L’abeille mellifère est vitale au maintien de la biodiversité, pour la reproduction de nombreuses plantes et l’équilibre écologique. Il est observé depuis plusieurs années un déclin très inquiétant des populations d’abeilles pouvant faire craindre leur extinction totale. Même si les causes sont complexes et multiples, la culture de la betterave sucrière est impliquée dans leur disparition…
Récolte de betterave à sucre. DR
Les néonicotinoïdes sont des insecticides particulièrement efficaces
Les pesticides sont destinés à lutter contre les organismes jugés nuisibles en agriculture. Une des caractéristiques du système agricole français dominant est l’utilisation massive de pesticides.
En 2017, 70 000 tonnes ont été vendues sur le territoire national. Les pesticides rassemblent les herbicides, les fongicides, les biocides, les antiparasitaires et les insecticides. Ils ne sont toutefois pas sans danger pour la santé humaine, sur les populations animales et pour l’environnement. De nombreux pesticides seraient des perturbateurs endocriniens. Expliquant leur succès, les néonicotinoïdes sont des pesticides insecticides qui offrent une protection prolongée et particulièrement efficace, du stade de semence au stade adulte de la plante.
Des neurotoxiques utilisés en agriculture
L’Anglais John Newport Langley découvrit que la nicotine bloquait sélectivement la conduction nerveuse en se fixant sur des récepteurs appelés depuis « récepteurs nicotiniques ». Chez l’homme, ces récepteurs jouent un rôle primordial dans la transmission neuromusculaire, dans le contrôle des mouvements, de la mémoire, de l’attention, du sommeil, de la douleur et de l’anxiété.
Le cerveau des abeille a des récepteurs nicotiniques essentiels au bon fonctionnement de leur système nerveux.DR
Les néonicotinoïdes sont des toxiques qui ont pour cible les récepteurs de type nicotinique. Ils agissent en interférant avec la transmission des stimuli nerveux. Les insectes, et en particulier le cerveau des abeilles, ont des récepteurs nicotiniques essentiels au bon fonctionnement de leur système nerveux. Chez les abeilles, les néonicotinoïdes altèrent leur sens de l’orientation, leur capacité de reproduction ou encore leur faculté d’apprentissage.
Le premier néonicotinoïde fut fabriqué par la compagnie Shell dans les années 70. À partir des années 80, plus de 2 000 composés néonicotinoïdes ont été synthétisés, dont l’imidaclopride. Compte-tenu de son grand potentiel toxique (10 000 fois plus élevé que la nicotine), ce produit fut commercialisé pour l’enrobage des semences en 1991 par la société Bayer sous le nom de GAUCHO®. Puis apparurent le SUPRÊME® (acétamipride), le CRUISER® (thiaméthoxame), le CALYPSO® (thiaclopride), le PONCHO® (clothianidine), etc. Ce sont tous des neurotoxiques utilisés en agriculture conventionnelle.
Les néonicotinoïdes décimaient les colonies d’abeilles
La France est le deuxième producteur mondial de sucre de betterave. Les cultures de betteraves sucrières sont réparties dans huit régions situées essentiellement au nord de la Loire, sur une surface de 485000 hectares. Cette production peut être compromise par une maladie : la jaunisse. Deux formes de jaunisse de la betterave existent, causées par trois virus.
En avril 2020, une vague de pucerons porteurs de virus s’est abattue en moins d’une semaine sur les plaines betteravières françaises.DR
C’est le puceron vert qui est le principal vecteur des virus. Cette maladie entraîne des baisses de rendement de 28% en moyenne mais pouvant aller jusqu’à 50 %. Pour combattre la jaunisse et maintenir un haut rendement de production betteravière des pesticides néocotinoïdes étaient utilisés contre les pucerons jusqu’en 2018.
Bien que les organisations agricoles aient protesté, l’usage de cinq produits appartenant à la classe des néonicotinoïdes furent interdits (l’imidaclopride, l’acétamipride, le thiaméthoxame, la thiaclopride, la clothianidine), le 1er septembre 2018. Ils décimaient les colonies d’abeilles et les pollinisateurs sauvages.
Le gouvernement a annoncé des dérogations
En avril dernier, une vague de pucerons porteurs de virus s’est abattue en moins d’une semaine sur les plaines betteravières françaises. Depuis l’interdiction des néonicotinoïdes, pour combattre cette infestation de pucerons verts, deux produits insecticides sont autorisés mais d’efficacité insuffisamment rapide et durable compte tenu de leurs conditions d’usage : le TEPPEKI® (flonicamide) et le MOVENTO® (spirotétramate).
Les plants de betteraves sont depuis massivement attaqués par la jaunisse. Pour sauver la récolte betteravière, celles à venir, mais aussi éviter la fermeture de sucreries comme à Toury, les organisations agricoles ont interpellé le ministère de l’agriculture. Une lettre ouverte signée par 105 parlementaires, dont les sénateurs Albéric De Montgolfier (Eure-et-Loir), Jean-Noël Cardoux (Loiret), Hugues Saury (Loiret), Rémy Pointreau (Cher), Chantal Deseyne (Eure-et-Loir), Serge Babary (Indre-et-Loire) et le député Jean-Pierre Door (Loiret), est adressée au Président de la République le 24 juillet 2020. Sous la pression, le gouvernement permet à nouveau l’usage dérogatoire des néonicotinoïdes pour la betterave sucrière. Aussitôt les producteurs de maïs veulent également bénéficier de cette même liberté…
Les abeilles sacrifiées pour le sucre de betterave
Dans les prochaines années, avec les dérogations obtenues, la lutte contre les insectes ravageurs reposera encore sur des substances chimiques de synthèse qui éliminent sans discernement tout insecte. La transition agro-écologique nécessite pourtant que la protection des cultures passe désormais par le bio-contrôle. Il consiste, entre autres, à opposer des insectes aux organismes nuisibles. Ce qui est impossible à mettre en place avec les néonicotinoïdes.
Les abeilles, les seuls insectes dont nous consommons la production sucrière, sont sacrifiées pour le sucre de betterave…
Jean-Paul Briand