Dix millions de tonnes de nourriture consommable sont jetées chaque année. Face à cette triste réalité, des citoyens engagés ont décidé de glaner les invendus de marchés et de supermarchés pour les redistribuer gratuitement. À Orléans, une poignée de bénévoles organise un marché parallèle, chaque samedi après-midi depuis un an.
Ces marchés de récupération des invendus sont destinés à tous, sans distinction sociale, dans une démarche zéro-déchet. ©Elodie Cerqueira
Poivrons, courgettes, concombres, melons, pêches… les fruits et légumes de Camille* sont soigneusement achalandés dans leur cagette posée à même le sol, sans chichi. Ce 15 août après-midi, comme tous les samedis depuis un an, sur un parking du centre-ville d’Orléans, s’organise un marché pas comme les autres. Ici pas de balance ni de caisse enregistreuse. Il suffit de se munir de sachets et d’un masque, pour venir faire son marché du week-end et profiter gratuitement des produits sauvés des poubelles.
Camille fait partie des premiers bénévoles qui ont initié cette démarche « anti-gaspi », en août 2019. « J’ai toujours été sensible à l’écologie. Cette démarche a un but écologique avant tout », explique-t-il. Aujourd’hui, ils sont une dizaine à s’organiser chaque semaine pour récupérer les invendus auprès des supermarchés ou des marchés d’Orléans.
Trop mûrs, mal calibrés, cabossés… certains fruits et légumes, pourtant consommables, sont trop souvent funestement destinés aux ordures. Et la perte est conséquente. Selon une étude de l’Ademe (agence de transition écologique) ce ne sont pas moins de dix millions de tonnes de nourriture qui sont jetées chaque année.
Dix millions de tonnes de nourriture consommable sont jetées chaque année. ©Elodie Cerqueira
Face à ce constat, le gouvernement a pris l’engagement au travers du Pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire de réduire de 50% les pertes d’ici 2025. Dans ce contexte, la loi Garot a été adoptée le 11 février 2016.
Une distribution tolérée
Cette distribution « sauvage » reste tolérée. Les bénévoles n’ont jamais été inquiétés par la municipalité. Ils sont soucieux de laisser leur passage invisible et tout ce qui n’est pas distribué est revalorisé pour les composteurs ou les animaux. « Rien n’est jeté ! »
Les bénévoles souhaiteraient constituer une association qui leur permettrait de mener une action de plus grande envergure et encadrée mais « les freins administratifs et juridiques » sont rédhibitoires pour l’heure.
En effet, d’après une évaluation de l’application des dispositions de la loi Garot de novembre 2019, malgré la diversification des sources d’approvisionnement et les conventions signées avec les magasins qui ont permis d’augmenter les dons, « des difficultés dans l’organisation et la mise en œuvre des partenariats persistent. » Notamment à cause des « contraintes logistiques [qui] restent fortes pour les associations et ne permettent pas d’optimiser l’efficacité et la fréquence des collectes. Quant aux magasins, ils « éprouvent des difficultés dans leur mise en œuvre organisationnelle (formations des équipes, traçabilité, …). »
Du lien social
Outre la lutte contre le gaspillage, ce petit marché orléanais destiné à tous sans distinction sociale, devient malgré lui un lieu de convivialité. « Les gens restent longtemps, en moyenne une heure. Il y a un côté très social sans qu’on le cherche, un lien qui s’est installé tout seul avec le temps », se félicite Camille. Cet après-midi, il y a des couples, des personnes seules, jeunes et moins jeunes, certains se connaissent d’autres non. Les discussions vont bon train et l’ambiance singulière du moment fait oublier la gravité du gaspillage.
Un bénévole joue de la guitare et pousse la chansonnette, pour le plus grand plaisir de Marie-Laure, venue chercher ses fruits et légumes, comme à l’accoutumée, et qui apprécie l’ambiance « bucolique » de ce doux après-midi. Les récupérations d’invendus sont aussi l’occasion d’improviser le remplissage de son garde-manger en fonction des disponibilités : « On ne sait jamais ce qu’on va trouver », s’amuse-t-elle en détaillant les cagettes.
A Orléans, des bénévoles organisent chaque samedi après-midi une distribution des invendus de marchés et de supermarchés. ©Elodie Cerqueira
D’autres découvrent des produits qu’ils ne connaissent pas : un homme apprend que le fenouil a un goût anisé et qu’il peut se poêler. Un rendez-vous « bon-enfant » que Catherine, 89 ans, « la doyenne » comme la nomme les bénévoles, ne saurait manquer. Elle est fidèle au poste chaque samedi, plus pour les rencontres que le ravitaillement.
Dans son élégante robe à fleurs, munie de sa canne, de son masque et de son sac de courses, elle se plaît à discuter avec chacun et s’émerveille de « ces beaux jeunes dynamiques » qui s’engagent dans la lutte contre le gaspillage qui pour elle est un non-sens : « Je suis lorraine, c’est dans ma culture. Je suis d’avant la guerre. Chez nous, il neigeait d’octobre à avril, il fallait faire des provisions. On glanait tout ce qu’on pouvait trouver, pour moi c’est normal cette démarche de récupération. J’y attire mes amies qui sont enchantées par l’esprit. »
Le bouche-à-oreille a fait son œuvre : de plus en plus de monde se présente au rendez-vous et les dons sont en hausse. Désormais, l’équipe de bénévoles souhaite s’agrandir pour organiser un roulement d’équipe et fonder l’association qui leur permettrait d’obtenir des subventions et de se développer.
Elodie Cerqueira
*le prénom a été modifié