Yves Rousseau, dans un cd sorti il y a quelques jours, a écrit en musique l’enchantement vécu adolescent à l’écoute des groupes pop d’alors. Il les découvre pendant ses années lycée, fin 1970, et certains, King Crimson, Soft Machine et d’autres, l’ont embarqué dans leur sphère. Avec six complices, il retraverse maintenant le temps et l’espace pour les retrouver. Ses Fragments constituent un puzzle très proche des groupes d’origine, tout en restant sa propre musique.
« Pas de relectures, pas d’arrangements mais uniquement de nouvelles pièces originales, fruits de mon parcours d’improvisateur et de compositeur aux multiples influences, écrites dans le souvenir de ces exaltantes découvertes et de ces fulgurances », dit Yves Rousseau dans un texte posté sur son site. Jazzman connu des Orléanais pour avoir joué plusieurs fois comme side man pendant le festival Jazz or Jazz, Yves Rousseau a aussi un important travail de compositeur et de leader.
Et il sait s’entourer. Pour jouer cette musique qu’il avait écrite en se souvenant de sa jeunesse, il a fait appel à des amis de longue date, mais aussi à des jeunes certainement nés après les années évoquées. Tous se sont mis à l’unisson du projet pour un enregistrement passionnant.
Le groupe photographié par Jeff Humbert
La planète pop revue et ré-interprétée
Reminiscence nous fait entrer avec douceur dans le monde assez merveilleux de la pop-rock ou rock fusion ou jazz rock des années 70. Une mélodie soufflée, des bruits de fond assez space, des bruits électriques ; la première partie nous dépose sur la planète pop. La deuxième entre dans le vif du sujet. Notamment avec la guitare et la batterie. Des hachures, des décharges, et puis soudain ils lâchent tous la mélodie qui sautille à l’unisson, puis se complique, comme si chacun, dans le moule commun, réclamait sa part. Aux claviers, Etienne Manchon fait des merveilles. Il retrouve avec une justesse incroyable ces sonorités de moog ou de piano électrique presque constamment présentes dans ces années là.
A la batterie, Vincent Tortillier trouve le beat adapté. Les soufflants ont aussi un beau rôle. Jean-Louis Pommier au trombone s’empare de Personal computer avec maestria. Thomas Savy à la clarinette basse apporte une profondeur mélodique importante. Il fait de Nostalgia I, par exemple, un pur morceau révé par les années 70, une ballade magnifique que la deuxième partie va démolir allègrement. Quant à Géraldine Laurent, elle se coule dans la musique d’Yves Rousseau avec bonheur, ouvrant les mélodie dans des variations intelligentes, comme dans Winding Pathway IV, magnifique moment de jazz enlevé et attachant. Idem dans Crying Shame. Et la guitare, bien sûr, instrument roi de la pop. Csaba Palotaï s’amuse bien à moduler ses woua-woua, à lancer des éclats comme dans Winding Pathway, tout droit sorti de l’aura de King Crimson. Là se trouve d’ailleurs la seule citation intégrale.
Un groupe à l’unisson
Et puis Yves à la contrebasse, pour évoquer cette musique où la basse était quasi tout le temps électrique, structure le jeu, dialogue souvent avec d’autres, prend la main, la redonne, soutient et invente. Il jubile et stimule ce groupe magnifique qui fonctionne impeccablement dans ses propres souvenirs. Et tous rajoutent une page inoubliable à ces années au catalogue impressionnant, une page à la hauteur de bien d’autres qui à l’époque remplissaient les bacs des marchands de vinyles.
Bernard Cassat
En concert au Triton
Fragments
Géraldine Laurent (saxophone alto)
Etienne Manchon (claviers)
Csaba Palotaï (guitare)
Jean-Louis Pommier (trombone)
Thomas Savy (clarinette basse)
Yves Rousseau (contrebasse, compositions)
Vincent Tortiller (batterie)
Photos pochette : Jeff Humbert
Label Yolk Pop