alors inconnues (Ebola, SIDA, SRAS, Creutzfeld-Jakob,…). Ce caractère soudain et nouveau fait que l’on nomme ces infections des « maladies émergentes ». Une autre caractéristique s’y ajoute : la contagiosité. Pour être considérée comme « émergente » une maladie doit être observée dans un lieu donné avec un nombre de cas significatifs. Elle associe des signes cliniques qui lui sont propres et non encore décrits. Elle possède des caractéristiques épidémiologiques et un agent pathogène transmissible spécifiques. En pratique, comme des agents infectieux différents peuvent donner des tableaux cliniques semblables, ce sont les caractéristiques moléculaires de l’agent infectieux en cause qui permettent de démontrer l’existence d’une authentique « maladie émergente ».

Comme le SIDA par exemple ?

J-P.B. : Le SIDA, apparu au début des années quatre-vingt, est l’archétype des maladies infectieuses émergentes. Tout commence en Californie en 1981, où des hommes homosexuels présentent tous la même symptomatologie : grande fatigue, amaigrissement intense, tumeurs cutanées et infections multiples opportunistes telles que des pneumopathies à champignons. Chez tous ces malades existe un effondrement des défenses immunitaires. C’est ce qui a donné le nom à cette maladie jusqu’alors ignorée : l’Acquired Immuno-Deficiency Syndrome (AIDS) ou SIDA en français (Syndrome d’Immunodéficience Acquise). En 1983, on découvre l’origine virale de cette maladie mortelle. Les virus de l’immunodéficience humaine (VIH) n’avaient jamais été détectés chez l’homme. On connaissait, chez des races de singes (chimpanzé, singe mangabey, macaque rhésus) un virus, le VIS (Virus de l’Immuno-déficience Simienne) très proche du VIH. On pensait alors que la « barrière d’espèce » empêchait sa transmission à l’homme. Des recherches a posteriori ont montré que le VIS s’était modifié et avait pu contaminer des hommes ayant probablement dépecé et consommé du singe. Une transformation génétique avait ensuite permis la transmission interhumaine et entraîné la pandémie que l’on sait. Le SIDA est un exemple de franchissement délétère de la « barrière d’espèce » pour produire une « maladie émergente » pandémique chez l’humain.

Une « maladie émergente »  est donc due à une évolution adaptative réussie d’un virus se dupliquant initialement uniquement chez des animaux. Une fois la barrière d’espèce franchie, les virus ont souvent besoin d’aller chercher chez un hôte intermédiaire le matériel génétique permettant la transmission virale entre humains. Le porc est souvent cet intermédiaire.

Est-ce pour cette raison que le Danemark annonce l’abattage de 17 millions de visons d’élevage ?

Le Danemark et la Chine sont les deux producteurs mondiaux de vison. ©Wiki

J-P.B. : Pas tout à fait. Que des visons soient porteurs d’un coronavirus mutant transmissible à l’homme démontre que la « barrière d’espèce » a été dépassée. Dans le cas du Sars-Cov -2 des visons (Le Monde 7 novembre), il semble que la modification porte sur une protéine particulière, la protéine de surface S (spike). Cette protéine membranaire permet l’entrée du virus SARS-CoV-2 à l’intérieur des cellules humaines, où il va se multiplier. C’est également sur cette protéine S que les anticorps des patients contaminés agissent en réponse à l’infection. Or de nombreux vaccins en cours d’étude essayent de bloquer cette protéine S afin de protéger l’homme de la Covid-19. Si la mutation du Sars-Cov 2, observée chez les visons et modifiant cette protéine Spike de surface se répand, les vaccins qui la ciblent seront inefficaces.

Peut-on se protéger de l’arrivée de nouvelles pandémies ?

J-P.B. : Les maladies émergentes d’origines animales sont un défi vital pour l’humanité tout entière. Pendant longtemps les pays riches se croyaient protégés par leur hygiène, la prévention vaccinale et les antibiothérapies faciles d’accès. Les maladies émergentes se caractérisaient alors par de petites épidémies exotiques qui, même avec des mortalités effroyables, semblaient épargner l’homme occidental. Le SIDA, en devenant pandémique, a changé cette donne. La démographie galopante, la rapidité des échanges inter-humains, la promiscuité entre l’animal et l’homme ont fait que les maladies émergentes sont désormais un problème de santé public planétaire. Il ne peut être résolu qu’au niveau mondial avec une collaboration intergouvernementale totale que ce soit au niveau de la surveillance des épizooties que de la veille sanitaire. La prévention des maladies émergentes passe par l’écologie , avec la remise en cause des filières d’exploitation animale, du productivisme agricole et l’arrêt de la destruction des écosystèmes et de la biodiversité. C’est à ce prix que seront peut-être éviter de nouvelles pandémies funestes tant sur le plan humain qu’économique… 

 Propos recueillis par Estelle Boutheloup

*Ni virologue ni expert en épidémiologie, le Docteur Jean-Paul Briand a construit ses propos à partir de ses lectures et de ses souvenirs de faculté de médecine. Les liens proposés dans cet article sont vivement conseillés à la lecture.

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