Le groupe Lagardère, propriétaire de l’ex-usine Matra de Romorantin (Loir-et-Cher), vient d’annoncer la vente de la célèbre voiture de course MS 670, lauréate de nombreuses courses. Il justifie cette vente par la perte d’un procès aux prud’hommes face à près de 300 ex-salariés injustement licenciés. Cependant, au regard des comptes de la maison mère et de sa filiale, l’opération interroge quant à sa sincérité.
La mythique Matra MS 670 lors de son premier et dernier roulage, en Septembre 2010, après avoir été retapée et installée dans le musée Matra de Romorantin. ©Fabrice Simoes
C’est avec une discrétion totale et sans même en avertir le directeur du musée Matra de Romorantin-Lanthenay (Loir-et-Cher) où trônait la MS 670, bolide de légende, que des équipes sont venues la cueillir durant l’été 2020 au motif d’un entretien de routine. En fait, Lagardère venait saisir son propre bien pour le présenter aux enchères courant février 2021.
« Toute la richesse de nos souvenirs de la saga Matra dans le sport automobile ne peut compenser l’obligation pour le groupe Lagardère d’honorer les suites d’une décision de justice défavorable en janvier 2020 dans une affaire de droit social de Matra Automobile, 18 ans après sa fermeture », s’est justifié Thierry Funck-Brentano, le co-gérant de Lagardère, groupe qui a réalisé un chiffre d’affaires de 7,2 milliards d’euros en 2019. Une paille. « Où est passé l’argent prélevé au fil des ans par Lagardère ? », questionne un ancien « Matra ». « C’est nous qui avons fabriqué ce fleuron qui vient d’être subtilisé. D’accord, c’est officiellement la propriété du groupe mais où est la morale ? ». Selon les salariés, amers face à une telle décision, les raisons de la vente sont claires. « Lagardère veut faire porter la vente de ce joyau sur les épaules des ex-salariés victorieux aux prud’hommes. C’est une basse vengeance. »
Henri Pescarolo, qui remportait les 24H du Mans en 1972 au volant de la Matra MS 670, s’offre un dernier tour de piste en septembre 2010. ©Fabrice Simoes
Pour ces ex-salariés de Matra, usine de génie et de fabrication automobile implantée à Romorantin-Lanthenay (Loir-et-Cher) et fermée en 2003 par le groupe Lagardère, la douche est froide. Alors que près de 300 d’entre eux viennent de gagner aux prud’hommes face à un licenciement jugé « sans cause réelle et sérieuse », le groupe piloté par le fils de Jean-Luc Lagardère vient donc d’annoncer la vente aux enchères d’un bijou de famille, la MS 670, dans le but affiché de payer les 4,16 millions d’euros de frais de justice prud’homaux. Cette vente pourrait rapporter plus de six millions d’euros, le bolide ayant remporté à plusieurs reprises les mythiques 24 Heures du Mans.
Or, à la vue des procès-verbaux annuels de Matra, il apparaît que Lagardère a profité, trois décennies durant, de sa filiale productrice, notamment, de la Renault Espace et de la futuriste Avantime. En totaux cumulés, il s’agit de plusieurs centaines de millions d’euros à raison de 50 millions d’euros annuels au cours des derniers exercices. De plus, le groupe avait, en 2014, provisionné la somme de 5,5 millions d’euros pour justement faire face à une éventuelle défaite face aux tribunaux dans ce contentieux tranché en janvier 2020 devant le tribunal de Blois.
Placé dans une situation financière délicate, Lagardère assure que le groupe n’est plus en mesure d’honorer ces indemnités prud’homales faute d’une trésorerie suffisante. Pour compenser la disparition de la MS 670 du musée Matra, le groupe Lagardère se serait, selon Jeanny Lorgeoux, le maire de Romorantin, engagé à financer une copie à échelle 1/1 du bolide de légende. Pas certain que cette aumône compense ce nouveau coup dur pour ce chef-lieu du Loir-et-Cher qui ne se remet toujours pas du désastre consécutif au naufrage industriel et programmé de Matra.
Mourad Guichard