On avait déjà vu, il y a presque dix ans, Le mariage de Tuya, ours d’or à Berlin en 2007. Quanan Wang, réalisateur mongol, sort cette année un autre film, son septième (ils ne sont pas tous sortis en France), La femme des steppes, le flic et l’oeuf (öndög, titre original). Un beau portrait de femme vivant seule dans l’immensité des steppes de Mongolie, qui mène avec brio ses rapports aux hommes pour construire la vie qu’elle souhaite vivre.
Malgré le clin d’œil du titre français, on n’est pas chez Sergio Leone, et pourtant la beauté, la vastitude des images y font penser ! Cette steppe froide, paysage totalement horizontal et plat, laisse le champ à des cieux extraordinaires, des couchers ou levers de soleil somptueux, des nuits prenantes. L’image scope est utilisée avec maestria, jouant avec les plans larges qui petit à petit se resserrent sur les sujets, reculant pour passer de l’un à l’autre, dominant ces éléments pour mettre en place la narration. Les sujets, ce ne sont pas seulement des hommes, mais aussi des bêtes. Un chameau magnifique, à poils longs, qui tient son rôle dans l’histoire. Un loup, aussi, et des troupeaux de moutons et de chèvres.
Des situations banales qui deviennent surréalistes
C’est un corps femme nue dans la steppe qui noue l’histoire, avec un loup qui en ferait bien son repas et des policiers rocambolesques qui laissent la nouvelle recrue garder le corps pour la nuit. Ils obligent la femme des steppes à le surveiller. Elle remplira son rôle à merveille. Au lieu de partir vers le polar, la narration se tourne vers la femme.
Le film avance par séquences d’images incroyables, des séquences longues mais qui retiennent par leur originalité, leur étrangeté non pas dans la « réalité », mais de par la manière de filmer. La yourte de la femme, les troupeaux qui rentrent dans leur enclos à la tombée de la nuit. Ce n’est rien, mais c’est magnifique. Celle du feu dans la nuit, derrière le chameau couché qui forme un rempart, un appui au couple de la femme et de la jeune recrue. Celle, absolument surréaliste, de cet endroit insensé dans la steppe, sorte d’abri bus où il y a deux bancs publics, deux lampadaires et au fond, en tout petit, une usine à la grande cheminée qui fume. Et ce que la femme va faire là est aussi étrange et puissant que le décor. On pense à la peinture métaphysique. Et de la mystique, il y en a, la mort, les corps qui retournent à la terre, les bêtes qui les mangent et qui meurent à leur tour. Et la vie, le grand cycle de la vie vécu par ces populations encore proches de la nature. Le vélage d’une vache replace cette réflexion dans leur réalité, dans leur quotidien.
Une femme d’envergure
Tout est étonnant dans ce film. Les hommes ne sont pas vraiment brillants, comme ce policier qui va partir en retraite après 40 ans « à ne rien faire », et qui s’est aperçu il y a peu que sa femme l’avait pris par dépit d’un autre amour malheureux. Ou le motard amoureux, ou peut-être mari, on ne sait pas trop, de la femme des steppes, plutôt sympathique mais tout de même du genre buveur et loser.
Le personnage central de la femme, en revanche, est brossé par touches, par détails, mais elle nous apparaît volontaire et forte, émancipée, une femme qui pourrait, qui devrait sans doute, avoir du pouvoir. Et qui représente un avenir souhaité.
Quanan Wang maîtrise brillamment son sujet. Images comme narration sont simples mais riches. La bande son, elle aussi très sobre, nous fait vivre, entre autre, un Love me tender inoubliable. Et ce n’est pas le seul paradoxe de ce film puissant, lent mais profond, contemplatif et expressif, qui assume ses choix en allant jusqu’au bout. Un cinéma à l’opposé des blockbusters, un cinéma fort de sa poésie et de sa vérité.
Bernard Cassat
Réalisateur : Quanan Wang
Acteurs : Dulamjav Enkhtaivan, Aorigeletu, Norovsambuu Batmunkh
Pays : Mongolie
Durée : 1h40
Sortie : 19 août 2020
Distributeur : Diaphana Distribution
Au cinéma Les Carmes jusqu’au 2 septembre