Près de 55 ans après le film de Tarkovski sur le peintre Andreï Roublev, dont Andrey Konchalovsky était le scénariste, il s’attaque aujourd’hui au symbole de la Renaissance, Michel-Ange. Dans une reconstitution somptueuse de cette époque, tournée dans une étrange image au format quasiment carré comme pour rendre prisonnier le regard du spectateur, il en fait un petit personnage sale et un peu fou ballotté dans les conflits des grandes familles au pouvoir. Et met en exergue son attirance pour la pierre, ce marbre brut extrait de la montagne de Carrare.
Alberto Testone Photo UFO Distribution
On ne verra pas Michel-Ange travailler. Ni peindre, ni sculpter. La scène de la chapelle Sixtine le montre un peu hystérique, à la fin du chantier. Il ne veut pas reconnaître que son œuvre soit finie, alors qu’elle l’est. Et c’est bien plus intéressant que de le voir étaler de la couleur, parce qu’on rentre ainsi dans la problématique du personnage, sa réflexion sur son art et ses rapports avec ses pairs, en l’occurrence Raphael, et surtout les commanditaires, puisque l’art est intimement lié à l’argent.
Tout le film déroule ce fil : achat du marbre, contrats exclusifs d’une famille, les Della Rovere, que l’artiste enfreint pour travailler quand même pour les Médicis, tout puissants à Venise et au Vatican. L’histoire racontée par Konchalovsky est tellement foisonnante qu’elle reste un peu confuse. Mais le personnage lui aussi est présenté comme une personnalité confuse. Face à sa famille, face à l’argent, face à Dieu et face à son art. Il place Dante, son prédécesseur de plusieurs siècles, au-dessus de tout.
Konchalovsky raconte tout cela avec sa sensibilité russe, une alliance de mysticisme, de folie baroque et d’accumulation de détails dans une narration nerveuse qui ne traite pas son sujet directement.
Les ouvriers du marbre de Carrare. Photo UFO Distribution
Un acteur fait pour ce rôle
C’est très réussi ! La reconstitution de cette époque de la Renaissance, les villages toscans, les foules, les marchés, les ruelles crasseuses et les paysages magnifiques nous immergent dans ce monde du cinquecento. Comme Pasolini en son temps, Konchalovsky a cherché des gueules pour tous les rôles. Marquantes ou repoussantes, suivant les rôles. Mais Alberto Testone, qui joue Michel-Ange, est totalement fascinant. Insaisissable, parfois on voit en lui le grand sculpteur, parfois le petit homme totalement perdu, sale et maladif. Il ressemble au Michel-Ange dessiné par ses contemporains artistes, sa dureté de traits et son nez cassé dans une bagarre. Et lorsque ce petit homme se retrouve devant le bloc de marbre, le film montre toute sa force.
La blancheur vibrante du monstrueux bloc de marbre
Michel-Ange et son bloc de pierre. Photo UFO Distribution
C’est le cœur de tout, le marbre débité en blocs gigantesques, dont Michel-Ange voudra garder entier le plus grand. On entre là dans une technique artisanale superbement décrite : la taille, le dégagement du bloc, sa descente de la montagne, son transport sur le chemin, et tous les ouvriers que cela implique. L’attelage de dizaines de bœufs à cornes larges, qui tire ces tonnes blanches posées sur le chariot, est une image incroyablement belle et forte qui justifie tout le film ! Le reste n’est que conflits humains, trahisons ou petits arrangements avec la société. Mais ça, cette blancheur vibrante de la pierre qui demande une force herculéenne pour la manier, c’est la vérité recherchée par Michel-Ange et traquée par le film. Quelque chose en rapport avec le divin, évidemment.
Chronique d’une époque
Dans ce film, Konchalovsky annonçait vouloir « montrer non seulement l’essence de Michel-Ange, mais également les couleurs, les odeurs et les saveurs de son époque, sanglante et cruelle mais belle et inspirée. » Il réussit son projet. Les superbes images, dans un format presque carré dont on n’a plus l’habitude (le 4:3), nous immergent vraiment dans ce monde renaissant, dans ses habitudes de festins et dans sa crasse sans nom, dans le sang et presque dans les odeurs nauséabondes. On est pris dans son tourbillon. Il n’y a plus qu’à se laisser aller…
Bernard Cassat
Michel-Ange (Il peccato)
Réalisation : Andrey Konchalovsky
Avec : Alberto Testone, Jakob Diehl, Francesco Gaudiello, Federico Vann, Glen Blackhall, Adriano Chiaramida, Anita Pititto, Antonio Gargiulo, Massimo de Francovich, Orso Maria Guerrini
2h14 min –
Russie, Italie