Pédophilie : « J’ai été victime d’attouchements sexuels par le père Bernard »

Les scandales pédocriminels au sein de l’Eglise sont dénoncés depuis peu. En 2018, pour la première fois en France, deux prêtres ont été jugés au tribunal correctionnel d’Orléans. Notre journaliste Sophie Deschamps, dans son livre Le Silence des soutanes, en retrace l’histoire. Plus récemment, le religieux Bernard Preynat a été condamné pour de multiples sévices sexuels sur des enfants. Une personnalité orléanaise a subi les agressions du prélat lyonnais. Elle a accepté de répondre à nos questions à la condition que son anonymat soit respecté.

Extrait de la couverture du livre de Sophie Deschamps, Le Silence des Soutanes

Enfant, vous avez subi les agissements du prêtre Bernard Preynat. Le tribunal canonique, réuni à Lyon, a accepté votre demande de réparation des dommages provoqués par ces actes de pédophilie. Pouvez-vous nous en dire plus ? 

Je suis le fils aîné d’une famille de deux enfants, catholique pratiquante, d’une commune de l’ouest lyonnais. J’ai été scout dans le groupe Saint Luc de 6 ans à 18 ans. C’était une évidence pour mes parents de m’inscrire aux scouts paroissiaux qui avaient bonne réputation. Ils rayonnaient sous l’impulsion du père Bernard Preynat. J’étais content de retrouver les copains le samedi après-midi dans le local situé sous l’église Saint-Luc. Une fois par mois, nous faisions une sortie avec au programme : messe, marche et pique-nique. En revanche, je refusais de participer aux camps d’été…

Pourquoi ?

Durant plusieurs années, de 6 ans à 12 ans, j’ai été victime d’attouchements sexuels par le père Bernard, comme il se faisait appeler. Cela se passait le samedi après-midi dans le local photo. Il avait les « mains baladeuses ». Je me laissais faire. Je ne savais pas comment réagir. Je ne disais rien. Je n’en parlais pas. Preynat entretenait des relations plus étroites avec les parents des enfants dont il abusait. Il étendait ainsi son emprise sur les victimes et sur les familles. La petite victime n’avait plus le refuge familial pour être tranquille. Mes parents, comme beaucoup d’autres, étaient sous le charme du Père Preynat à qui ils rendaient régulièrement des services.

La hiérarchie ecclésiastique n’était pas au courant ?

L’Église a été complice et a couvert les abus. Dans le compte-rendu du jugement effectué par les autorités ecclésiastiques lyonnaises, j’ai pu lire avec effarement que déjà en 1967, puis en 1968, Bernard Preynat, alors au séminaire de Francheville, avait été repéré pour « des actes inappropriés envers des enfants lors de camps ». Il est écrit qu’en 1978, 1990, 1991 il y eut plusieurs signalements auprès des instances diocésaines par lettres de parents concernant le comportement de Bernard Preynat à l’endroit de leurs enfants. Malgré la connaissance de ces témoignages, ses supérieurs ont continué à ne rien dire et à lui confier la responsabilité d’une paroisse.

Comment avez-vous pu vous libérer d’un tel fardeau ?

Pendant des années, j’ai enseveli cela au plus profond de moi pour oublier et ce d’autant plus facilement que je n’en avais jamais parlé à personne. C’était mon secret, « notre secret », disait-il. Quand les rumeurs ont commencé et même après le départ de Preynat de la paroisse Saint-Luc, je faisais partie de ceux qui le défendaient. Aujourd’hui, j’ai compris que j’étais sous son emprise. Il ne m’était alors pas possible d’accepter qu’il soit accusé de comportements déviants, qu’il soit considéré comme étant un prédateur sexuel. Un ami d’enfance me disait récemment : « il y a deux sujets sur lesquels tu te braquais et qu’il ne fallait pas aborder. C’étaient les scouts et l’éducation de tes parents ». Fin 2015, l’association « la Parole libérée » s’est créée. Le nom était très bien trouvé. Il était en effet grand temps que ma parole se libère. La médiatisation de cette association et de l’affaire Preynat a fait remonter des souvenirs que je croyais enfouis à jamais. Cela ne m’a pas été facile à accepter. J’ai eu des contacts avec des anciens copains scouts qui avaient comme moi été victimes. Ils m’ont aidé. Je n’étais plus seul.

Cette prise de conscience a donc été douloureuse et très longue ?

J’ai vécu avec ce secret pendant plus de 30 ans. Je gardais en moi ce poids. Quand l’Église a lancé son enquête interne en vue d’un procès canonique, j’ai décidé de témoigner et de porter plainte. Ma plainte a été jugée recevable et j’ai été reconnu victime de Preynat. Une nouvelle étape a eu lieu en 2019, lors de la sortie du film de François Ozon, Grâce à Dieu. Nous sommes allés le voir avec mon épouse. J’étais tétanisé. Avec ce film, je revivais douloureusement ce que j’avais enduré enfant. Avoir pris conscience de ce que j’avais subi, cela m’a conduit à un profond travail de reconstruction et de résilience pour apprendre à vivre avec et à dépasser ce traumatisme.

Quelles séquelles en gardez-vous ?

Il y a eu des conséquences négatives sur mes rapports aux femmes, au sexe et au sein de ma famille. Ce que j’ai vécu a altéré la confiance en moi et m’a conduit à considérer que les caresses n’étaient pas du plaisir partagé mais une contrainte que je subissais. Cela a eu des répercussions importantes dans ma vie de couple, dans ma vie intime. Pourquoi ne me suis-je pas confié à mes parents ? Pourquoi alors que la paroisse bruissait de rumeurs n’ont-ils rien fait, rien demandé, rien dit ? Ces questions continuent à me perturber…

Quels enseignements retenez-vous ?

Lorsque les agissements de Preynat ont été connus, des tensions familiales extrêmes se sont produites. Certaines familles ont « explosé », avec des enfants et des parents qui ne se parlent plus. Cela n’a pas été mon cas. Je comprends néanmoins que des victimes en aient voulu à leurs parents de ne pas les avoir crus quand ils ont pu parler. Une prise de conscience collective salutaire a lieu. Des mécanismes ont été mis en place pour prévenir, alerter et signaler les dérives. En espérant que la vigilance restera de mise, cela va incontestablement dans la bonne direction. Il est nécessaire de rappeler que toutes les personnes qui ont une fonction à autorité (politique, religieuse, médicale, éducative, sportive,…) peuvent être à risque pour les enfants lorsqu’elles ont des penchants pédophiles. Il est du devoir des parents d’apprendre à pratiquer une écoute bienveillante des enfants. Ce n’est pas inné. Il est nécessaire de créer les conditions et les espaces pour libérer leur parole sur ces questions intimes, pour qu’ils puissent se confier, être écoutés sans crainte. Il faut dire aux enfants victimes d’attouchements, que ce sont bien eux les victimes et le pédophile le coupable.

Malgré l’anonymat aujourd’hui vous acceptez de nous parler…

Cet entretien fait aussi partie de mon cheminement libérateur personnel. C’est un palier supplémentaire dans ma reconstruction. Par ailleurs, il permettra peut-être de débloquer d’autres paroles…

Propos recueillis par Jean-Paul Briand

Commentaires

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  1. Merci d’avoir su faire jaillir et accompagner ce témoignage extrêmement profond et touchant.
    La vigilance reste de mise.

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