Les Journées européennes du patrimoine sont l’occasion de découvrir les monuments et les richesses de notre Région, souvent inaccessibles à la visite en temps normal. Avec un agenda très fourni cette année en Centre-Val-de-Loire malgré la crise sanitaire. Un événement complété depuis cinq ans en France par les journées du Matrimoine avec le but de mettre en pleine lumière le travail artistique des femmes. Le Frac Centre Val de Loire entre dans la danse à Orléans avec une visite commentée autour des réalisations des architectes et artistes femmes, exposées dans le lieu de façon permanente ou temporaire. Des œuvres originales et variées. Magcentre a le plaisir de vous en faire découvrir quelques-unes en avant-première avec Chloé Bruneau, médiatrice culturelle du Frac.
Chloé Bruneau, médiatrice culturelle Frac Centre © SD
C’est la première fois que le Frac participe à ces journées du Matrimoine, de quelle manière ?
Chloé Bruneau : En fait, dans le projet de notre directeur, Abdelkader Madani, il y a l’idée d’ouvrir le Frac à d’autres points de vue, parce que l’architecture est une discipline ancienne, traditionnellement pratiquée par des hommes. De plus, on s’est très longtemps intéressés à l’architecture européenne et occidentale et pas tellement à ce qui se faisait ailleurs. Donc, depuis 2015, on essaie à la fois d’examiner l’architecture venue d’ailleurs, notamment celle du monde arabe et de l’Amérique du Sud, mais aussi l’architecture faite par des hommes non occidentaux et donc aussi forcément par les femmes. Et quand on se penche sur l’histoire des architectes femmes, on se rend compte que c’est une histoire un peu tourmentée et surtout invisible.
D’où les Journées du Matrimoine…
C.B. : Oui. Il s’agit de mettre en valeur toutes ces créations féminines qui ont été pendant longtemps peu voire pas du tout considérées. C’est aussi le propos de l’exposition Ailleurs …ou plus loin présentée en ce moment au Frac qui met en valeur le travail mais aussi la parole des femmes puisque les thématiques traitées elles ne sont pas genrées, qu’il s’agisse du voyage, de la découverte, de la rencontre. Mais ces regards de femmes vont justement émerger d’autres choses que si nous avions eu une exposition majoritairement masculine.
On peut donc parler d’une architecture féminine, voire féministe ?
C.B. : Oui, complètement ça fait partie de beaucoup de travaux récents, notamment de l’architecte Yves Raibaud. Il écrit que les villes ont été pensées par et pour les hommes, ce qui implique qu’il peut y avoir des villes pensées par et pour des femmes. C’est une thématique que l’on touche avec le travail d’un duo d’architectes norvégiens femme/homme “Manthey Kula” avec des installations réalisées pour des personnes qui ont été mises au ban de la société pour plein de raisons. Cette réflexion ouvre un peu la porte à penser l’architecture autrement en partant de la différence.
Maquette d’une maison d’habitation réalisée par le duo d’architectes norvégiens Manthey Kula, Frac Centre © SD
Cette visite guidée est-elle une promenade dans les collections permanentes du Frac ?
En fait, on est dans l’exposition temporaire “Ailleurs ou … plus loin” mais on en profite aussi pour ressortir des éléments phares de nos collections notamment cette oeuvre photographique de Sophie Calle “Anatoli” (1984). Mais le propos est aussi de les mettre en regard avec des œuvres plus récentes créées notamment pour la Biennale d’art contemporain de Rabat en 2019, qui mettait en valeur uniquement des artistes et des architectes femmes. Donc les œuvres se répondent.
Sophie Calle, photos transsibérien “Anatoli” © SD
Frac Centre, Sophie Calle, détails oeuvre “Anatoli” © SD
Alors, dans cette oeuvre de Sophie Calle, il s’agit de 265 photos d’un homme plutôt âgé, Anatoli, prises dans le transsibérien, le fameux train qui relie Moscou à Vladivostok. En fait, elle a partagé son compartiment de quatre mètres carrés avec cet homme durant tout le voyage sans que l’un connaisse la langue de l’autre. Donc, à travers ces photos, elle nous donne à voir ce qu’elle a compris de ce monsieur durant quelques jours. Elle a aussi écrit un texte dans lequel elle raconte des anecdotes de voyage. Un texte assez drôle parce que Sophie Calle a un style assez vif. Du coup elle fait émerger l’humour et l’absurde de ce voyage.
Ce qui est intéressant aussi c’est que d’ordinaire ce sont plutôt les femmes qui sont l’objet de l’œil de l’homme et finalement c’est une relation de pouvoir qui est totalement inversée.
Extrait vidéo Deborah Benzaquem, Frac Centre © SD
La vidéo est aussi présente dans ce parcours. Que permet-elle aux femmes de dire ?
C.B. : Oui, la biennale de Rabat a demandé à la photographe marocaine Deborah Benzaquem de faire un autoportrait. Cette proposition était pour elle un véritable défi puisqu’elle n’a jamais parlé d’elle dans son travail (des photos noir et blanc sur le quotidien des villes). Donc, elle choisi d’y répondre par cette installation d’objets, liés à sa vie sa vie et que l’on retrouvent dans une grande vidéo. Le montage montre à la fois des images d’archives, des photos de famille et des petits films tournés spécialement pour l’occasion où elle se met elle-même en scène, avec une robe ayant appartenu à sa mère, avec aussi des membres de sa famille, son frère et sa sœur. Donc elle fait un portrait d’elle comme ça un peu fragmenté. Cette vidéo est en apparence très ludique, très légère, avec beaucoup d’énergie et des musiques très variées. Mais elle parle en fait de thématiques qui sont assez dures, notamment la pression de la maternité que l’on fait subir aux femmes dans son pays. C’est donc un support artistique qu’elle n’utilise pas d’habitude et pour un premier essai c’est assez réussi.
Ces femmes artistes utilisent-elles des matériaux auxquels les hommes ne pensent pas ?
Chloé Bruneau, médiatrice culturelle Frac devant une oeuvre de Mouna Jemal Siala © SD
C.B. : Oui c’est le cas d’une oeuvre d’une artiste tunisienne Mouna Jemal Siala (photo ci-dessus) “Ulysse de la Hafsia” qui reproduit une mosaïque romaine du IIIe siècle représentant Ulysse et les sirènes. Pour cela elle a utilisé une technique un peu particulière qui est celle du tissage. Donc c’est entièrement fait à la main et elle reproduit sur ces petits carreaux de tissu l’effet des tesselles de la mosaïque.
Détail oeuvre “Ulysse
Face Centre-val-de-Loire © SD
Et justement dans ce sujet du Matrimoine, elle reprend des grands mythes antiques, ici celui d’Ulysse et de l’Odyssée mais en les racontant du point de vue des femmes. Parce que c’est vrai que lorsqu’on s’intéresse à la place des personnages féminins dans Ulysse, on arrive à un constat pas très positif : Circé qui est belle et puissante est victime d’Ulysse qui l’abandonne, les sirènes sont des créatures monstrueuses et Pénélope est celle qui attend et qui est harcelée sans cesse par les hommes parce qu’une femme seule ne peut le rester longtemps. Ou bien encore les prisonnières troyennes qui dans l’Iliade sont distribuées comme trophées de guerre aux Grecs. Donc, raconter l’histoire d’Ulysse en faisant attention aux personnages féminins c’est une tout autre histoire. Et bien sûr le choix du tissage renvoie directement à Pénélope.
Marine Bichon, responsable communication et Chloé Bruneau, médiatrice culturelle, Frac Centre-Val-de-Loire © SD
Il faut enfin mentionner les textes de l’algérienne
Sonia Gassemi, la benjamine de l’exposition. Il s’agit de lettres écrites fin 2019 à la demande de la Biennale de Rabat et dans lesquelles elle parlent de son quotidien et des inégalités hommes-femmes. Des textes percutants parfois très courts comme celui-ci :
« Entre le point A où j’étais et le port B où je voulais me rendre aujourd’hui, il y a exactement 850 mètres. 850 mètres, ce n’est pas beaucoup. (…) Durant ces 850 mètres, 7 personnes m’ont charriée car j’avais les cheveux bouclés, 5 autres m’ont fait des commentaires salaces. 2 ont souhaité que le vent se lève et avec, ma robe. 4 m’ont “traitée” de féministe et une personne m’a demandée en mariage. Oui, j’ai compté. Je les ai également tous envoyés voir ailleurs si j’y étais ».
Propos recueillis par Sophie Deschamps
Journées du Matrimoine, Frac Centre-Val-de-Loire
Samedi 19 septembre de 10h à 19h
Visites guidées : artistes et architectes femmes
De 10h30 à 12h – de 15h30 à 17h
Visite guidée de l’exposition Ailleurs… ou plus loin présentant uniquement les artistes et architectes femmes et amenant à une réflexion sur la place de la femme.
Visites Flash
De 14h30 à 15h – de 16h30 à 17h – de 17h30 à 18h
Visite flash présentant l’exposition Ailleurs… ou plus loin et une artiste ou une architecte.
Jeux en continu
De 14h à 19h
Jeux disponibles dans le hall des Turbulences : memory et dominos mettent en avant les artistes et architectes femmes de la collection du Frac.
Dimanche 20 septembre de 10h à 19h
Visite guidée : artistes et architectes femmes
De 10h30 à 12h
Visite guidée de l’exposition Ailleurs… ou plus loin présentant uniquement les artistes et architectes femmes et amenant à une réflexion sur la place de la femme.
Visite en famille
De 15h à 16h
Avec la visite en famille, partez en voyage avec vos enfants dans l’exposition Ailleurs… ou plus loin : prenez le transsibérien, perdez‑vous dans la forêt amazonienne ou installez‑vous sur une île déserte !
Visites Flash
De 14h30 à 15h – de 16h30 à 17h – de 17h30 à 18h
Visite flash présentant l’exposition et une artiste ou une architecte.
Jeux en continu
De 14h à 19h
Jeux disponibles dans le hall des Turbulences : memory et dominos mettent en avant les artistes et architectes femmes de la collection du Frac.