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Date initiale de publication 12 avril 2020
> Nous savions par quelques confidences que Christian Jamet, auteur orléanais passionné d’art, s’intéressait aux années passées par Gauguin à Orléans et plus particulièrement au petit séminaire de la Chapelle Saint Mesmin où le futur artiste au génie mondialement connu, passa deux années scolaires. La récente vente aux enchères d’un dessin signé Gauguin par la maison Rouillac avait apporté un éclairage intéressant sur la formation artistique de Gauguin, révélant de façon indubitable qu’il fut l’élève du peintre orléanais Charles Pensée.
Paul Gauguin : Le Christ jaune (1889)
Mais c’est d’abord la marque, sans doute indélébile, reçue par le jeune Gauguin sous la houlette de la pédagogie apologétique d’une école dirigée par un ecclésiastique qui deviendra un des plus éminents prélats de l’époque, Monseigneur Dupanloup, c’est cette marque que le travail de déchiffrage de Christian Jamet étudie dans le premier chapitre de cet imposant ouvrage. Et quelle formation des esprits ! Une discipline, une rigueur dans la “modélisation” religieuse, une vision triomphante de l’Eglise, formation intellectuelle prégnante qui semble réussir au jeune élève au vu de ses bulletins scolaires retrouvés dans les archives orléanaises.
“Mettre Dieu dans le pigment“, de la Bretagne à la Polynésie
Le travail de bénédictin de l’auteur ne s’arrête évidemment pas à cette initiation première si essentielle pour la suite de la vie aventureuse de l’artiste, c’est l’ensemble des rencontres successives, des lectures, des influences artistiques que l’on peut suivre au travers des nombreux écrits et de la correspondance de Paul Gauguin que revisite Christian Jamet sous l’angle d’une spiritualité indissociable chez Gauguin de la création picturale:« Un conseil, ne copiez pas trop d’après nature, l’art est une abstraction, tirez-la de la nature en rêvant devant, et pensez plus à la création qu’au résultat. C’est le seul moyen de monter vers Dieu en faisant comme notre divin Maître, créer. »
Et comme l’écrit le romancier et critique d’art très influent de l’époque, Octave Mirbeau: « Il y a dans cette œuvre un mélange inquiétant et savoureux de splendeur barbare, de liturgie catholique, de rêverie hindoue, d’imagerie gothique, de symbolisme obscur, et subtil», c’est ce mélange forgé par cet artiste majeur de l’histoire de l’art que va détailler et analyser Christian Jamet en nous replongeant dans cette fin du XIXe siècle si tourmentée, dans son retour au religieux en réaction avec les idées issues de la révolution politique et scientifique, du positivisme d’Auguste Comte au socialisme de Marx. L’ouvrage nous ouvre ainsi les portes de cette période littéraire et artistique un peu oubliée où se croisent des influences complexes d’un syncrétisme religieux universaliste qui, partant du matérialisme “La vie de Jésus” de Renan, va échafauder bien des théories mystiques soutenues par des personnages plus ou moins savants ou illuminés, des Roses Croix au “Sar” Joséphin Péladan.
Paul Gauguin : D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? (1897)
“L’insondable mystère”
Comme dans un arbre des causes, l’auteur va décrypter ces formes de mysticisme et de synthétisme religieux, ce foisonnement intellectuel et philosophique qui influencera le milieu artistique et auquel participera à sa façon Gauguin, mais surtout, et c’est particulièrement passionnant, inscrire picturalement cette fermentation des idées religieuses dans les œuvres du peintre, du célèbre “Christ Jaune” au mystérieux ” D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ?“. Le cheminement spirituel de Gauguin s’ouvre devant nous, pas à pas, mais aussi cette quête d’un Eden terrestre, jusqu’à cette installation aux îles Marquises dans sa “Maison du Jouir” à la recherche de la pureté d’une civilisation Maori déjà déliquescente, quête qui verra l’artiste prendre pour épouse une jeune fille de treize ans, objet d’une polémique anachronique comme le dirait si justement le critique d’art Daniel Arasse, lui le petit fils de Flora Tristan, militante socialiste et féministe qui dénonça dès les années 1830 la prostitution des mineures dans les bordels parisiens…
C’est ici un travail considérable qui donne un jour nouveau et fouillé de l’œuvre du peintre et de son chemin spirituel, un magnifique ouvrage aux somptueuses reproductions d’œuvres dispersées aujourd’hui dans les musées du monde entier, beau livre que tout amateur de l’œuvre de Gauguin et de l’art en général se devra d’avoir en bonne place dans sa bibliothèque !
GP
“Paul Gauguin, les chemins de la spiritualité”
par Christian Jamet
Editions Cohen & Cohen 395 pages format 27×31 95 €
En vitrine à la librairie des Temps Modernes (Orléans): soyez encore un peu patient !