Le projet de Référendum d’Initiative Partagée (RIP) sur la condition animale bouscule fortement le monde des chasseurs qui n’a pas l’habitude de voir son mode de fonctionnement remis en cause et qui le défend âprement, à l’instar d’Hubert-Louis Vuitton, président de la fédération des chasseurs du Centre Val-de-Loire.Toutefois les voix des anti-chasse commencent à porter dans le débat public avec de vrais arguments.
Un cerf achevé dans l’eau lors d’une chasse à courre © AVA
Les chasseurs sont aux abois. Le Référendum d’Initiative Partagée (RIP) sur la condition animale lancé le 2 juillet dernier, s’il aboutit, pourrait bien les obliger à renoncer aux pratiques de chasse les plus cruelles. Par ailleurs, un sondage Ipsos, réalisé en 2018 après la démission de Nicolas Hulot de sa fonction de Ministre de la Transition Écologique, indique que « seuls 19% des Français sont favorables à la chasse ». De plus, ils sont 84 % à « trouver cette pratique dangereuse pour eux, cruelle pour les animaux, et faisant certes partie du patrimoine français, mais d’un autre âge ». La chasse à courre et la vénerie sous terre, jugées archaïques et cruelles sont particulièrement visées. Un autre sondage, réalisé en juillet 2020, indique que 89 % des Français sont favorables à ce référendum.
D’autant que certains ruraux se défendent d’être associés aux chasseurs avec une pétition adressée en juillet dernier à Barbara Pompili, Ministre de la Transition Écologique. Ce que confirme Muriel, membre du collectif citoyen AVA, Abolissons la Vénerie Aujourd’hui : « J’ai été élevée à la campagne et je ne suis pas devenue chasseuse pour autant. La légitimité du monde rural ne se résume pas aux éleveurs, aux agriculteurs et aux chasseurs ! De plus, on empêche aujourd’hui une majorité de citoyens d’aller se promener en forêt pour qu’une minorité de chasseurs puissent tirer tranquillement sur leurs proies. »
Mirador de chasse à tir © PdeC
Mais qui sont-ils ces chasseurs qui entendent rester les “seigneurs de la forêt” et ne rien lâcher sur leurs droits de vie et de mort sur les animaux sauvages ? D’emblée il faut souligner que même si la France reste le premier pays de la chasse en Europe, ils sont néanmoins de moins en moins nombreux : 1 023 000 chasseurs en 2019 contre 2 219 051 en 1976. Sans surprise, ce sont majoritairement des hommes, puisque seules 2,2 % des femmes pratiquent même si leur nombre augmente. La moitié ont plus de 55 ans. Selon la fédération régionale de Chasse du Centre-Val de Loire, notre Région compte 10 % de l’ensemble des chasseurs, soit 110 000 personnes avec notamment la Sologne, très prisée. Une “activité” qui coûte enfin relativement cher avec un budget moyen annuel de 2800 euros.(2500 dans notre Région).
Une prise de conscience anti-chasse chez des jeunes
La transmission du fusil de père en fils n’est pas systématique comme en témoigne Eric de Romain, 61 ans, militant pour la biodiversité : « Je suis né dans un milieu chasse. J’accompagnais mon père et j’ai moi-même chassé entre 13 et 16 ans. J’aimais les animaux mais vers 17 ans j’ai eu une prise de conscience où je me suis dit que l’on ne peut pas tuer ce que l’on aime. Du coup, j’ai arrêté de chasser mais pas mon père qui lui est resté dans le piège de sa culture. »
Même son de cloche pour Arnaud (le prénom été changé) 21 ans, originaire de la Meuse, pour qui la chasse est également « un héritage familial, notamment la chasse au fusil en battue au sanglier les week-ends avec mon père. J’avais 10 ans et envie de passer du temps avec lui, il y avait aussi le côté convivial des rencontres. Mais petit à petit, j’ai commencé à remettre en cause certaines pratiques. Le fait d’abattre des renards par exemple parce que, pour tout vous dire j’ai tué un seul animal dans ma vie de chasseur, c’était un renard et aujourd’hui encore je ne sais toujours pas pourquoi je l’ai fait. Du coup je me suis renseigné et j’ai découvert que le renard était officiellement chassé pour lutter contre la rage mais que celle-ci avait disparu depuis longtemps. Peu à peu, je me suis posé des questions et je me suis éloigné de ce milieu.»
Victime collatérale, biche retrouvée agonisante, dévorée vivante par des chiens de chasse à courre en forêt de Rambouillet © PdeC
Des jeunes qu’il faut donc remotiver. Pour les attirer vers la chasse, Emmanuel Macron a fait, en 2018, un beau cadeau aux chasseurs en acceptant de diviser par deux le coût du permis de chasse national, qui est ainsi passé de 400 à 200 euros (avec au passage un manque à gagner de 18 millions d’euros pour l’État). Du coup, les demandes de permis de chasse sont passées à 290 000 en 2019 contre 90 000 l’année précédente. Ce qui ne signifie pour autant pas une hausse spectaculaire du nombre de chasseurs en France. En effet, beaucoup vont délaisser leur permis de chasse départemental au profit du permis national qui leur permet de chasser sur tout le territoire français, ce qui est donc plus intéressant.
Un lobby puissant
Il ne faut pas oublier que les chasseurs représentent un poids économique important de 7 milliards d’euros dont 2,2 milliards de valeur ajoutée pour l’Etat (chiffres 2017). Surtout, ce lobby est l’un des plus puissants à l’Assemblée Nationale comme au Sénat puisque 140 Parlementaires sont membres de groupes qui défendent les intérêts des chasseurs. Des élus pro-chasse dont certains sont issus de notre Région.
Ainsi à l’Assemblée Nationale dans le groupe chasse et territoires on retrouve Jean-Pierre Door et Claude de Ganay pour le Loiret, Patrice Martin Lalande ancien député du Loir-et-cher, Yves Fromion pour le Cher, Philippe Briand pour l’Indre-et-Loire, et enfin Laure de la Raudière et Olivier Marleix pour l’Eure-et-Loir. De plus, le Le 28 juillet, le président du Sénat Gérard Larcher a adressé une lettre au président de la Fédération des associations de chasseurs aux chiens courants dans laquelle il « tient à [l’] assurer de l’attention qui sera la [s]ienne quant à l’avenir que pourrait connaître » le référendum, en lui rappelant « son attachement à la chasse ». Saluons donc le courage de la députée REM du Loiret, Stéphanie Rist, seule parlementaire de la Région à avoir signé ce RIP. Elle explique ne pas « être forcément d’accord avec toutes les propositions », mais elle l’a signé pour « ouvrir le débat sur ces questions qui préoccupent les Français ». Elle indique enfin ne subir ni menaces ni pressions pour revenir sur sa signature.
En revanche, Willy Schraen, dans un entretien accordé le 15 aout 2020 au JDD, n’a pas hésité à demander aux « parlementaires ayant signé en faveur du RIP animaux de “rendre leur mandat” », tout en le qualifiant de « déni de démocratie » (sic). Un président il est vrai plus habitué à obtenir des faveurs qu’à faire des concessions comme l’obtention en 2018 de la réouverture des chasses présidentielles par Emmanuel Macron notamment sur le domaine de Chambord. Sans parler “des parties de chasse secrètes” avec les grands patrons.
Un référendum porté par 57 associations
Les pressions des politiques inquiètent les 57 associations de défense des animaux et de l’environnement, à l’origine de ce RIP. Des mouvements qui remettent en cause le fait que tuer des animaux puisse être un “loisir”. Ainsi pour le RAC, Rassemblement pour une France sans Chasse « un loisir qui consiste à mettre à mort des animaux est inacceptable ».
Faisans élevés pour la chasse à Oinville sous Auneau en Eure-et-Loir © PdeC
Et surtout, peut-on encore vraiment parler de chasse quand on sait qu’en France, un quart des animaux tués provient d’élevages spécifiques ? Selon les chiffres du Syndicat National des Producteurs de Gibier de Chasse (SNPGC), « 14 millions de faisans ; 5 millions de perdrix grises et rouges ; 1 million de canards colvert ; 40 000 lièvres de France ; 100 000 lapins de garenne ; 10 000 cerfs ; 7 000 daims » sont produits chaque année en France. « plus de 20 millions d’animaux sont élevés puis lâchés dans la nature pour être tirés à vue…», précise le RAC.
Pot de goudron sur lequel on peut lire “pour maintenir en particulier les sangliers et mieux les cantonner en les agrainant”© PdeC
Les sangliers sont aussi concernés et même le syndicat national agricole FNSEA dénoncent ces pratiques à cause des dégâts causés sur les cultures. C’est d’ailleurs pourquoi les chasseurs reversent chaque année, sans broncher, des indemnités aux agriculteurs dont les champs ont été ravagés par les grands animaux (sangliers, cerfs, chevreuils et daims). Toutefois pour l’association animal cross ces indemnisations obligatoires justifient « le recours à la chasse pour tuer ces animaux ».
Des dégâts qui posent très concrètement la pratique très encadrée aujourd’hui de l’agrainage, mais toutefois très controversée. Il s’agit en fait de nourrir des animaux en forêt principalement les sangliers pour accroître leur nombre afin de pouvoir ensuite les chasser mais aussi dans le but de limiter les dégâts sur les cultures. Mais ce n’est pas toujours le cas selon l’aveu même de certains chasseurs.
Éléments de langage et dialogue difficile
Force est de reconnaître que les chasseurs se donnent beaucoup de mal depuis quelques années pour redorer leur blason. La campagne Les chasseurs premiers écologistes de France ? a fait le buzz en 2018 (toutefois l’autorité de régulation professionnelle de la publicité a imposé le point d’interrogation). Un slogan difficile à avaler pour les associations quand on sait que 30 millions d’animaux sont tués “légalement” chaque année en France. Parmi eux une vingtaine d’espèces d’oiseaux “chassables” considérées par l’UICN (l’Union internationale pour la conservation de la nature) comme « menacées » ou « quasi-menacées » au niveau européen : tourterelle des bois, sarcelle d’été, vanneau huppé, courlis cendré, etc.
Un cerf affolé essaie de fuir durant une chasse à courre © AVA
Par ailleurs, les chasseurs ne parlent jamais de tuer les animaux mais de “prélèvements” faisant allusion à une activité de régulation pour empêcher un trop grand nombre d’animaux sauvages. Autant d’éléments de langage déconstruits depuis longtemps par les associations anti-chasse et notamment par le RAC.
Reprenons le livre de Willy Schraen Un chasseur à la campagne. Celui-ci se pose en défenseur de la ruralité et condamne les « terroristes de la cause animale » et autres « nouveaux combattants verts ». Il n’est en général pas tendre avec les écologistes mais il arrive qu’ils ne retrouvent sur des causes communes comme l’explique Libération, en février 2020, à condition bien sûr que ces causes préservent ou améliorent les conditions de chasse.
Cartouches de chasse laissées par les chasseurs © PdeC
Pour Muriel, membre d’AVA, qui s’oppose tous les samedis à la chasse à courre dans la forêt de Rambouillet, l’écologie n’est pas la priorité des chasseurs qui « laissent derrière eux cartouches de plomb, bières et sacs en plastique. Sans oublier les 4×4 des suiveurs qui foncent sur des chemins de forêt interdits aux véhicules mais qu’ils ont le droit d’emprunter grâce à une redevance ». Et pour Pascale, autre membre d’AVA le dialogue est impossible avec les veneurs et les suiveurs qui n’apprécient pas que « les militants viennent perturber la traque du cerf ». Et poursuit Muriel, « il y a ce droit de vie et de mort que les veneurs s’octroient avec ce terme horrible de “gracier le cerf”, ce qui est rarement le cas, quand ce dernier ne meurt pas d’épuisement ou du trop plein de stress accumulé durant sa course pour échapper à la meute. Sans oublier que ces bêtes sont chassées en pleine période de brame ».
Le cas particulier de la Sologne
La Sologne, région naturelle très boisée et très privée, proche de Paris a fait l’objet d’un rapport d’expert rendu en août 2019 et commandé par les ministères de l’Ecologie et de l’Agriculture sur les problèmes que posent les grillages installés par les grands propriétaires, ce qui entrave la circulation des promeneurs mais surtout celle des animaux sauvages qui se retrouvent pris au piège derrière plus de 3 500 km de grillages.
L‘ASPAS, association pour la protection des animaux sauvages a lu ce rapport et pointe le fait qu’il « dénonce l’engrillagement, tout en préconisant en même temps l’extension du droit commun de la chasse à l’ensemble des territoires sur lesquels la chasse est pratiquée ». Un sujet sensible dont s’est emparé France 3 Centre Val-de-Loire dans son documentaire La Sologne engrillagée.
Au terme de cette mini-enquête dans le monde de la chasse, il ressort que ce projet de RIP permet de mettre en pleine lumière des pratiques de chasse d’un autre âge rejetées massivement on l’a vu par les Français. Les chasseurs et leurs fédérations feraient bien de s’en préoccuper s’ils ne veulent pas devenir à leur tour… une espèce menacée.
Sophie Deschamps
Le référendum d’initiative partagée sur le bien-être animal propose les mesures suivantes :