Lors du récent salon des Artistes Orléanais, Benoit Gayet, son président, avait tenu à ce que soit rendu un grand hommage, l’un des premiers d’Orléans, à Maurice Genevoix, celui qui fut le président fondateur de l’association des Artistes Orléanais. Du 10 au 25 octobre derniers, de nombreux artistes avaient ainsi, dans l’un des beaux espaces de la collégiale Saint-Pierre-le-Puellier, rendu hommage à l’écrivain ligérien qui entre, ce 11 novembre, au Panthéon. Parmi ces différents artistes figurait François Legrand, artiste peintre qui a rencontré à diverses reprises Maurice Genevoix et qui a bien voulu répondre à nos questions dans un texte publié, en son temps, par les Artistes Orléanais dans leur catalogue d’exposition qui a chaque année valeur de brochure d’art en prise sur l’actualité artistique, culturelle et patrimoniale régionale.
Rappelons, pour mémoire, que lors de ce salon, un portrait de Maurice Genevoix par
Cédrick Vannier a reçu le Prix de la Ville d’Orléans et qu’un autre, peint par
Leena Noux,
“Le jeune lieutenant”, a quant à lui reçu le Prix du Conseil régional. À noter encore que cinq projets de sculpture ayant trait à Maurice Genevoix étaient également mis à l’honneur par les Artistes Orléanais. De nombreux amateurs d’art et d’histoire espèrent aujourd’hui que ces propositions puissent être réalisées par des collectivités ou autres commanditaires.
Une indicible et lumineuse intensité
François Legrand coll Part.
Pour évoquer l’indicible et lumineuse intensité de la peinture de François Legrand, peintre né en 1951 à Étampes et qui enseigna à l’Institut d’Arts Visuels d’Orléans de 1974 à 1977 avant de se consacrer totalement à son art, on ne peut résister à citer ces lignes clairvoyantes de Richard Cannavo, critique d’art, à l’adresse de l’artiste :
“François Legrand met de la couleur dans la grisaille, des ombres sur le soleil, des émotions dans le silence et de l’esprit dans la matière”. Nul doute que ces propos touchent le peintre mais il est aussi un autre regard, né en 1975, celui de l’écrivain Maurice Genevoix, découvrant son travail lors du soixante-huitième Salon des Artistes Orléanais. À l’évidence, ils continuent de lui parler à l’âme et au cœur. À l’occasion de cette exposition, le peintre exposait trois œuvres, à savoir
La Force, Conversation et Portrait d’Armelle. De cette première rencontre, comme nous le confie en juin 2020 François Legrand, naîtra une belle amitié, le partage d’un “
Hymne à la vie“, titre du reste d’un portrait que le peintre fit un beau jour du paysagiste des mots, de l’amoureux de la nature qui émerveille, mais aussi du témoin de l’insondable folie douloureuse des guerres.
“J’étais heureux, gêné, fier et tellement content”
“Maurice Genevoix, je l’ai rencontré au Salon des Artistes Orléanais en 1975 et je n’avais que vingt-quatre ans. Il vient au vernissage, s’arrête devant mon tableau, me fait appeler et me dit qu’il faut absolument que je vienne le voir. J’étais alors très jeune, gêné, fier mais tellement content.” “Venez me voir aux Vernelles, il faut que je vous montre ma peinture, n’hésitez pas à m’appeler” me dit-il. Croyant en une simple parole de gentillesse je laisse le temps passer mais, un mois après, il me rappelle. J’étais carrément ému et me rends aux Vernelles où, dans l’allée, ce jour- là, m’attendait madame Suzanne Genevoix qui m’a guidé vers le bureau de Maurice Genevoix. La porte franchie, j’étais impressionné mais il m’a mis immédiatement à l’aise, nous avons échangé et il m’a demandé d’aller voir ensemble des expositions à Paris.”
“Émerveillé, joyeux, curieux, il ne parlait pas que de lui”
“Avec Maurice Genevoix, nous nous sommes vus de 1975 à 1980. Je me souviens d’avoir traversé le Pont des arts avec lui à Paris, d’être allé voir l’exposition Lejeune, mon professeur, rue du faubourg Saint-Honoré. Nous marchions côte à côte, il me prenait le bras et c’était émouvant. Il avait une espèce de jeunesse incroyable. Au-delà de l’âge on était du même bord, dans le même bateau de l’art. Ecriture et peinture se rejoignaient, c’était une sorte de communion. Émerveillé, joyeux, curieux, il ne parlait pas que de lui. Je pense qu’il aimait mon côté famille et venait de temps en temps à la maison. Entre nous s’était établi un lien, une sorte de complicité. Ce fut la rencontre de ma vie.”
“Un nouvel hommage auquel j’espère parvenir”
“Après le décès de Maurice Genevoix je suis resté très proche de Suzanne Genevoix qui me demanda, un beau jour, si je pouvais effectuer un portrait de son époux pour le centenaire de sa naissance. Les portraits de Maurice Genevoix, je les ai réalisés d’après photo, une photo dont j’essayais de m’éloigner en mettant des petites couleurs les unes à côté des autres, des petites couleurs qui doivent bien s’entendre comme disait Cézanne, et cela faisait Maurice Genevoix.”
François Legrand, pudique, à propos de l’art du portrait qu’il fit de manière si élégante de l’écrivain : “Dans un portrait, on ne recherche pas à donner une impression, le peintre fait ce qu’il ressent, ce qu’il voit. Tout cela se joue avec probité, concentration, en donnant tout de soi-même. Maurice Genevoix, je l’ai tellement connu que j’oubliais la photo car je sentais qu’il n’était pas loin. À l’occasion de ce nouveau salon et de la célébration de ce maître par les Artistes Orléanais et Benoit Gayet, je vais bien entendu réaliser un nouveau portrait. A nouveau, je vais volontiers le peindre par pure fidélité et sincérité pour Maurice Genevoix, Suzanne Genevoix et leurs enfants, Julien et Charlotte. C’est un hommage à la famille et j’espère sincèrement que je vais y arriver.”
“Une sorte de sagesse dans la vision de la vie”
Et François Legrand de se replonger très vite, lors de cet entretien, dans son sentiment, dans le souffle de ses échanges avec Maurice Genevoix, échanges sur lesquels il demeure cependant respectueusement disert : “Comment dire… Il avait une sorte de sagesse dans la vision de la vie. Il aimait les gens et j’aime la nature humaine. C’est pour cela que je peux peindre un Roi d’Espagne, Maurice Genevoix ou un SDF. Jamais je ne vois l’être dans sa qualité sociale. Mais je ne fais pas que des portraits. Je m’émerveille, comme ce grand auteur devant un paysage, et pour moi c’est devant ma Beauce. Je peins assez vite et j’éprouve parfois des phénomènes de lévitation au point d’être dans le nuage qui surplombe l’espace que je reflète à l’huile”.
Derniers mots de reconnaissance
“Artistes et créateurs, nous ne sommes jamais contents. Avec Maurice Genevoix, je partageais ce sentiment que l’art n’est pas fait pour s’amuser, je crois que c’est ainsi que l’on se reconnaît entre les gens vrais. Il portait sur moi un regard de respect et d’amitié même s’il n’avait pourtant aucun intérêt à me connaître. Ce grand et bel homme, je l’ai adoré. Il était tellement gentil. On doute toujours et, aujourd’hui encore, je continue de douter. Mais il m’a marqué, et m’a tellement moralement aidé.”
Jean-Dominique Burtin