Le plus grand festival intellectuel d’Europe est consacré au thème « Gouverner », du 7 au 11 octobre.
Après l’Italie l’an passé, les Rendez-vous de l’Histoire, ce « Cannes de l’Histoire », ce « Davos du passé », s’intéresse cette semaine, durant 5 jours, du 7 au 11 octobre, à une question vitale pour nos démocraties : « Gouverner ». Thème choisi l’an dernier, avant la crise sanitaire, mais rendu encore plus brûlant : comment gérer les temps d’exception que nous vivons, comment prévoir, anticiper, écouter la parole des experts sans leur abandonner la décision et la gestion du « Virus ennemi » (1) ? À l’heure des réseaux sociaux, de l’immédiateté, de la dictature de l’urgence, des tweets venus de « West wing » et des séries, de House of Cards à The Good Fight, parfois plus réelles ou fiables que les gouvernants en place, issus de la téléréalité, que reste-t-il de l’art de gouverner, pensé en Europe à l’aune de la raison, de Machiavel à Raymond Aron ?
Les Rendez-vous galants de l’intelligence pour tous
Depuis 1998 au cœur de l’axe ligérien, dans cette ville de Blois bénie des dieux de l’architecture, se retrouvent les meilleurs historiens de la planète et les si nombreux passionnés d’Histoire au pays d’Augustin Thierry, de Michelet et Lavisse, mais aussi de l’école cathodique d’Alain Decaux à Jean Lebrun, de l’école des Annales et celle du renouveau contemporain de l’histoire politique, de René Rémond à Pierre Nora. Issu de cette école Nanterre-Sciences Po Paris, Jean-Noël Jeanneney est le chef d’orchestre bienveillant et avisé de cette symphonie toujours inachevée qui met en valeur tous les domaines et toutes les écoles de la discipline historique.
Grâce à l’initiative heureuse de Jack Lang et à la maestria organisationnelle de Francis Chevrier, récidiviste puisque directeur auparavant du festival international de géographie de Saint-Dié-les-Vosges, le Val de Loire a cette chance inouïe de mettre en pratique son ambition d’incarner un développement harmonieux par le patrimoine naturel et culturel : si le communisme, c’était les soviets plus l’électricité, le Centre-Val de Loire, c’est la Loire à vélo et un long week-end de fiançailles avec l’Histoire à Blois, avec sa magnifique halle aux grains sans ivraie, pourvu qu’on ait l’ivresse de l’échange respectueux et du débat fécond, bref à peu près l’inverse de ce qu’on nous inflige sur certaines ondes à longueur d’éructations de polémistes néo-vichystes. Alors, « écoutez la différence », puisque le service public diffuse et relaie l’événement avec fidélité.
« Gouverner », le fil rouge permanent des Rendez-vous
La politique a, bien entendu, déjà eu les honneurs de la programmation aux Rendez-vous : « Crimes et pouvoir », « Les Utopies », « Les Femmes dans l’Histoire », « Religion et politique », « L’Opinion publique », « La Justice », « la Guerre », « Les Rebelles », « Les Empires », portaient à l’évidence cette dimension et cette affirmation d’un retour à la fois de l’événement, sans nier l’importance du « temps long », et de l’urgence d’une analyse du monde contemporain et de ses enjeux par les méthodes des historiens.
Les leaders républicains en 1869. Gouverner durant les Dix décisives (1869-1879)
Le thème de cette année explicite cette ambition, à un moment où l’on s’interroge à nouveau, à l’instar de l’entre-deux-guerres, sur l’avenir et les mérites de nos démocraties minées par les fake news, le populisme et, pire encore, le désintérêt d’une partie grandissante de citoyens lassée des joutes partisanes et abstentionnistes majoritaires aux dernières élections municipales. Quand la patrie berceau du parlementarisme viole le droit international – l’Angleterre de Boris Johnson – quand un Président américain sortant instille à l’avance le doute sur l’équité des élections et le respect de son verdict, comment résister au chantage des régimes illibéraux européens ou à l’attraction exercée par les autocrates décomplexés, nostalgiques des empires russe et ottoman démembrés en 1919 ?
Octobre rose. L’embarras du choix à Blois
Si les « foulées roses » ont dû passer à la course virtuelle sous la contrainte sanitaire, les rencontres de Blois sont bien, tel Roland-Garros une fois n’est pas coutume, au rendez-vous du début d’automne, sous le toit couvert de la Halle aux grains. Mieux encore, au fil du temps, les Rendez-vous ont pris de l’ampleur, multipliant tables rondes et « cartes blanches », rendez-vous pédagogiques avec le Rectorat et l’Institut Supérieur du Professorat et de l’Education (arrière-petit-fils des écoles normales), le cycle des rencontres cinéphiliques avec Raymond Depardon. L’Economie a largement droit de cité à Blois désormais, depuis plusieurs années, avec succès, avec en 2020 la présidence du prix Nobel Esther Duflo (conférence de clôture sur une « Economie utile pour des temps (encore plus) difficiles ») et la présence du gouverneur de la Banque de France Villeroy de Galhau. Cette diversification disciplinaire bienvenue a été élargie au droit, avec des débats prometteurs sur les crises sociales, le numérique et le rôle des juristes sous la Ve République.
Le tout d’accès gratuit et commode par le train régional à 4 euros aller-retour…Que demander de mieux ? Un Salon du livre présidé par Jul, gigantesque librairie entièrement consacrée à l’histoire sous toutes ses formes, de la BD à l’histoire locale, du livre pour enfants aux recherches les plus pointues. De quoi laisser l’amertume au placard, avec Ci-git l’amer de Cynthia Fleury, surtout en assistant à la performance de la grande Jeanne Balibar.
Les temps forts sont tellement nombreux que les souligner condamne à la subjectivité. Médiatiquement, la venue de 3 des derniers premiers ministres (Bernard Cazeneuve, Edouard Philippe et Jean-Marc Ayrault) marquera les esprits, ainsi que la présence non de François Ier, mais du François II du socialisme élyséen français, François Hollande, sans doute pour une nouvelle « leçon d’histoire pour une gauche au pouvoir ». On relèvera aussi, parmi les nombreux prix délivrés, la première édition du prix lycéen du livre d’histoire qui a associé en particulier des jeunes du Loir-et-Cher.
La République moderne ou l’abbaye de Thélème à Blois : « fais ce que voudras »
Précisément, former les citoyens et les lecteurs de demain, prendre les citoyens au sérieux comme Pierre Mendès France en a montré le chemin, préparer une République moderne en misant sur leur intelligence et leur curiosité, à rebours du mépris qui nourrit le fossé entre dirigeants et dirigés : voilà un pari salutaire, couronné de succès depuis deux décennies à Blois, au cœur de la vallée royale de l’humanisme, au pays de Rabelais, de Budé, de Dolet, de l’abbé Grégoire et de Jean Zay, de Max Jacob et d’Olivier Debré. Une vraie maison de la magie et du doute salutaire, moteur de l’engagement et de l’action. Gouverner dans les tempêtes, de Gambetta à de Gaulle, gouverner les Eglises « avec l’ombre de Dieu sur terre » (conférence inaugurale de Souleymane Bachir Diagne) et les Empires, gouverner les hommes et si longtemps sans y associer les femmes, gouverner en temps de guerre, gouverner en République ou à l’inverse en dictature, par les arts ou par les astrologues, gouverner les médias, les mémoires, la nature et la culture.
La nature a horreur du Covid : venez vous remplir l’esprit et le cœur, les yeux et les oreilles à Blois, munis du Masque et de la plume, pour noter belles rencontres, idées, pistes de cadeaux et de lectures à partager. Y-a-t-il une expression française plus goûtée dans le monde que le « rendez-vous » ? Si gouverner, c’est choisir, votez pour les Rendez-vous !
Pierre Allorant
(1) Jean-Noël Jeanneney, Virus ennemi, « Tracts », Gallimard, 2020.