Terrain des Groues et politique d’urbanisme de la Métropole : un peu de méthode ne nuirait pas !

[Tribune] Par Philippe Verdier*

La publication récente dans Magcentre d’un article sur le devenir du terrain des Groues m’amène à formuler quelques observations, tant sur ce projet lui-même que sur quelques principes d’action en matière d’urbanisme qui me semblent valoir aussi pour d’autres sites ou problématiques de notre métropole.

Construire la ville du futur avec le projet des Groues. DR

Le terrain des Groues : 22 ans de tergiversations pour un enjeu métropolitain essentiel

À trop tarder, on va finir par laisser partir en petits bouts l’un des plus beaux terrains urbanisables de l’agglomération…

Pour mémoire :

  • La commission aménagement du Sivom de l’époque s’est penchée sur les orientations de programme concernant les Groues le… 15 Mai 1998 (il y a donc plus de 22 ans !).
  • En 2001, a eu lieu une commission de sélection d’une équipe d’étude pour un marché de définition, qui est resté sans suite.
  • En 2005, l’agence d’urbanisme a été chargée de l’étude d’un programme d’aménagement (« projet urbain des Groues, le temps de la ville durable »). Cette étude de faisabilité prévoyait environ 1200 logements, un parc de 9 hectares, et 2,5 hectares d’activités.
  • Se sont succédées ensuite une réunion publique et des interventions d’une association de riverains, Pôle nord en particulier, sur le thème (porteur) « trop de béton, pas assez de gazon ».
  • Le tout a été suivi d’une très longue période d’inertie au cours de laquelle les élus de Saint-Jean-de-la-Ruelle et d’Orléans sont tombés d’accord sur une seule chose : ne rien faire pour l’instant… en dépit de la création, en 2010, d’un SIVU dédié au projet entre les deux communes.
  • La nature ayant horreur du vide, cet attentisme a conduit à l’implantation d’une grosse chaufferie au bois, puis au projet d’un gros transformateur électrique, puis au projet d’une structure d’accompagnement de détenus sortant de prison, le tout sans qu’un schéma d’ensemble vraiment cohérent ne voie le jour.
  • En 2013 et 2014, un scénario test a été présenté par un bureau d’études (agence Kobé) comprenant 1 700 logements (contre 1 200 dans l’étude de l’agence d’urbanisme de 2005) et environ 7 hectares d’espaces verts. Ce programme, axé sur l’équilibre du budget d’une ZAC, a été accueilli fraîchement par les riverains.
  • Du positif en 2018-2019 : une nouvelle version de l’écoquartier a été présentée et débattue avec les riverains. Une opération de pré-verdissement du site a débuté, ainsi que l’intervention de l’équipe de l’architecte Patrick Bouchain pour un travail de fond avec les habitants en vue de créer « un mode d’emploi généralisable de la construction innovante, réellement écologique et sociale». Des ateliers de concertation ont eu lieu, une maison du projet a vu le jour, un pré-programme d’aménagement et d’équipements publics a été publié sur le site de la Mairie d’Orléans, comportant 900 logements et 9 hectares d’espaces verts.
  • Puis nous sommes entrés en période électorale. Patrick Bouchain s’est sans doute tourné vers des villes plus volontaristes et nous sommes revenus aux vieux démons, dont nous ne sommes pas encore sortis, à ce jour, si l’on en croit l’article de Magcentre du 27 Octobre 2020 ; la gauche en rajoutant sur « la sanctuarisation d’un grand parc de 15 hectares au moins», et la droite en rajoutant sur le thème « nous avons toujours dit que nous ne voulions pas d’un centre de réinsertion de détenus à cet endroit ».

Alors, comment faire pour en sortir ?

Nous proposons ci-dessous cinq principes qui, selon nous, pourraient guider l’action à venir :

1) S’agissant d’un enjeu métropolitain, il faut cesser de repousser sans cesse les échéances, alors que la métropole a un besoin urgent de construire des logements durables et d’éviter la fuite des ménages modestes vers des campagnes isolées, accentuant ainsi de manière déraisonnable les déplacements domicile/travail en voiture. Oui, il est donc temps, entre autres, de parler sérieusement avec un aménageur !

2) S’agissant d’un enjeu métropolitain, la concertation ne saurait se limiter aux seuls riverains immédiats du site : il faut aussi prendre en compte les attentes et les besoins de tous ceux qui recherchent un logement dans l’agglomération.

3) Il n’est pas déshonorant d’admettre qu’on s’est trompé en parlant d’un « Central Park » aux Groues… À notre connaissance, l’environnement du site n’a rien à voir avec celui de Manhattan, et se battre pour un espace vert toujours plus grand (9, puis 11 puis 15 hectares…) sans savoir réellement qui va le fréquenter, ni lui donner un contenu précis n’est guère raisonnable.

4) Notre proposition pour construire vite et bien un projet consensuel et économiquement faisable : s’appuyer sur des acteurs locaux connaissant bien le dossier, en constituant une équipe pré-opérationnelle (agence d’urbanisme + services de la métropole + le cas échéant Patrick Bouchain).

Cette équipe serait chargée :

  • De lister les points positifs acquis depuis 22 ans ;
  • De lister les points de conflit, en esquissant des solutions techniques susceptibles d’apaiser les dits conflits ;
  • De mener une concertation complémentaire élargie aux non riverains (par exemple auprès d’un échantillon représentatif des demandeurs de logements de l’agglomération), en plus des riverains du site ;
  • De tester la faisabilité économique des différentes propositions de programme ;
  • De présenter le résultat des tests, un programme et un pré-bilan d’aménagement, simultanément aux élus décideurs et aux habitants consultés.

Un accord politique sur ce type de démarche permettrait, on ose l’espérer, d’aboutir à un projet consensuel et à un vrai dossier de création de ZAC pour l’été 2021. Ce type d’approche pragmatique pourrait aussi être mis en œuvre, avec d’autres partenaires, pour quelques dossiers importants de la métropole.

Citons par exemple (liste non limitative) :

  • La tête Nord du pont de l’Europe (qui attend son tour depuis presque aussi longtemps que les Groues !)
  • La politique de développement social urbain dans les quartiers de la Source et de l’Argonne, qui fait cruellement défaut. Le GPV (Grand Projet de Ville) de la Source, rondement mené par Olivier Carré sur le plan du bâti, attend encore en bonne partie son volet social impliquant un travail au quotidien entre éducateurs, enseignants, élus, policiers. Retarder un tel programme, c’est prendre des risques majeurs de voir arriver des dérapages…
  • Le parc de Loire, qui, contrairement aux Groues, doit être un parc accessible aisément depuis toutes les communes du Nord et du sud du Fleuve, par des traversées en mini bacs pour le prix d’un ticket de tram ;
  • L’enjeu de l’autonomie alimentaire, permettant de fournir une alimentation de qualité, locale et bio aux enfants des établissements scolaires. Cet objectif, largement partagé, semble-t-il, suppose une vraie politique foncière, en vue d’acquérir les terrains nécessaires pour installer davantage de maraîchers bio.

Bien d’autres dossiers occupent et vont occuper au jour le jour nos élus décideurs. Certes, ils peuvent toujours s’échapper du réel en s’écharpant devant l’opinion. Mais le temps presse, alors, oui, nous réitérons notre supplique : un peu de méthode, s’il vous plait, pour les Groues, et pour le reste !

 *Urbaniste et sociologue, Philippe Verdier a été salarié de l’atelier public d’urbanisme de Saint-Jean-de-Braye, puis de l’agence d’urbanisme d’Orléans. Il a aussi travaillé comme indépendant sur plusieurs quartiers en difficulté de la région et enseigné la théorie et la pratique du projet urbain au département aménagement de l’école Polytechnique Universitaire de Tours. Il est l’auteur du livre “Le projet urbain participatif”.

 

Commentaires

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  1. les groues, le projet de 2005 était bon et j’aurais été intéressé pour une maison passive (déjà à l’époque), aujourd’hui avec l’usine biomasse n’en parlons plus c’est absolument nul … un parc c’est la seule solution. La tête du pont de l’Europe idem quand on pense que les expert du moment n’avaient même pas été capable de concevoir un “carrefour” intelligent, au moins un rondpoint !

  2. Merci de tous ces précieux conseils, venant de la part d’un ancien salarié de l’atelier public d’urbanisme de St Jean de Braye, ville bien connue pour son centre ville tellement bien bétonné…. je le sais j’y habite ! J’ai passé en septembre un après midi formidable sur le terrain des Groues où se mêlaient jouers de basket, artistes du festival Boutons d’Art, bourse aux livres, buvettes etc etc … vous cherchez encore quoi faire dans ce lieu ? Rendez le agréable, aménagez le dignement, créez du lien social faites des jardins ouvriers, faites des jardins partagés fleuris… Innovez !! Et par pitié arrêtez de construire des immeubles partout ce qui cloisonne les gens chez eux !!!

  3. Ou est la démocratie participative dans cet article? Plusieurs collectifs citoyens se sont créés sur Orléans Métropole, pour sauvegarder les rares espaces “naturels” qui subsistent. Si on continue d’urbaniser au rythme actuel, nous le savons, nous aurons tous les risques qui s’aggraveront : îlots de chaleur, imperméabilisation des sols, risques d’inondations, pollution de l’air dû à l’accroissement de ,à population, bruit, extinction de la bio diversité. J’arrête là, il y a trop de contraintes à vouloir toujours faire grossir les métropoles, d’ailleurs avec la crise actuelle, tous ceux qui le peuvent fuient les grands centres, qui concentrent tous les risques. Il faut pouvoir offrir des espaces verts de proximité pour pouvoir s’aerer en famille! De nombreux collectifs se “battent” pour limiter l’urbanisation expensive, et installer des producteurs pour notre résilience alimentaire. Le festival des alternatives Alimentaire en ce moment sur Orléans Métropole est le meilleur exemple. L’intelligence devrait développer l’emploi hors des Métropoles, un moyen pour réduire les transports, et la désertification des territoires ruraux notamment. J’esperer que Magcentre aura la neutralité d’un média en publiant un article qui mette en balance ces quelques contre arguments!

  4. Ce sont bien les habitants (les fameux “riverains” !) et les associations des habitants des quartiers Nord (Blossières, Aydes, Murlins, faubourg Bannier, Acacias, Dunois) qui savent ce qui manque aux quartiers Nord et non les théoriciens du “bien” construire !
    Les habitants des quartiers Nord d’Orléans réclament depuis des années la création d’un grand parc sur le terrain dit des Groues.
    Il n’est quà se demander dans quels parcs ces habitants peuvent se promener dans ces périodes de confinement – rayon de 1000 m !!!
    Certes il y a des besoins de logements à bon marché, mais recensons et utilisons déjà les logements inoccupés, les bureaux vides et les ex-bâtiments commerciaux ou industriels.
    Préservons cette occasion unique d’une aire non urbanisée, d’un réservoir de biodiversité si nécessaires pour les périodes de canicules que vont connaître inéluctablement les habitants d’Orléans.
    Qui regrette aujourd’hui la création du Jardin de la Charpenterie en centre ville au lieu et place des habitations prévues ?
    Donc oui, “moins de béton, plus de gazon” !
    On rêve d’allées ombragées, de jardins partagés, d’ateliers de nichoirs, de cafés sympas, de fontaines colorées, de mares au canard, d’initiation à la connaissance des arbres et des plantes, des oiseaux et des insectes, de jeux d’enfants, de kiosques à musique et à théâtre, de potagers bio, de lieux de convivialité pour les jeunes, les vieux, les familles et les solitaires.
    Et alors, oui, nous habitants des quartiers Nord, serons ravis d’accueillir enfin les promeneurs de la métropole orléanaise en raison de l’attractivité que représenterait un grand beau Parc réussi au nord d’Orléans!
    Vive les utopies de Central Park !!!

    Dominique Masson
    – Habitante des quartiers Nord (Aydes) depuis plus de 30 ans
    – Ancienne Conseillère pour les jardins au Ministère de la Culture
    – Collistière sur la liste de Jean-Philippe Grand (Orléans Solidaire Ecologique)
    – Adhérente des associations environnementales Pôle Nord et SCEVE

  5. Réponse de l’association Pôle Nord à la tribune de Philippe Verdier
    N’en déplaise à Philippe Verdier, les riverains des Groues sont des habitants de la métropole comme les autres, ils ont donc droit à la parole ! En tant que riverains, non seulement nous nous sentons concernés par l’aménagement du terrain des Groues mais nous savons que nous serons directement impactés par ce qui sera mis en œuvre. Nous aurons en effet à nous réjouir, à subir, à déplorer ou à profiter des futurs aménagements.

    L’association Pôle Nord a mené des actions de concertation auprès des habitants des quartiers environnants pour identifier les besoins et les manques à prendre en compte dans la future opération. Très vite est ressortie l’attente d’un grand parc pour profiter de la nature, faire du sport en plein air, laisser les enfants jouer dehors en toute sécurité et se retrouver pour partager des moments de convivialité. Un projet alternatif allant en ce sens a été élaboré et soumis à la municipalité par Pôle Nord.

    Nous sommes d’accord avec Philippe Verdier sur un point essentiel : à trop tarder on a laissé partir par petits bouts le plus beau terrain disponible de l’agglomération. Après l’implantation d’une chaufferie biomasse, l’installation d’un transformateur électrique et bientôt la construction d’une prison, les surfaces disponibles se réduisent comme peau de chagrin faute d’un projet d’ensemble cohérent, et nous ajouterons ambitieux, utile et valorisant. Unique consolation : seul un grand parc pourra avoisiner un tel environnement !

    En revanche, pas d’accord avec l’affirmation « la nature ayant horreur du vide » : ce sont les urbanistes et les architectes qui ont horreur du vide, la nature, elle, se suffit à elle-même et c’est bien elle que réclament les générations d’aujourd’hui qui vivent douloureusement les changements climatiques.
    Les compétences de Philippe Verdier en matière d’urbanisme sont avérées mais les temps changent, les besoins évoluent et l’urbanisme doit s’adapter aux demandes émergentes. Aujourd’hui, urbaniser ne se résume plus à construire du logement, des équipements publiques ou des locaux d’activité. Le réchauffement climatique et le confinement ont montré les limites de la densification urbaine. Les habitants ont besoin de lieux de fraîcheur, de convivialité et de bien-être, d’espaces libres, de verdure et de détente pour respirer, bouger et rencontrer leurs semblables.

    Les solutions en matière d’urbanisme ne sont pas que techniques. Elles sont aussi et surtout politiques. Un grand parc urbain – pas comme à New York mais comme à Nantes, Angers ou Nancy – pour bénéficier de la nature en ville, préserver la biodiversité près de chez nous et profiter d’aménagements sportifs, de jeux adaptés aux enfants, d’un équipement favorisant l’accès à la culture et le lien social, ne semble pas une idée délirante. Au contraire, maintenir la nature en ville va dans le sens de ce que réclament aujourd’hui les citadins : un environnement adapté au changement climatique et qui contribue à leur bien-être, une ville équilibrée et à visage humain !

    • Orléans, le 12 Novembre 2020

      Bonjour Madame Chomiki,

      Merci de votre réaction, qui montre au moins que nous sommes d’accord sur l’idée qu’assez de temps a été perdu sur ce dossier des Groues. J’essaie de vous faire une réponse qui prenne en compte vos arguments, et ceux des autres intervenants à cette tribune, dont une bonne part vont dans le même sens que les vôtres.

      Peut être me suis je mal exprimé… mais je n’ai pas dit, et je ne pense pas, que les riverains du terrain des Groues et des quartiers proches ne doivent pas être associés à la réflexion sur le projet. Je dis seulement que, s’agissant d’un enjeu d’agglomération, il est important de tenir compte aussi des attentes de ceux qui ne sont pas des riverains immédiats, tant en matière de logements que d’espaces verts ou d’équipements publics.

      Par ailleurs, en ce qui me concerne, je n’ai jamais considéré qu’urbaniser se résumerait à construire des logements, des équipements publics et des locaux d’activités. Bien sur que la nature doit avoir toute sa place en ville. Bien sur qu’il faut préserver la biodiversité, y compris en ville. Bien sur qu’il faut soutenir une production alimentaire de qualité le plus près possible des villes, comme le proposent les organisateurs du Forum des alternatives alimentaires… Bien sur, donc, je souscris aux idées généreuses que vous avancez dans votre dernier paragraphe, d’un environnement adapté au changement climatique, contribuant au bien être des habitants, dans une ville équilibrée et à visage humain. Mais, désolé, « tout le monde à la campagne » … cela veut dire un étalement urbain générateur d’un surcroit de déplacements, presque toujours en voiture, et ça, pour le réchauffement climatique, ça n’est pas terrible … Donc, oui, il faut construire des logements aux Groues, et en faire un quartier plaisant, vert et agréable à vivre, avec, naturellement, un grand parc urbain !

      Mais trêve de considérations générales : la question est aujourd’hui celle du comment on fait pour ne plus perdre de temps, et se mettre d’accord sur un projet où toutes les parties s’y retrouvent. Si j’ai avancé quelques points de méthode en me basant sur l’expérience (profiter des acquis, apaiser les conflits, mener une concertation élargie, tester la faisabilité économique des hypothèses de programme… ) je n’ai ni le gout ni le loisir de m’y impliquer personnellement. Ce dossier concerne les collectivités (métropole et communes riveraines) et les habitants, parmi lesquels vos associations. Je crois que nous devons tout faire pour qu’une approche technique et non polémique soit menée le plus vite possible.

      Bien cordialement,

      Philippe VERDIER

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