[Tribune] Par Pierre Allorant*
Alors que les élections municipales puis métropolitaines ont connu une prolongation inédite, un temps additionnel de mars à juillet, s’approchent à grand pas, en cette rentrée angoissée, des élections sénatoriales qui par définition ne mobilisent que les élus des territoires. Puis au printemps prochain, viendra le tour des scrutins départementaux et régionaux, derniers indicateurs avant l’échéance présidentielle.
La moitié de l’électorat ne vote plus. DR
Discordance des temps électoraux
Or ce qui frappe depuis l’accélération quinquennale, c’est bien le caractère chaotique, souvent contradictoire, des verdicts électoraux successifs. Sans remonter au double tsunami macroniste de mai-juin 2017, qui a encore en mémoire les élections européennes de 2019 ? Effondrement de la droite et de la gauche et domination confirmée des deux finalistes présidentiels, le RN et LReM.
Seule la percée verte a été amplifiée, et de quelle manière, par le moment municipal, avec le basculement impressionnant de nombreuses métropoles. L’ancrage gestionnaire et la crédibilité environnementale d’Anne Hidalgo à Paris, la division initiale et l’échec final de la fusion entre la gauche et les Verts à Orléans ont marqué les très rares limites de ce raz-de-marée, particulièrement mobilisateur pour la jeunesse.
En revanche, qui aurait prédit la résurrection partielle de la droite classique, bien qu’amputée de ses figures de proue marseillaises et bordelaises, solide dans les villes moyennes, et surtout la renaissance d’un Parti socialiste moribond ?
Si, par nature, les sénatoriales prendront largement en compte ce « retour du vieux monde », comment se présentent les deux printemps successifs, 2021 et 2022 ?
« En région ». Au bonheur des territoires
Après un début de quinquennat sûr de lui-même, dominateur et centralisateur – court-circuitant corps intermédiaires, élus et territoires – le discours présidentiel a changé. En attendant la loi « 3D » (décentralisation, différenciation, déconcentration), la nomination de Jean Castex à Matignon incarne un tournant au moins d’image avec l’accent du Roussillon et le look de maire rural pompidolien du notable de Prades, qui réussit mieux à faire oublier sa formation d’énarque que son collègue du Havre. Ce changement de porte-parole a certes assaini l’atmosphère du dialogue, hier rompu, entre le pouvoir central et les grandes associations d’élus.
Dans une conjoncture économique si dégradée, chaque acteur sait que la fameuse relance annoncée ce 3 septembre 2020 ne pourra porter tous ses fruits que si elle est relayée par les principaux investisseurs publics : municipalités, métropoles et régions.
Mais cette confiance, en partie rétablie, ne garantit en rien un succès de la majorité en mars prochain. Tout au contraire, le déficit d’ancrage des élus macronistes, Modem excepté, rend la situation très délicate.
Si le président de la République pousse ses ministres à s’engager dans la bataille, beaucoup doivent aujourd’hui réfléchir à deux fois avant de risquer leur parcours national en un combat douteux, en tout cas, quant à son issue. On pense singulièrement au Centre-Val de Loire, où l’ancrage traditionnel du Modem en Loir-et-Cher et ses deux solides ministres ne suffisent pas à garantir non seulement le succès, mais même un score honorable qui ne contraigne pas à un ralliement peu glorieux à LR, en l’occurrence l’ambitieux Guillaume Peltier, au second tour.
En face, l’incertitude est tout aussi grande : la notoriété et le bilan plus que défendable de bien des présidents sortants vaut-elle assurance de reconduction, de la Nouvelle Aquitaine aux Hauts-de-France ? Les sortants socialistes sont particulièrement sur le gril, menacés par l’incontestable poussée des aspirations écologistes. Attraction toutefois à ne pas assimiler les régions à leurs élites métropolitaines – le Centre-Val-de-Loire ne se résume pas à la place Plumereau, à Tours, ou à la rue de Bourgogne, à Orléans – ni l’adhésion sincère à la préoccupation environnementale à un quitus donné à EELV.
Le paradoxe de 2022. Macron et Le Pen favoris par défaut
Comme l’a à nouveau rappelé le récent « Final 8 » de la Ligue des champions, le football est un sport où à la fin, c’est l’Allemagne qui gagne. Dira-ton en 2022, en dépit d’un quinquennat si tempétueux, qu’à la présidentielle, à la fin, ce sont toujours les mêmes finalistes et le même vainqueur ? Aujourd’hui, la floraison des velléités de candidatures, à droite comme à gauche, risque d’aboutir à un échec encore plus plombant qu’en 2017, tant une famille politique avertie devrait en valoir deux.
Si Retailleau, l’ultra du bocage, Pécresse la Versaillaise et Xavier Bertrand le populaire se lancent sans règle d’arbitrage fixée au préalable, la dispersion mortifère est certaine. De même, le « dernier combat des chefs » du druide insoumis, candidat autoproclamé de l’écologie et de la démondialisation, rend très hypothétique la présence au second tour d’un candidat de gauche, écologiste ou socialiste.
Le seuil des 20%, probablement qualificatif, est en revanche assez aisé à atteindre pour Le Pen et pour Macron, sauf catastrophe pour eux : pour la populiste, la présence concurrentielle d’un candidat hors-système – le guérisseur béni par la « Bonne-Mère », l’ancien comique-troupier Bigard ou le polémiste médiatique nostalgique du bon maréchal de Vichy – pour Macron, le million supplémentaire de chômeurs à venir et une crise sociale violente, sans rebond visible de l’économie.
Pour la vitalité de notre démocratie, si fragilisée par le cancer de l’abstention, une présidentielle encore une fois placée sous le signe du simple front du refus serait, non seulement dangereuse, mais catastrophique, évacuant tout débat de fond sur la société dans laquelle nous souhaitons vivre demain. Remobiliser les catégories populaires, reintéresser la génération des moins de quarante ans qui, très majoritairement, ne votent plus : le défi est immense. Mais aussi exaltant et vital. Bas-les-masques : que les bouches s’ouvrent !
*Pierre-Allorant est historien et juriste, doyen de la faculté de droit, économie et gestion d’Orléans, vice-président du CESER Centre-Val de Loire, chargé de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et du Sport.